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Écho de presse

« Un procédé sauvage » : la Prohibition aux Etats-Unis vue par la presse française

En 1919, le XVIIIe amendement de la Constitution américaine interdit la fabrication et la vente d’alcool aux États-Unis. Dans la presse française, les réactions outrées ou sceptiques fusent. Notamment quand on comprend qu’il est question d’interdire aussi le vin...

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Pierre Ancery

Ecrit par

Pierre Ancery

Publié le

24 novembre 2022

et modifié le 22 novembre 2024

Image de couverture

Policiers américains jetant le contenu d'un fût de vin à San Diego, Agence Rol, 1928 - source : Gallica-BnF

En 1919, le XVIIIe amendement de la Constitution américaine interdit la fabrication et la vente d’alcool aux États-Unis. Dans la presse française, les réactions outrées ou sceptiques fusent. Notamment quand on comprend qu’il est question d’interdire aussi le vin...

Pendant treize ans, l’Amérique fut « sèche ». De 1920 à 1933, une période qui restera dans l’histoire sous le nom de Prohibition, les États-Unis interdirent la fabrication, le transport, la vente, l’importation et l’exportation des boissons alcoolisées. L’objectif de cette interdiction, voulue de longue date par les ligues de tempérance américaines, était de lutter contre l’alcoolisme dans la population.

Une mesure radicale, ratifiée le 16 janvier 1919 par le XVIIIe amendement de la Constitution américaine, que vient compléter le Volstead Act (qui définit les boissons alcoolisées). Si elle n’entrera en vigueur que le 16 janvier 1920, la presse française va la commenter dès 1919. Dans presque tous les journaux, c’est l’incompréhension et le scepticisme qui domine.

Le Pêle-Mêle, hebdomadaire humoristique, note le 8 juin 1919 :

« Une législation qui supprime radicalement la vente de l'alcool peut, à certains titres, nous paraître admirable. Mais notre tempérament latin nous porte assez au goût de la mesure et quelque peu, aussi, au scepticisme.

Nous avons, disons-le crûment, quelque peine à imaginer un pays où ne se débiteraient, sur le comptoir des bars, que des sirops très anodins et des eaux gazeuses, limonades glacées et ginger ales...»

Le journal illustré Le Miroir  s’interroge lui aussi sur l’efficacité d’une telle mesure et pointe ses dégâts collatéraux sur ces images où l’on peut voir des débitants de boissons protester au moyen d’affiches « No beer, no work » (« Pas de bière, pas de travail ») :

Dans un numéro ultérieur, le journal montrera d’anciens bars reconvertis en librairies ou en magasins de jouets :

Pour Excelsior, le XVIIIe amendement est voué à l’échec, car il risque de pousser les usagers à se tourner vers d’autres substances addictives :

« En Angleterre, où, en réduisant le nombre des débits de boisson, en diminuant le nombre d'heures où il leur est permis de rester ouverts, on a essayé de réduire la consommation de l'alcool, les médecins se déclarent effrayés de la quantité croissante des cas d'intoxication par cocaïne, morphine et autres drogues délétères, qu'ils ont à soigner.

On ne peut plus boire, alors, on se pique, ou l'on « prise ». Les ivrognes sont devenus toxicomanes, voilà tout. »

Le Figaro, de son côté, jugera en 1922 la mesure désastreuse. Le quotidien conservateur désignera d’ailleurs un responsable assez inattendu : les femmes. Aux États-Unis, à la différence de la France, celles-ci ont en effet le droit de vote  depuis 1920. Conséquence, d’après Le Figaro :

« Elles sont presque toutes ennemies de l'alcool, avec lequel les hommes s'enivrent et gaspillent de l'argent qu'elles se chargeraient fort bien de dépenser elles-mêmes.

Aucun candidat, aucun politicien n'ose risquer son siège en s'aliénant cette masse d'électrices. »

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Un jugement qui revient de manière récurrente est la différence culturelle majeure entre la France et les États-Unis à propos de la façon de consommer. Dans le même article, Le Figaro explique :  

« L'Américain ne boit pas comme le Français. Celui-ci déguste et fait durer le plaisir de boire. Celui-là trouve sa joie non pas à boire, mais à avoir bu. En Amérique, on n'a jamais vu des hommes assis à la terrasse d'un café, prolonger durant des heures l'absorption d'un verre d'absinthe ou même de bière ; le temps y est apprécié à une trop haute valeur pour qu'on puisse se permettre pareil gaspillage.

On boit, chez nous, pour la cause ; là-bas, pour l'effet. »

Mais le principal sujet d’indignation dans la presse française concerne alors l’interdiction du vin outre-Atlantique. Passe encore que le whisky ou le gin y fussent prohibés, mais pourquoi s’en prendre à une boisson aussi noble ? En effet, le vin, à l’époque et jusque dans les années 1950, n’est généralement pas perçu en France comme de l’alcool.

Dans Le Petit Courrier du 9 juin 1919, Louis Narquet  tient à établir une nette distinction :

« Certes, oui, sus à l’alcool empoisonneur qui trompe l’ouvrier par son « coup de fouet » passager, qui est le véhicule de la tuberculose et de l’aliénation mentale, comme le pourvoyeur de la débauche !

Seulement, il est injuste d’accuser le vin, pris en quantité modérée, de tous les méfaits de l'alcool [...]. Le vin, le vin naturel, qui n’a pas subi le travail suspect de la chimie, est une source de gaieté, de bonne humeur joviale et cordiale, et il ne nuit ni à la santé ni à la force.

Les poilus des départements qui produisent du vin furent de ceux à qui l'on demanda le plus d'efforts et d’endurance, et qui ont le mieux tenu devant le Boche. »

Dans L’Intransigeant, Marcel Prévost, de l’Académie française, s’insurge :

« Ce breuvage dont le Christ s’est déclaré consommateur habituel (Évangile selon Matthieu, ch. XI.19) [...] devient, au regard de la majorité d’un grand peuple, un poison redoutable qui engendre le vice et le crime [...].

C’est là, sauf votre respect, un procédé sauvage. Au même titre on peut supprimer le pain qui donne des indigestions aux goinfres, ou les fruits crus qui leur donnent la colique, ou, plus encore, toute la pâtisserie, toute la confiserie dont les produits, absorbés à dose massive, détraquent les estomacs et les intestins les plus robustes. »

Dans La Dépêche de Toulouse, enfin, un collaborateur du journal qui se trouve sur place tente d’expliquer la différence de perception du vin des deux côtés de l’Atlantique, avant de conclure :  

« Dans son ensemble, la race américaine est encore trop jeune pour avoir cette qualité du vieux peuple français : la modération née de la maîtrise de soi. »

Le XVIIIe amendement sera contesté au sein des États-Unis eux-mêmes, divisant les partis politiques – même si les républicains sont plutôt dry (secs) et les démocrates plutôt wet (humides).

Il aura en tout cas une efficacité très discutable. Les autorités fédérales auront beaucoup de mal à juguler la fabrication et l’importation clandestines d’alcool. Le phénomène alimentera le gangstérisme et la corruption : la Prohibition marque l’âge d’or du crime organisé, dont Al Capone reste aujourd’hui la figure la plus connue.

Le XVIIIe amendement sera finalement abrogé en 1933, sous l’administration Roosevelt, mettant fin à treize ans de Prohibition.

–

Pour en savoir plus :

Arnaud Coutant (dir.), Prohibition(s), Éditions Mare et Martin, 2018

Mots-clés

ProhibitionAlcoolÉtats-UnisGuerreMafiaAlcool
Pierre Ancery

Ecrit par

Pierre Ancery

Pierre Ancery est journaliste. Il a signé des articles dans GQ, Slate, Neon, et écrit aujourd'hui pour Télérama et Je Bouquine.

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