Écho de presse

William Randolph Hearst, le vrai Citizen Kane

le 28/05/2018 par François Cau
le 07/03/2018 par François Cau - modifié le 28/05/2018
William Randolph Hearst en 1923, photographie de presse, Agence Rol - source : Gallica-BnF

Le magnat de la presse et aspirant politicien Hearst, inspiration du Citizen Kane d’Orson Welles, était méprisé par la presse française. Au moins autant que l’actuel président américain.

Après deux élections victorieuses au Congrès, le magnat de la presse William Randolph Hearst se lance dans la course à l’investiture démocrate en 1904. Une première occasion d’évoquer son nom en des termes peu flatteurs dans Le Temps.

« Peut-être ne le connaissez-vous pas encore. Fils de millionnaire, millionnaire lui-même, père d’un petit millionnaire, propriétaire et directeur de huit grands journaux à New York, Chicago, San Francisco et Los Angeles, propagateur sinon inventeur de la fameuse “presse jaune”, M. Hearst est aujourd’hui candidat à la présidence de la République.

Cela seul ferait de lui un homme curieux à connaître s’il n’était pas par ailleurs une personnalité caractéristique, un type – le type de l’arriviste américain. »

Le parallèle avec le 45e locataire de la Maison Blanche, Donald Trump, s’étend plus loin dans le récit de sa trajectoire, évoquée avec la même morgue pour sa fortune donnée clé en main, et le même mépris de classe pour son lectorat/électorat. Lui sont ainsi reprochées la création et la popularisation à travers le monde de la presse à scandale, surnommée « jaune » pour la couleur de ses feuilles.

« En fait, la presse jaune est aussi vieille que la démagogie et l’esprit démagogique. Partout où il y a une foule ignorante et qui sait lire, il se trouve des écrivains pour lui rédiger le genre de littérature qui la flatte et qu’elle peut apprécier. […]

Ce qui les intéresse, ce n’est pas une discussion sur le tarif des douanes ou les élections municipales de Philadelphie, mais c’est un beau crime, mystérieux et sombre, un divorce avec détails scabreux, un vol dans une banque, un scandale dans le grand monde, un accident de chemin de fer ou de mine.

C’est cela précisément que M. Hearst leur donna. »

L’investiture cependant lui échappa. Deux ans plus tard, pour sa troisième campagne pour le Congrès, L’Humanité se voue à lui trouver des qualités pour ses accointances socialistes, tout en reconnaissant  toutefois ses méthodes crapuleuses pour parvenir à ses fins.

En 1916, le patron de presse trouve grâce vis-à-vis des commentateurs pour sa prise de position pro-française dans le premier conflit mondial, mais la lune de miel est de courte durée. Dès 1917, Hearst se voit taxé « d’intelligence avec l’ennemi » contre les intérêts français.

En cause, la visite d’un diplomate allemand au patron de presse, et la prise de position de celui-ci contre la poursuite des combats et contre l’envoi de soldats américains sur le front.

Pour L’Action française, le journal de la droite nationaliste farouchement anti-Allemagne (et souvent paranoïaque), le timing apparaît suspicieux.

« Dans les débuts du conflit, quand les forces germaniques poussaient rapidement en avant, qu’elles gagnaient chaque jour du terrain, Hearst éleva une énergique protestation contre la guerre.

Ce fut seulement lorsque la ruée sur Paris fut enrayée que Hearst trouva la guerre odieuse et barbare et commença à plaider en faveur de la paix et que ses journaux se firent l’écho de toutes les suggestions de l’Allemagne pour la paix, mais toujours – et cela est à remarquer – en faveur de la “paix allemande”, qui laisserait aux empires centraux la maîtrise de l’Europe. »

Quelques années plus tard, La République française taxe Hearst « d’ennemi de la France » en réaction à l’une de ses sorties à l’emporte-pièce. C’est désormais le rôle que lui attribuera la presse française à chacune de ses apparitions.

Dans l’affaire Horan concernant le détournement d’un document relatif à un accord naval, il est immédiatement désigné responsable par Le Matin.

Même son de cloche à L’Écho de Paris. L’assimilation de William Randolph Hearst à la figure du traître, ennemi de la nation française, se généralise. Deux ans plus tard, pour sa première visite sur le sol français depuis l’affaire Horan, le patron de presse se voit officiellement signifier son statut de persona non grata sur le territoire.

« Au début de l’après-midi, un commissaire spécial se présentait à l’hôtel et notifiait à M. Hearst l’arrêté d’expulsion le concernant.

En apprenant qu’il devait quitter la France dans un délai de vingt-quatre heures, M. Hearst se contenta de sourire. Mais il fit, sans tarder, ses valises. Dès 16 heures, il quittait son appartement en déclarant à son entourage :

– Je reçois un télégramme qui m’appelle d’urgence à Londres.

Et M. Hearst prit le train pour l’Angleterre. »

En septembre 1932, l’hebdomadaire de l’ultra-droite Je suis partout profite d’une enquête au long cours sur la presse américaine pour abreuver Hearst d’insultes. L’hostilité à son endroit monte encore d’un cran lorsque le magnat pose la question du remboursement de la dette de guerre de la France aux États-Unis.

Lorsqu’il renonce à la maîtrise de son empire médiatique en 1938 pour éviter la liquidation, la titraille du Matin a la dent dure, n’éprouvant « aucune compassion » envers le destin du milliardaire.

« En triplant l’immense fortune de son père, il a soulevé autant de haine que Rockefeller en bâtissant la sienne, mais à l’encontre du roi du Pétrole qui lègue à son fils un nom respecté et estimé pour tout le bien qu’il sut faire dans la deuxième partie de sa vie, William Randolph Hearst disparaît de la scène dans l’indifférence et le mépris.

Il y a quelque chose de tragique dans cette abdication, mais nous n’éprouvons aucune compassion, car si les États-Unis n’ont pour la France tout l’amour profond qu’ils éprouvaient pour elle en 1919, les campagnes antifrançaises de W. R. Hearst y sont, hélas, pour quelque chose. »

Le nom de l’ennemi d’État tombe alors dans l’oubli.

Lorsque sortira Citizen Kane d’Orson Welles, la source d’inspiration sera reléguée à une simple mention, avec faute d’orthographe en sus dans son nom.