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Interview

« Plus saine, plus équilibrée » : la longue histoire de la diététique

Pratique associée à la modernité et à des préoccupations contemporaines, la diététique trouve en réalité ses racines dans l’Antiquité. L’historien Bruno Laurioux s’est plongé dans cette histoire multiséculaire qui raconte notre rapport à l’alimentation, au corps, à la santé et au plaisir.

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Bruno Laurioux

Avec

Bruno Laurioux

Bruno Laurioux est historien, professeur émérite à l’université de Tours. Il préside l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation. Son ouvrage Une histoire de la diététique est paru en mai 2025 aux éditions du CNRS. 

Marina Bellot

Propos recueillis par

Marina Bellot

Publié le

21 août 2025

et modifié le 25 août 2025

Image de couverture

"Portrait du gourmand", estampe, auteur inconnu, circa 1850 - source : Gallica-BnF

RetroNews : Si le terme « diététique » semble relativement récent, la notion remonte, elle, à plus de deux mille ans. Pouvez-vous préciser quand et comment celle-ci apparaît ?

Bruno Laurioux : Le mot diététique apparaît en français au XVIᵉ siècle, principalement sous la plume de chirurgiens et de médecins. À ce moment-là, il est utilisé comme adjectif et sert à désigner ce qui relève des pratiques ou des prescriptions destinées à réguler la santé par le mode de vie. En réalité, il reprend et adapte des notions beaucoup plus anciennes.

L’étymologie en dit long : le mot grec diaita signifiait littéralement « manière de vivre », « arbitrage » ou « conduite de la vie ». Il pouvait désigner aussi bien la régulation des comportements politiques que celle du corps. En latin, il a été traduit par regimen, qui évoque la règle, la régulation, le mode de gouvernement – et par extension, le régime corporel. 

On voit bien qu’il ne s’agissait pas à l’origine uniquement d’alimentation : la diététique englobait un ensemble de pratiques visant à organiser le rapport au corps, à l’environnement, aux saisons, à l’activité physique ou au sommeil. Mais, au sein de ce vaste champ, l’alimentation a très vite occupé une place centrale. C’est cette dimension-là que j’ai choisie d’explorer plus particulièrement dans mon livre. 

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Vous rappelez qu’Hippocrate est considéré comme le père de la diététique. En quoi son apport est-il déterminant ?

Hippocrate et ses disciples posent un principe fondateur : l’alimentation n’est pas seulement un facteur de prévention, elle peut aussi constituer un véritable traitement. L’idée que ce que nous mangeons influence directement notre état de santé et peut contribuer à la guérison est déjà présente dans ses écrits.

Dans la médecine hippocratique, on envisage trois grandes voies thérapeutiques : la chirurgie, la pharmacopée (les remèdes, drogues et substances médicamenteuses), et enfin l’alimentation. L’aliment devient ainsi une arme au service de la santé, capable d’accompagner la guérison d’une infection ou d’une maladie chronique. Cette conception a eu une influence considérable, puisqu’elle a été reprise et amplifiée par Galien, près de cinq siècles plus tard, avant d’irriguer toute la tradition médicale antique, puis médiévale.

Vous distinguez nettement la diététique de la nutrition. Quelle est selon vous la différence fondamentale entre les deux ?

La diététique, telle qu’elle s’est constituée dans l’Antiquité, est avant tout un art de vivre. Elle repose sur une conception holistique du corps : pour rester en bonne santé, il faut harmoniser l’alimentation, l’exercice physique, le sommeil, les humeurs du corps et même le rapport aux saisons. L’aliment est un élément parmi d’autres dans cet équilibre global.

La nutrition, en revanche, est une science moderne. Elle se développe à partir du XVIIIᵉ siècle, puis surtout au XIXᵉ, avec la volonté d’analyser et de mesurer. Elle part de l’idée qu’il existe des constantes biologiques communes à tous les êtres humains : une faculté digestive, une capacité d’absorption des nutriments, des besoins énergétiques quantifiables. L’aliment n’est plus envisagé comme une substance singulière mais comme un réservoir de calories, de protéines, de vitamines, de minéraux.

La différence est donc nette : si la diététique antique s’intéresse à l’individu dans son milieu et dans son mode de vie, la nutrition moderne cherche à établir des règles universelles, valables pour tous, fondées sur les sciences exactes.

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Votre ouvrage suit un parcours chronologique en deux grandes étapes. Pouvez-vous nous les décrire ?

En effet, le récit que je propose s’organise en deux temps très inégaux. La première étape est celle de ce que j’appelle « l’Ancienne diététique ». Elle naît dans la Grèce classique, au Ve siècle avant notre ère, avec Hippocrate et son école. Elle se développe ensuite dans le cadre élargi du monde grec, à l’époque des conquêtes d’Alexandre, puis dans l’Empire romain. Les médecins grecs et romains débattent, renouvellent, contestent parfois certaines propositions d’Hippocrate.

Galien, figure majeure du IIᵉ siècle après J.-C., donne à cette tradition une ampleur considérable. Ses textes circulent dans tout l’Empire, puis dans le monde byzantin et dans le monde islamique, où ils sont traduits, commentés, enrichis. C’est là qu’intervient un travail d’adaptation essentiel : les médecins arabes et persans confrontent les théories anciennes à de nouveaux aliments, comme le sucre, et repensent les classifications héritées des Grecs.

À partir de la fin du Moyen Âge, l’Occident latin s’approprie à son tour cet héritage, par l’intermédiaire des traductions, puis de l’imprimerie. À la Renaissance et aux siècles suivants, l’arrivée des produits venus d’Amérique – tomate, pomme de terre, cacao, maïs – oblige à réinterroger la diététique ancienne : comment classer ces aliments inconnus ? Quels sont leurs effets sur le corps ? Des débats intenses surgissent autour de la température des boissons, de la place de la viande, du rôle des épices… On voit bien que la diététique n’a jamais été un savoir figé, mais un système ouvert, en constante adaptation.

La seconde étape commence à la fin du XVIIIᵉ siècle. On commence alors à critiquer certains fondements de l’ancienne diététique, notamment les théories humorales liées à la digestion. Dans le même temps se développe une science nouvelle, plus quantitative, qui cherche à mesurer les apports des aliments. Dès le XVIIᵉ siècle, des expériences avaient été menées, comme la « balance de Santorio » qui permettait d’évaluer les pertes corporelles. Mais c’est au XIXᵉ siècle que cette approche s’impose vraiment, portée par la chimie et la physiologie. Claude Bernard, par exemple, étudie le rôle du foie dans la transformation des nutriments. 

À partir de ce moment, la diététique cède progressivement le pas à ce qu’on appelle désormais la nutrition : une science des nutriments, des calories, des équilibres biochimiques. Ce savoir n’est plus réservé aux médecins : chimistes et physiologistes en deviennent les acteurs principaux.

Quelles évolutions majeures observe-t-on au XXᵉ siècle ?

Le XXᵉ siècle est marqué par une transformation radicale. Après la Seconde Guerre mondiale, la priorité est de retrouver un niveau d’alimentation suffisant pour tous. Mais très vite, dès les années 1950, un renversement se produit : le problème n’est plus la sous-alimentation, mais la suralimentation.

Les pathologies dominantes changent : l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, le diabète remplacent les maladies carentielles. De nouveaux ennemis alimentaires sont désignés : le sel, les graisses, le sucre. Les campagnes de santé publique insistent sur la nécessité de réguler les excès. 

Dans ce contexte, la diététique revient sur le devant de la scène, mais sous une forme renouvelée : il ne s’agit plus seulement de suivre des prescriptions universelles, mais aussi de reprendre un contrôle individuel sur son alimentation, par des régimes personnalisés. Cette idée d’auto-régulation, très présente dans l’Antiquité, fait donc un retour inattendu.

On oppose souvent diététique et gastronomie. Est-ce une mise en concurrence pertinente selon vous ? 

Non, je crois au contraire qu’il faut cesser de les opposer. On a souvent affirmé que la diététique bridait la gastronomie, qu’elle représentait une contrainte incompatible avec le plaisir de manger. Je pense que c’est une vision réductrice.

Depuis le Moyen Âge au moins, et sans doute dès l’Antiquité, les deux sont consubstantielles. Galien lui-même disait avoir rédigé des recettes culinaires, même si elles ne nous sont pas parvenues. De nombreux médecins ont écrit des recettes pour leurs patients, en tenant compte de leurs goûts, de leurs envies, de leur plaisir.

Car le plaisir de manger n’est pas un détail : il participe du processus de guérison. La gastronomie, entendue comme l’art de rechercher des aliments agréables au goût et de les préparer de manière raffinée, est donc inséparable de la diététique. Les deux se nourrissent mutuellement.

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Pourquoi avoir voulu écrire une histoire « globale » de la diététique ?

Parce que, paradoxalement, personne ne l’avait encore fait. Les historiens de l’alimentation se sont intéressés à la diététique mais de manière ponctuelle, fragmentée, souvent en la considérant comme une curiosité ou un folklore. De leur côté, les historiens de la médecine ont parfois évoqué la diététique, mais sans en faire un objet d’étude autonome.

Or la diététique est au croisement de plusieurs histoires : celle de la médecine, celle des savoirs scientifiques, celle des pratiques sociales et culturelles liées à l’alimentation. L’écrire dans sa globalité, c’est montrer qu’elle constitue un fil rouge de notre rapport au corps et au plaisir de vivre.

Cette longue durée permet aussi de mieux comprendre nos débats contemporains : entre science nutritionnelle, crises sanitaires liées à l’industrialisation alimentaire, et désir croissant des individus de reprendre la maîtrise de leur alimentation.

Pour en savoir plus

Bruno Laurioux est historien, professeur émérite à l’université de Tours. Il préside l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation. Son ouvrage Une histoire de la diététique est paru en mai 2025 aux éditions du CNRS. 

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Marina Bellot

Ecrit par

Marina Bellot

Marina Bellot est journaliste indépendante, diplômée de l'Ecole de journalisme de Sciences Po. Elle a co-fondé en 2009 Megalopolis, un magazine d'enquêtes et de reportages sur la métropole parisienne, qu'elle a dirigé pendant trois ans. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des adolescents et a co-écrit une biographie de Jean-François Bizot, L'Inclassable, parue chez Fayard en 2017.

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