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Les mineurs polonais dans l’entre-deux-guerres française

À la suite de la Première Guerre mondiale, une large population ouvrière polonaise s’installe dans le nord et le nord-est de la France. D’abord célébrée pour son savoir-faire et sa culture, cette immigration devient suspecte, puis irrecevable au fur et à mesure des années trente.

Le mineur est l'une des figures symboliques de la Seconde révolution industrielle en France. Parmi eux, les mineurs étrangers, et en particulier polonais à partir des années vingt, vont prendre une place importante.  Les mineurs polonais sont, après 1919, un symbole d’une période de coopération, d’échanges, mais génèrent aussi des représentations beaucoup moins positives, fondée sur une xénophobie qui va s’accentuer avec la crise des années trente.

Les premières vagues d’immigration économique depuis le territoire polonais – alors russe, austro-hongrois (puis autrichien) ou prussien et westphalien (puis allemand) – remontent aux campagnes agraires du XIXe siècle. En 1914 cependant, ces ouvriers polonais ne sont encore que 10 000 en France. Mais au sortir de la Première Guerre mondiale, la France, dont la natalité est déclinante, saignée d’une large partie de sa population masculine jeune, se trouve plus que jamais en manque de main-d’œuvre.  Elle est donc décidée à faire venir des bras extérieurs pour reconstruire un pays dont une partie est en ruines.

Le 3 septembre 1919, est donc signée à Varsovie une convention d’immigration entre la France et le tout jeune État polonais, né des décombres des empires. Elle prévoit le recrutement massif de travailleurs polonais, notamment dans les régions industrielles minières. L’année suivante (3 juillet 1921), le projet de loi « portant approbation de la convention relative à l'assistance et à la prévoyance sociales conclue entre la France et La Pologne » est adopté par la Chambre des députés.

Au départ, dans le Nord et l’Est de la France, cette émigration est prise en charge par le ministère des Régions libérées. En 1921, le ministère passe la main au Comité des houillères de France qui établit directement des bureaux de recrutement en Pologne.

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« Polonia »

C’est ainsi l’origine de la « Polonia », une immigration polonaise massive et organisée qui bat son plein dans les années 1920, et connaît dès ses débuts une réception mitigée.

Ainsi, en 1919, alors que le pays affronte une crise de surproduction liée à la fin de la guerre, La France Libre, un organe de propagande de socialistes français refusant le bolchevisme, dénonce les risques d’une concurrence des salaires. Au même moment, d’autres journaux se plaignent de la vétusté des conditions de transport de ces travailleurs, qui risquent d'apporter en France des vagues de maladie, alors que la grippe espagnole est encore dans toutes les têtes. Néanmoins, dans un premier temps, la presse s’empare peu du phénomène, si ce n’est sous ses aspects économiques ou au sujet des termes et conditions de la convention, en se fondant parfois sur des informations prises dans des journaux polonais.

Cependant, dans les régions minières, la main-d'œuvre polonaise semble très attendue. Au début des années 1920, les presses régionales alsacienne, du Nord et du Pas-de-Calais ou de Saône-et-Loire, à l’instar de l’Express de Mulhouse en 1922, espèrent ainsi voir arriver massivement de nouveaux ouvriers polonais suite aux accords de 1919. Encore en 1931, le Courrier de Saône-et-Loire remercie la Pologne et les mineurs polonais lors d’une fête ouvrière au Creusot.

La convention est ainsi présentée comme satisfaisante pour les deux parties. Les journaux évoquent aussi plus largement une amitié franco-polonaise forte et unie par des intérêts communs et rappellent une entente culturelle ancienne. En 1925 et 1929, le gouvernement français autorise d’ailleurs aux compagnies minières l’ouverture d’écoles où l’enseignement est dispensé en polonais, ce que l’historienne Janine Ponty qualifie d’« exception polonaise » puisqu’elle donne la « possibilité d’embaucher des ‘moniteurs scolaires étrangers’ ». Pour autant, aux yeux du gouvernement français, ces écoles ont surtout pour but de faciliter le passage des enfants polonais à l’enseignement secondaire français.

Avec ces arrivées massives, la diaspora polonaise installée dans les corons français importe aussi sa culture à travers des fêtes, la gastronomie, la religion… Et, signe évident de cette émigration massive, des journaux en Polonais sont édités dans les bassins miniers. Ainsi, le quotidien socialiste Naradowiec quitte Herne en Westphalie pour installer son siège à Lens en 1924.

Dans le cadre de cette émigration institutionnalisée, ce sont en effet très vite des familles entières qui se déplacent et viennent s’installer près des mines. Des hommes jeunes, mais aussi des femmes, des enfants, et parfois même leurs parents âgés émigrent vers la France pour travailler. Si la loi du 19 mai 1874 interdit le travail des femmes et des enfants au fonds des puits, elle autorise la distribution des lampes aux hommes ou le tri du charbon (les « ramasseuses de cailloux »), un travail particulièrement éprouvant effectué sans gants, ni protection. Souvent, les enfants de ces familles deviennent à leur tour mineurs. Ce déterminisme social renforce le communautarisme polonais et entérine le regard porté sur celui-ci par la presse française – qui servira bientôt à justifier les expulsions de masse des années 1930.

Dès leur arrivée sur le sol français, les travailleurs polonais forment en effet de petites communautés nationales, un fait constaté très tôt par les journaux. En 1922, L’Express de Mulhouse dresse ainsi le bilan de trois ans d’immigration industrielle polonaise et remarque le souci qu’ont ces « colonies polonaises » de « maintenir l’usage de la langue et des traditions nationales », même si Henri de Montfort conclut son article en souhaitant que se poursuive cette alliance franco-polonaise, « résultante non seulement d’une mutuelle sympathie, mais aussi des intérêts communs et bien entendus ».

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Dans les bassins miniers, les Polonais entre catholiques, communistes et socialistes

Les Polonais restent ainsi attachés à leur « identité », qui passe notamment par un fort sentiment religieux, dans une France républicaine laïque, plus largement déchristianisée. Cet attachement au catholicisme les place, notamment aux yeux des journaux socialistes et communistes, dans une position ambigüe. Les journaux de gauche alternent ainsi entre des articles de soutien envers les camarades mineurs polonais et des articles vindicatifs contre les fêtes religieuses qui jalonnent la vie des mines.

Le combat du PCF contre les catholiques dans l’encadrement des populations ouvrières trouve ici un point d'achoppement.  Ainsi, en 1929, quand les Houillères, de tradition souvent très catholique, tentent de faire revivre le régime de la « quinzaine Sainte-Barbe » (entre le 15 et le 30 novembre, on augmente fortement la productivité pour pouvoir fêter dignement la sainte, censée protéger les fosses des accidents, le 4 décembre), les communistes protestent :

« C'est clair, c'est catégorique. Tout va être tenté auprès des mineurs pour les obliger aux longues coupes, au retour néfaste de la quinzaine Sainte-Barbe. »

Les mères polonaises et leurs enfants sont aussi parfois stigmatisés dans les journaux communistes, comme c’est le cas dans la revue Regards en date du 9 mars 1934. C'est pourtant le moment où arrive au PCF une politique familialiste venue d’URSS. L’article, signé d’Ida Paul, se moque ainsi des associations catholiques qui donnent des médailles aux mères de familles nombreuses, qui ne seraient en fait que des femmes ayant manqué de prudence en tombant enceinte de si nombreuses fois – et dont les enfants finiront « au cimetière » :

« Parce qu'elles n'ont pas osé braver la loi par laquelle la bourgeoisie les contraint à donner le jour à de futurs chômeurs, tuberculeux, à de la chair à canon et à prison.

Elles n'ont su qu'accepter passivement leur sort, et c'est ainsi qu'elles ont donné le jour à cinq, à huit à dix enfants. »

Ainsi les mères dignes d’intérêt seraient les combattantes, dont « les femmes de mineurs polonais qui montent la garde des semaines durant devant les puits où les hommes font la grève de fond ».

Ce lien avec la religion est aussi lié au fait que dès leur arrivée, les travailleurs polonais réclament des prêtres de leur nationalité. En 1923, des abbés sont ainsi dépêchés par la Mission catholique polonaise. Ils sont parfois directement pris en charge par les employeurs, même si nombre d’entre eux refusent cette contribution, par intérêt ou par principe.

L’identité polonaise est sans doute davantage véhiculée par ces associations culturelles, musicales, artistiques et sportives, souvent liées à la paroisse s’il y en a une. Ces groupes sont un vecteur de préservation de l’identité culturelle mais constituent aussi un facteur de stigmatisation. En effet, ils renforcent l’entre soi et donc en génèrent de la méfiance, même si, en 1922 à Mulhouse, toujours selon Henri de Montfort :

« D’une façon générale, les émigrants s'entendent parfaitement avec la population locale et leurs camarades français.

On voit aisément les grands avantages de cette interpénétration qui constitue l'un des plus solides liens pouvant unir les travailleurs de France avec les travailleurs de Pologne. Il n’y a pas de meilleur champ de connaissance que le travail commun, le partage du même labeur, du même salaire, des mêmes joies et des mêmes souffrances. » 

Malgré l’anticléricalisme traditionnel du mouvement ouvrier français et la forte religiosité des populations polonaises à leur arrivée, un certain nombre de Polonais vont rejoindre les rangs du PCF ou de la SFIO, et se syndicaliser. Ils apparaissent alors pour les partis ouvriers comme des camarades, figures du peuple opprimé par excellence, mais aussi illustrations d’une internationalisation des luttes et des peuples. Le 27 juillet 1922, le journal socialiste et pacifiste La Vague publie ainsi un article dénonçant le traitement des mineurs polonais.

A l’arrivée des immigrants polonais au début des années vingt, le syndicat des mineurs affilié à la Confédération générale du travail unifiée (CGTU), communiste, et les militants communistes de la Section Française de l’Internationale Communistes (SFIC) distribuent des tracts en polonais, et organisent des réunions d'information à destination des nouveaux arrivants. Certains sont déjà détachés de l'Église, d’autres vont dès lors s’en éloigner. La CGTU et la CGT comptent ainsi dans leurs rangs environ 24 000 Polonais dans les années 1920, contre approximativement 80 000 en 1936. Ils disposent d’ailleurs de leurs propres journaux ancrés à gauche, comme Robotnik Polski édité par la CGTU (souvent interdit, il change de nom et devient Glos Pracy).

Ce journal s’oppose à Prawo Ludu, journal syndical de la CGT réformiste, reprenant ainsi l’opposition bien connue entre le parti communiste et le parti socialiste, alors particulièrement forte dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais. Ainsi, en 1934, Pierre Vigne, secrétaire général de la Fédération CGT du sous-sol, affirme dans La Tribune, La Voix du Mineur, et Le Prolétaire réunis, que seuls les syndicats réformistes auraient défendu les Polonais à leur arrivée :

« Qui donc encore s’est occupé d'eux dès leur arrivée en France pour le respect des contrats et de leurs classements en catégorie ? […]

Qui donc s’est occupé de l’instruction et de l’éducation de leurs enfants contre le clergé polonais qui voulait les accaparer en accord avec le capitalisme minier ? »

La montée du sentiment xénophobe avec la crise des années trente

Cependant, à partir de la fin des années vingt, dans un contexte de xénophobie exacerbé par la crise économique, la presse est de moins en moins favorable aux ouvriers polonais. C’est, sans surprise, le cas à l'extrême droite. Le 9 mars 1935, l’écrivain pamphlétaire Lucien Rebatet publie ainsi dans Je suis Partout une pleine page au sujet de « l’invasion » des « 400 000 Polonais », dans un article virulent paru dans sa série sur « les étrangers en France ».

« Le véritable problème des étrangers en France est celui dont nous esquissons ici les aspects les plus importants : c’est l'introduction dans nos frontières, depuis quinze années, des réfugiés politiques de toutes couleurs, et surtout d'énormes masses populaires.

Dans un Etat fort où l’on aurait eu le courage de faire une véritable politique d'immigration (filtrage, rejet de tous les éléments ethniquement ou moralement indésirables, assimilation automatique, incorporation par tous les moyens à la communauté française des autres), cette expérience démographique aurait pu obtenir un utile succès, encore qu’il faille bien se garder de comparer notre vieux et petit pays avec le fameux ‘creuset’ d’une Amérique de cent vingt millions d'habitants.

Parce que nous vivons sous le régime d'une démocratie étiolée dont les doctrines officielles sont l'internationalisme, le ‘culte impie’ de la liberté et de l'égalité, l'immigration ouvrière nous a valu beaucoup de déceptions, nous a créé des difficultés auxquelles il est indispensable aujourd'hui de trouver des remèdes qui ne vont malheureusement plus sans de graves inconvénients. »

En effet, « nous n’avons pas su jouer le moindre rôle moral, pourtant facile, auprès de Polonais. Résultat : ils sont volontiers communistes, tous nationalistes pour leur propre compte. Nous avons perdu sur les deux tableaux », explique l’écrivain xénophobe et antisémite, bientôt collaborationniste.

De fait, l’activité syndicale des militants socialistes et communistes polonais va nourrir un rejet plus global de toute la population polonaise et servir de prétexte pour demander leur expulsion. Celle-ci nourrit en retour des grèves de protestation dans les bastions rouges, qui renforcent d’autant plus ce rejet.

Ainsi, en 1934, la campagne active pour tenter d’empêcher l’expulsion de mineurs polonais à la suite d’une grève dans la mine de l’Escarpelle à Leforest (Pas-de-Calais), est violemment condamnée  par le journal monarchiste L’Action française :

« Cette frénésie montre simplement que la propagande bolcheviste se heurte à la réalité, à savoir que des gens qui sont chez eux ne peuvent tolérer que des étrangers viennent leur faire la loi.

Les incidents de l'Escarpelle sont significatifs, à ce point de vue, et toutes les proclamations de L'Humanité et du Comité central communiste n'y changeront rien. »

Dans ce contexte violemment anticommuniste, quelques figures de militants polonais font alors la Une des journaux. Ainsi, en septembre 1934, en dépit de la campagne de soutien où se côtoient ouvriers et intellectuels, le dirigeant syndicaliste et communiste Thomas Olszanski, d’abord dénaturalisé en 1933, puis traqué par la police, est finalement arrêté comme « agitateur communiste » et renvoyé en Pologne.

Ces vagues d’expulsions dissuadent nombre de militants, qui se détachent alors du syndicalisme. Mais plus généralement, avec la montée du chômage, les mineurs polonais et leur famille, comme d’autres étrangers, vont de plus en plus être victimes de rapatriements autoritaires organisés par les compagnies et la France.

De fait, la crise économique des années trente s’accompagne de mesures institutionnelles en vue de favoriser la main-d’œuvre locale, à commencer par la loi « protégeant la main-d'œuvre nationale » du 10 août 1932. A partir de 1934, sous le gouvernement Flandin, les décrets pleuvent et la cadence de la « machine à refoulement » s’accélère (Marie-Claude Blanc-Chaléard). En parallèle, la xénophobie, y compris chez les ouvriers, augmente. Les Polonais deviennent alors les acteurs de troubles, de faits divers, et d’affaires montés en épingle, comme celle de l’Escarpelle, qui va aboutir à l’expulsion largement médiatisée de 77 familles au mois d’août 1934.

Les expulsions de Polonais : l’affaire de l’Escarpelle

Cette affaire est précédée par un premier incident au mois de mai. Des mineurs s’enferment en effet au printemps dans les douches de la fosse numéro 10 à Leforest près de Lens, pour protester contre leurs conditions de travail. Beaucoup sont Polonais. Ils sont notifiés de leur expulsion le 2 août, ce qui va mettre le feu aux poudres à toute la mine.

La grève, qui part le 6 août de Leforest est cette fois déclenchée au fond des puits, à la fois contre les conditions de travail dans les mines, mais aussi contre ces expulsions. Ils sont 178 mineurs polonais et selon L’Humanité, « 14 Français solidaires du mouvement [qui] refusent de remonter des puits. Sur les 367 mineurs descendus dans la fosse 10 ce matin-là, 88 seulement sont Français.

Pour une partie de la presse, les mineurs grévistes ont en fait interdit aux agents de maîtrise français, et à d’autres mineurs français de remonter, en interdisant l’accès au puits. Cette action fait naître des rumeurs (les porions auraient été assassinés) qui augmentent les tensions entre les communautés. Le 8 août, Le Matin titre :

« A l’instigation des communistes 160 mineurs polonais grévistes séquestrent 38 heures au fond d’un puits près de Lens, 12 mineurs français. »

Le quotidien de droite est révulsé par cette opération qui, selon les rumeurs, aurait même pris en otage des enfants de 14 ans. Même le journal radical L’Œuvre explique que « les mineurs polonais en révolte retiennent prisonniers plusieurs de leurs camarades français, ainsi que le chef porion et les deux porions qui, hier après-midi leur furent envoyés en ambassadeurs. »

Le journal de centre-gauche se demande de fait quel est le but des grévistes qui ont coupé le téléphone et l'électricité. Finalement, au bout de quelques dizaines d’heures, les grévistes finissent par remonter à la surface. Pour Le Populaire et L’Œuvre, c’est la descente de Kléber Leguay, l’un des dirigeants syndicaux confédérés, qui est parvenu à faire entendre raison aux grévistes.

Mais l’affaire n’en reste évidemment pas là.

La compagnie va consécutivement congédier 120 grévistes, et les meneurs, pour une grande part communistes, sont incarcérés à la maison d'arrêt de Béthune. Sept d’entre eux, tous Polonais, sont condamnés en septembre. La riposte est aussi immédiate du côté de l’Etat, puisque le décret d’expulsion est prononcé dès le 8 août. Il est alors accueilli favorablement par les grands quotidiens d’informations comme Le Matin, considérant dès le 9 août que :

« Ce qu'on peut et doit affirmer, c'est qu'il faut des sanctions impitoyables et que l'autorité a le strict devoir de réprimer sans faiblesse d'aussi scandaleux attentats. »

Le gouvernement s’appuie alors sur les syndicats réformistes (et ses dirigeants Pierre Vigne et Kléber Legay) pour tenter de justifier sa position :

« Mais, sur la demande expresse qui lui a été adressée par les délégués, il a précisé que l’on ne saurait confondre l’ensemble de la population laborieuse des mineurs polonais avec les agissements d’un petit nombre de meneurs ou d’égarés.

Le ministre est persuadé que conseillé par des organisations ouvrières qui placent avant tout la défense réelle et efficace des intérêts des travailleurs du sous-sol, les mineurs polonais comprendront l'avantage qu'ils ont à rester pour leurs revendications dans le cadre de la légalité. »

En effet, dans cette affaire, se joue aussi une fois de plus l’opposition frontale entre socialistes et communistes dans les régions du Nord, une confrontation qui va se poursuivre même après la signature du pacte d’unité d’action entre les deux partis ce même mois d’août.

Les journaux de gauche relatent aussi tous deux le combat des syndicats qui, sans arriver à arrêter l’expulsion, obtiennent que le rapatriement soit au moins pris en charge par la compagnie minière.

Les expulsions ont lieu dans les jours suivants, le premier convoi partant le 11. La plupart des journaux se contente de relater l'événement, en notant que l’expulsion s’est faite sans incidents, la majeure partie des ouvriers se détachant des meneurs selon L’Excelsior du  12 août 1934. Il est vrai que par crainte de résistances, d'importants dispositifs de maintien de l’ordre ont été mis en place. Pour L’Humanité, qui appelle à l’unité syndicale, c’est sous la pression de « leurs exploiteurs » que 600 des mineurs ont « désavoué » les mineurs grévistes.

La presse française est évidemment divisée sur ces événements : à droite ou à l’extrême droite, on voit d’un très bon œil l’expulsion des Polonais. Ainsi, Le Réveil du Nord se félicite du « nettoyage de la cité minière de Leforest ». A gauche, on dénonce le traitement réservé aux familles polonaises. La Dépêche de Toulouse, de centre-gauche, pose plus largement la question de la place des étrangers en France, en concluant :

« Comme pour tous les problèmes politiques et sociaux, il y a là une question de mesure et de bon sens. Elle impose à la France de se garder à la fois de la xénophobie et d'une imprudente faiblesse.

Elle impose aux étrangers de comprendre qu'en abusant de notre hospitalité ils la rendraient impossible. »

Le Populaire, qui donne la parole à Kleber Legay, défend les mineurs polonais tout en accusant les communistes de favoriser l’extrémisme et en conséquence, les expulsions :

« Nous nous trouvons devant une situation aggravée à l'égard de la main-d'œuvre étrangère.

Il saute aux yeux que l'on a voulu permettre au gouvernement et aux compagnies minières d'appliquer leur plan de refoulement des ouvriers étrangers, que nous avions heureusement pu enrayer.

Les unitaires ont pris dans cette affaire une responsabilité des plus graves et que ne manquèrent pas d'exploiter contre les travailleurs étrangers ceux qui veulent mettre un terme à la crise en frappant les Polonais d'une plus grande somme de misère. »

A l’extrême gauche, L’Humanité dénonce la presse capitaliste qui s’est servie de l’affaire pour déclencher une campagne de « xénophobe effrénée » :

« ‘Les Polonais maintiennent de force les Français dans la mine, les Polonais ont forcé les gosses français de rester avec eux, etc.’

Ces mensonges furent diffusés largement parmi les ouvriers français.

Il s'agissait en l'occurrence, comme dans d'autres cas semblables, de créer un courant chauvin, d'isoler les héroïques militants polonais, de dresser les ouvriers français contre leurs frères de lutte et de briser par ce moyen non seulement la grève de Leforest, mais en même temps d'asséner un coup mortel à l'unité de lutte des ouvriers de plusieurs nationalités. »

Au moment de l’expulsion du territoire, une large partie des journaux s’apitoie néanmoins sur le sort des Polonais, en particulier sur celui de leurs enfants, contraints de fuir un pays où ils sont nés. Des journaux notent, sur un mode chauvin, qu’on les voit partir en brandissant de petits drapeaux français à la main (Le Figaro) ou qu’ils parlent désormais mieux le français que le polonais.

Parmi ces expulsés, un jeune homme de 23 ans deviendra célèbre par la suite : militant alors sous le pseudonyme de Jaros à la CGTU et au PCF, celui-ci s’appelle en réalité Edward Gierek. Il dirigera la République populaire de Pologne entre 1970 et 1980.

Cinq ans après les faits, en 1939 et en dépit de la crise, des diverses législations restrictives et des expulsions, rien que dans le Pas-de-Calais, 42 658 mineurs polonais sont encore au travail dans les houillères – soit plus d’un ouvrier sur quatre. A la suite de l’entrée en guerre puis du basculement de la Pologne dans le bloc communiste, si une partie d’entre eux reviendront dans leur pays d’origine, la plupart décideront de s’installer durablement et de fonder leur famille sur le sol français.

Pour en savoir plus :

Marie-Claude Blanc-Charléard, Blanc-Chaléard Marie-Claude, « III/Intégration dans la tourmente (1930-1960) », in : Marie-Claude Blanc-Chaléard éd., Histoire de l’immigration. Paris, La Découverte, « Repères », 2001, p. 39-56

Janine Ponty, Polonais méconnus : Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1988

100e anniversaire de la convention relative à l'immigration polonaise, le blog de Gallica

Cet article a été rédigé par quatre étudiants du campus européen de Sciences Po à Dijon, encadrées par notre collaboratrice l’historienne et chargée de conférences Rachel Mazuy.