Écho de presse

A la recherche de Vulcain, hypothétique planète inconnue

le 21/04/2023 par Nicolas Méra
le 18/04/2023 par Nicolas Méra - modifié le 21/04/2023

En 1859, Urbain Le Verrier postule l’existence d’une planète inconnue du Système solaire, située dans l’orbite de Mercure : Vulcain, invisible dans la lunette des télescopes, va alors faire l’objet d’une traque acharnée aux accents patriotiques.

Avant de maîtriser l’algèbre, les astronomes amateurs ont compté sur leurs yeux pour dresser la carte du cosmos. Dès l’Antiquité, on place cinq planètes errantes dans le ciel étoilé : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sont identifiées, tout comme le sont, à l’évidence, le Soleil et la Lune. Des objets plus distants attendront l’avènement des lunettes astronomiques, à partir du XVIIe siècle, pour être épinglés sur la carte du cosmos – les anneaux de Saturne en 1655, Uranus en 1781, et partout des satellites et des comètes. Cet âge d’or culmine au XIXe siècle.

En 1846, la découverte d’une huitième planète – Neptune – fait sensation. En effet, elle n’est pas sortie du fond des cieux par l’observation des étoiles, mais par les savants calculs d’un astronome français, un certain Urbain Le Verrier. La presse lui tresse une couronne de lauriers, à l’instar de la Gazette de Lyon du 11 octobre 1846 :

« Une des plus belles découvertes qui aient été faites dans les sciences, vient de placer un Français à côté des Laplace, des Newton, des Képler, à côté des noms les plus illustres qui brillent dans l’histoire.

C’est une chose admirable que d’avoir su déduire de formules mathématiques, de pures considérations d’équilibre céleste, la preuve de l’existence d’une planète nouvelle, et, ce qui est plus encore, indiquer la place occupée par l’astre inconnu, et sa masse et son intensité, et sa vitesse dans l’espace.

Ce fut de la part de M. Leverrier un trait d’audace, lui qui n’avait regardé dans aucun instrument, de dire aux astronomes : Regardez là, et vous verrez cet astre. On ne voulait pas croire à la possibilité d’une pareille coïncidence de la théorie avec les faits. Mais enfin, les astronomes ont regardé, et ils ont vu la planète nouvelle. »

Comment expliquer ce tour de force ? Urbain Le Verrier a constaté, en 1844, des irrégularités dans la trajectoire d’Uranus, la dernière-née du Système solaire. S’appuyant sur les données de la mécanique newtonienne, il en conclut qu’un autre corps céleste doit influencer son orbite… Après quelques jours de travail, il expédie ses calculs à Berlin où un collègue, Johann Gall, confirme son hypothèse en localisant la planète : sa position dans le ciel est conforme aux prédictions de l’astronome à cinq degrés près !

La découverte fait l’effet d’une bombe dans la communauté scientifique, à grand renfort de rhétorique patriotique. Nous sommes alors sous Napoléon III, dans un contexte où la France cherche à glorifier son image à l’international : les percées scientifiques contribuent à étendre ce rayonnement. A l’Académie des Sciences, François Arago prononce une phrase restée célèbre : « M. Le Verrier vit le nouvel astre au bout de sa plume ». Selon la légende, on aurait presque hésité à donner à la nouvelle planète le nom du savant… avant d’opter, plus sagement, pour Neptune, dieu romain des sources et des eaux vives.

Fort de ce succès, Le Verrier accède au 1854 à la direction du prestigieux Observatoire de Paris. Mais l’exploit peut-il être réédité ? En 1859, c’est une autre irrégularité mathématique qui taraude l’astronome : 43 secondes. C’est le décalage temporel dans l’orbite de Mercure que les scientifiques, en ce milieu du XIXe siècle, s’efforcent de justifier. Le Verrier est confiant : il devrait exister une neuvième planète – ou un chapelet d’astres isolés – coincée entre Mercure et le Soleil. Sans plus attendre, on baptise l’inconnue Vulcain, du nom du dieu romain de la forge et des volcans.

Une nouvelle fois, la fièvre patriotique s’empare de l’affaire. La presse encense, même sur le tard, cette semi-découverte : en témoigne cet article placé en Une du Petit Journal, le 5 septembre 1876. Le souffle lyrique de l’article témoigne bien, en pointillés, de l’obstination de la nation française à reconstruire son prestige après la cuisante défaite de Sedan (1870) face aux Prussiens.

« Le monde des astronomes est dans la joie ; le monde des mathématiciens dans la félicité. L’alliance de l’algèbre avec le télescope vient d’affirmer une victoire de plus. La neuvième grande planète est découverte, ou du moins retrouvée. […]

La planète en question effectivement, planète à laquelle a été donné le nom mythologique de Vulcain, gravite dans le voisinage même du général en chef de notre système, à une distance où l’on ne soupçonnait guère, il y a trente ans, l’existence d’un monde. La découverte qui a été faite est remarquable.

D’abord, elle rehausse encore, et singulièrement, une science déjà la plus élevée de toutes : l’astronomie. Car elle corrobore de nouveau, et de la manière la plus éclatante, l’accord qui s’est constamment manifesté entre les prévisions du calcul et la réalité matérielle.

Ensuite, – et c’est par pure modestie que je place au second rang cette remarque patriotique – elle permet de constater que la France enregistre encore un succès intellectuel. »

La première fois, la présence de Neptune avait été confirmée par l’observation physique ; ici encore, l’appui des astronomes s’avère nécessaire afin d’accréditer l’existence de Vulcain, sans doute « noyée » dans l’éclat du soleil. Dès 1859, un astronome amateur, le docteur Edmond Lescarbault, disait avoir observé depuis son observatoire d’Orgères, en Eure-et-Loir, un cercle noir sur le disque solaire. Ne reste plus qu’à transformer l’essai.

C’est le début d’une chasse acharnée. Observateurs allemands, français, anglais tentent d’accrocher Vulcain dans leurs lunettes astronomiques, profitant des rares éclipses solaires ou s’appuyant sur les prédictions de Le Verrier pour guetter la belle inconnue. En vain : elle se dérobe à chaque fois aux regards des astronomes. « Le Verrier annonça que Vulcain, s’il existait, passerait sur le Soleil le 23 mars 1877, note le Journal des débats politiques et littéraires en 1937. Ce jour-là, tous les télescopes furent braqués sur l’astre : rien n’arriva. Vulcain devenait de plus en plus douteux. »

Après les éloges, vient le temps de la consternation. Vulcain n’existe pas ; les rares observations n’étaient, en réalité, que de banales taches solaires. Comme il en est parfois le cas dans le champ scientifique, où l’hypothèse précède l’observation, on a simplement vu ce que l’on voulait voir.

Moins d’un an après l’échec du 23 mars, Urbain Le Verrier s’éteint à l’Observatoire de Paris, son lieu de travail, sans avoir pu prouver l’existence de Vulcain. Parue dans Le Petit Caporal du 26 septembre 1877, sa notice nécrologique conserve les accents patriotes :

« Cette perte sera vivement ressentie non seulement par le monde savant, mais par tous ceux qui ont le souci de l’honneur national.

La vie de cet homme d’étude et de science a jeté plus d’éclat sur sa patrie que beaucoup d’autres existences qui ont fait plus de tapage et qui n’ont rien laissé après elles. »

Pas un mot sur la traque infructueuse de Vulcain, qui laisse planer un sentiment d’amertume sur son héritage. L’un des rares à oser mentionner la planète énigmatique dans sa nécrologie, le journal Le Rappel du 28 septembre, se permet de glisser que « la question reste toujours pendante ».

« Pendante », la question le reste jusqu’en 1915, date à laquelle un jeune physicien publie sa théorie de la relativité générale : il s’appelle Albert Einstein. Selon lui, une masse céleste conséquente est capable de courber l’espace et le temps, justifiant ainsi les écarts mathématiques calculés dans l’entourage du Soleil. L’énigme de Vulcain est enfin levée : « à M. Einstein revient l’incontestable gloire d’avoir enfin trouvé une clef au mystère des 43 secondes récalcitrantes » peut-on lire, non sans une once de regret, dans La Revue Universelle du 1er mars 1921. Vulcain ne sera donc jamais française.

Quittant le giron des sciences astronomiques, la planète qui n’a jamais existé se réfugie dans la fiction : en 1966, Vulcain figure l’astre en fusion d’où est originaire M. Spock dans la saga Star Trek, ainsi qu’une colonie scientifique infestée de Daleks dans Doctor Who. Que l’on se rassure : son héritage est sauf.