Interview

Hubert Reeves : « Le premier XXe siècle fut un âge d'or pour l’astrophysique »

le 24/01/2020 par Hubert Reeves, Arnaud Pagès
le 16/01/2020 par Hubert Reeves, Arnaud Pagès - modifié le 24/01/2020
Les grands physiciens de la première moitié du XXe siècle Robert A. Millikan, Georges Lemaître et Albert Einstein, 1933 - source : WikiCommons
Les grands physiciens de la première moitié du XXe siècle Robert A. Millikan, Georges Lemaître et Albert Einstein, 1933 - source : WikiCommons

La majeure partie de ce que nous savons sur l'univers a été découvert entre 1900 et 1940. Astrophysicien mondialement connu, Hubert Reeves revient pour nous sur cette période faste, marquée par une série de découvertes révolutionnaires.

Vulgarisateur scientifique hors pair, l’astrophysicien canadien Hubert Reeves est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages sur la physique nucléaire,  l’astronomie et l’astrophysique. Poussières d'étoiles paru en 1984, Dernières nouvelles du cosmos en 1994, ou Les Secrets de l'univers, publié en 2016 chez Robert Laffont, ont ouvert à un large public des connaissances de première main de la part d’un professeur d’université autrefois directeur du CNRS. Écologiste convaincu, il a également rédigé plusieurs livres ayant pour thème l’environnement et sa sauvegarde, notamment Malicorne en 1986.

Avec lui, nous sommes entretenus au sujet des découvertes scientifiques sans précédent ayant fait basculer, au début du XXe siècle, le monde dans l’ère atomique contemporaine.

Propos recueillis par Arnaud Pagès

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RetroNews : Au XIXe siècle, comment se représente-t-on l'univers ?

Hubert Reeves : Ce sont les théories d'Aristote qui font loi. Selon le grand philosophe, l'univers existe depuis toujours et il est parfaitement statique. Il est séparé en deux, avec une partie dite « cislunaire », qui englobe la Terre et la lune, et une partie « translunaire » qui correspond au cosmos. En gros, c’était l’idée du ciel et de la Terre. L'espace cislunaire correspond à celui du changement, les arbres grandissent,  l'eau coule, le métal rouille, etc. L'espace translunaire, lui, est celui des substances pures, éthérées et parfaites... Cette explication était plus ou moins acceptée passivement par la totalité des scientifiques.

Qu'est ce qui va changer, selon vous, à compter de 1900 ?

Le premier grand bouleversement vient avec Einstein et la découverte de la relativité restreinte et générale, de même qu'avec les modèles de représentation tout à fait nouveaux qui en découlent. Dans la foulée, il y a la compréhension de la nature quantique de l'univers opérée par Planck.

« Sur le progrès scientifique », défense des recherches et découvertes de Max Planck dans L’Humanité, 1914

En astronomie, la plus grande découverte est celle du Big Bang, c'est à dire de l'origine de l'univers. À partir de 1930, les astrophysiciens prennent conscience du fait que l'univers a une histoire et qu'il est en expansion constante. Cette découverte, que l'on doit à Edwin Hubble, a été rendu possible grâce à des télescopes puissants installés en Californie sur les monts Palomar et Wilson.

Cela veut dire qu'Einstein n'avait pas connaissance de la nature dynamique de l'univers lorsqu'il a fait paraître la théorie de la relativité restreinte en 1905, puis la théorie de la relativité générale dix ans plus tard ?

Tout à fait. Il l'a appris après coup. D'ailleurs, il n'était pas d'accord au début.. Il était aligné sur le modèle d'Aristote. Pendant longtemps, il n'a pas cru au Big Bang. Grâce aux travaux de Lemaître, réalisés à partir des observations de Hubble, l'univers passe alors d'un modèle statique à un modèle dynamique. Avant 1930, l'univers n'a pas d'histoire. Juste après, il en a une.

« “L’univers finira par éclater”, nous dit Georges Lemaître, astronome et chanoine », Gavroche, 1948

L'étude de ce passé très vaste – quelque 13,8 milliards d'années – va alors nourrir le travail des astrophysiciens et des physiciens. Il faut étudier l'histoire de la matière pendant cette très longue période. Hubble va démontrer que les galaxies s'éloignent les unes des autres et que l'univers est extrêmement grand, infiniment plus que ce que l'on pensait.

Précédemment, Einstein avait-il déjà modifié une certaine vision de l'univers avec le concept de la relativité ?

Einstein a bouleversé les lois de la physique. Il a apporté une réflexion et des solutions à des difficultés théoriques qui existaient depuis la fin du XIXe siècle, comme les conflits entre la théorie électro-magnétique et la théorie de Newton sur l'origine de la lumière.

Einstein, c'est un progrès théorique. Hubble, c'est un progrès observationnel.

J’imagine qu’au même moment, les découvertes de Planck sont  également extrêmement importantes.

Planck a amené l'idée des quanta. Il y avait une difficulté... On ne comprenait pas comment se comportait le spectre de la lumière à une certaine température. Un peu avant 1900, il va trouver la solution, qui, combinée ensuite aux observations d’Einstein – notamment sur l'effet photoélectrique –, va donner naissance à la physique quantique.

À partir de 1920, elle va être pensée et énoncée par des gens comme Bohr, Eisenberg, Schrödinger, Dirac ou encore Debreuil, pour être acceptée à partir de 1930 comme la théorie fondamentale de la physique. D’un coup, on considère que la physique classique, énoncée par Newton ou Galilée, a vécu.

« Deux prix Nobel à deux révolutionnaires de la physique », Erwin Schrödinger et Werner Heisenberg, L’Intransigeant, 1933

Et c'est à peu près au même moment que l'existence des trous noirs est confirmée.

Au début du XVIIIe siècle, Laplace avait déjà déduit que les trous noirs existaient certainement, grâce à la vitesse d'échappement. Que se passe-t-il lorsqu’un corps est si compact que sa vitesse d'échappement est supérieure à celle de la lumière ?

Mais il s’agissait simplement d’une possibilité à l'époque. La physique des trous noirs a été développée par Oppenheimer grâce aux travaux sur la relativité,  et leur existence a ensuite été confirmée par Einstein.

Toutes ces avancées ont-elle généré des polémiques dans les cercles scientifiques comme dans la sphère publique ?

Beaucoup d'astrophysiciens n'étaient pas d'accord avec les découvertes de Hubble... Et il y avait aussi le point de vue des religieux. Avec le Big Bang, certains d'entre eux, et notamment Pie XII, ont conclu qu'on avait découvert le fiat lux, le moment où Dieu est censé avoir créé la lumière. En URSS également, on a assisté à un rejet très fort de l'idée d'un univers en expansion.

L'église catholique et les autorités soviétiques se sont vigoureusement opposées à la théorie du Big Bang. Mais ça n'a pas duré.

« Il y a quelque chose de radicalement erroné dans les idées fondamentales de la physique moderne », L’Homme libre, 1930

La relativité avait-elle été plus facilement acceptée, diriez-vous ?

Oui, parce qu’il ne s’agit pas d’une théorie remettant en cause la religion ou une interprétation de nos origines. De même en ce qui concerne la physique quantique, qui a pourtant complètement changé notre vision du monde. Mais quand on parle des débuts de l'univers, là on pose un pied dans un pré carré, celui des religions.

Avant la Seconde Guerre mondiale, y a-t-il eu d’autres découvertes que vous qualifieriez d’aussi importantes que celles évoquées plus haut ?

Sans doute le développement de la physique nucléaire. L’idée des deux forces, la forte et la faible, a été mise en évidence dans les années 1930. Je dirais également la découverte du proton en 1913 par Rutherford,  puis celle du neutron en 1932.

Ce fut une période incroyablement prospère pour l'astrophysique mais qui semble aujourd’hui bien loin. Depuis les années 1970, je dirais que l’on assiste peut-être à une forme de ralentissement.

La bande dessinée de vulgarisation destinée aux enfants Hubert Reeves nous explique : Les Océans est parue en 2019 aux éditions Le Lombard.