Écho de presse

Au XIXe siècle, premières célébrations de la gastronomie française

le 19/02/2021 par Marina Bellot
le 10/09/2018 par Marina Bellot - modifié le 19/02/2021
Photographie d'une illustration du « Livre de cuisine » de Jules Gouffé, paru en 1867 - Domaine public
Photographie d'une illustration du « Livre de cuisine » de Jules Gouffé, paru en 1867 - Domaine public

Tout au long du XIXe siècle, la gastronomie française s'affirme de plus en plus dans la presse comme un pan à part entière de la culture française : grands chefs et critiques culinaires lui donnent alors ses premières lettres de noblesse.

Après les temps difficiles de la Terreur, l’époque est à la célébration des plaisirs de la vie, et la bonne chère est à l’honneur chez les bourgeois de la France du début du XIXe siècle. La « science de la gueule », comme on l'appelait jusqu'alors, est supplantée par l'expression plus raffinée de « gastronomie ».

Tandis que les premiers restaurants, ouverts à la Révolution par des cuisiniers désœuvrés – pour cause d’exil de leurs maîtres –, se multiplient à Paris, une nouvelle corporation se développe : celle des critiques gastronomiques.

L’un de ses pères fondateurs est Grimod de La Reynière (1758-1837), véritable célébrité de son temps, qui publie en 1803 le tout premier guide gastronomique, L'Almanach des gourmands :

« Almanach des gourmands, ou Calendrier nutritif, servant de guide dans les moyens de faire excellente chère, suivi de l’itinéraire d’un gourmand dans divers quartiers de Paris, et de quelques variétés morales, nutritives, anecdotes gourmandes , etc. ; par un vieux amateur. »

Le succès est immédiat : L'Almanach des gourmands se vend comme des petits pains, et la presse ne tarde pas à reprendre l'idée en proposant à ses lecteurs des chroniques gourmandes

Un autre gastronome haut en couleurs révolutionne son époque : l'avocat et ancien député du Tiers-État Jean Anthelme Brillat-Savarin, qui publie sa Physiologie du goût en 1825 avec une épigraphe qui fera recette : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ».

Véritable traité de gastronomie, aux croisées de la philosophie et de la science, l’ouvrage s’impose immédiatement comme une référence en la matière. 

Le très sérieux Constitutionnel salue ainsi la parution de cet ouvrage hors norme : 

« Son livre est un recueil de découvertes qui font le plus grand éloge de la sagacité de son goût, de la pénétration de son esprit ; c'est tout à la fois un traité de gastronomie et de philosophie transcendante.

Son but est d'être utile à l'humanité ; et lorsqu'il arrive à une vérité nouvelle, c'est avec, un air de triomphe, avec une joie parfaite qu'il l'annonce solennellement à la société. Nous allons en citer un exemple frappant :  

“​Je suis heureux, dit-il, on ne peut pas plus heureux, de pouvoir donner à mes lecteurs une bonne nouvelle, à savoir que la bonne chère est bien loin de nuire à la santé, et que, toutes choses égales, les gourmands vivent plus longtemps que les autres.”

Nous nous empressons de donner à cette découverte la plus grande publicité. Quel encouragement pour la gourmandise ! »

Dans ce contexte de célébration de la bonne chère paraît en 1830 le journal Le Gastronome, sous-titré « journal universel du goût », et qui s'autoproclame d'utilité publique tant, écrivent ses auteurs, la gastronomie est une affaire sérieuse, aux ramifications transverses :

«​ Jamais l'art de bien vivre n'a été poussé aussi loin qu'aujourd'hui. [...] 

Ce journal peut prétendre à un succès universel, puisque le sujet dont il traite se rattache à tout généralement. La chimie, l'histoire naturelle, la botanique, l'hygiène, la chasse, la pêche, etc., etc., ont des rapports intimes avec la gastronomie, qui est un des liens de la société actuelle. [...]

La cuisine est l'alpha et l'oméga ! La chimie ? cuisine. L'histoire naturelle et la botanique ? cuisine. La médecine et l'hygiène ? cuisine. L'économie politique, le commerce, la charte constitutionnelle ? cuisine ! cuisine ! cuisine !

On comprend qu'une nation puisse subsister sans lois, sans impôts, sans gaz hydrogène, mais non jamais sans cuisine ! C'est le culte universel des vivants et des bons vivants. »

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De grands chefs marquent aussi leur époque en élevant la cuisine au rang d'art, tel Antonin Carême et son Art de la cuisine française au XIXe siècle, livrant ses recettes de potages et bouillons, sauces et garnitures, pièces de boucherie, volaille, gibier et poissons, ou Jules Gouffé, dont le monumental Livre de cuisine fait saliver La Gazette de France :

«​ Après avoir feuilleté cet énorme volume contenant plus de 800 pages, farci de vignettes et de planches alléchantes, l’impression que nous éprouvons est avant tout physique et se manifeste dans notre estomac par les symptômes d’un violent appétit.

Sans être gourmand ni gourmet, nous n’avons pu voir impunément défiler des entrées, des rôtis, des entremets, des pièces admirablement montées, garnies de truffes, de champignons, de crêtes de coq et d’écrevisses ; la chromo-lithographie donne à tous ces plats un aspect si naturel qu’on croit sentir avec les yeux le fumet des victuailles, et que les papilles de la langue mises en travail par suite d’une corrélation entre les sens de la vue et du goût font, comme on dit, venir l'eau à la bouche. »

Et La Gazette de France de se réjouir : 

«​ La cuisine française paraît seule capable de fournir matière à un volume aussi considérable que celui de Gouffé : cette supériorité culinaire est-elle une gloire qu’il faille revendiquer ?... Eh, pourquoi pas ! »

Comme on le sait, la gastronomie française ne cessera de s'affirmer au siècle suivant et de s'exporter hors de nos frontières pour être peu à peu célébrée dans le monde entier – jusqu'à entrer au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO en 2010.

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