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Les pirates, création d’un mythe populaire

Dès le XVIIIe siècle, les pirates et les corsaires suscitent des œuvres populaires, tant dans la littérature que dans la BD ou le cinéma. Bref tour de ces sept mers de l’imaginaire.

piratesCinémalittératureculture populairebrigandsbande dessinée
William Blanc

Ecrit par

William Blanc

Publié le

4 juin 2025

et modifié le 4 juin 2025

Image de couverture

Une du n°13 de l'illustré Jean-Bart, 1947 - source : Gallica-BnF

Comme nous l’avons écrit dans un précédent article, la piraterie est d’abord associée à un des peuples non occidentaux qui seraient restés dans une forme de sauvagerie et s’opposeraient aux avancées de la « civilisation » occidentale.

Aussi voit-on se développer, tout au long du XIXe siècle, des récits d’aventures mettant des explorateurs blancs aux prises avec des populations vivant sur des territoires extra-européens, et pas seulement sur les mers. Or celles-ci sont rapidement comparées à des forbans. C’est le cas par exemple quand La Famille, journal illustré, publie en 1880 un récit d’Abel Picard appelé Les Pirates du Tonkin qui tombe à point nommé, alors que les visées de la France sur le Tonkin se font de plus en plus précises. La fiction vient donc appuyer ici un discours colonialiste. 

Même chose lorsque Le Journal des voyages et des aventures de terre et de mer annonce en 1888 la sortie d’un texte intitulé «  Les Pirates du désert » tandis que les colonnes françaises s’enfoncent profondément dans le Sahara. L’image elle-même est particulièrement parlante : on y voit des soldats portant des casques coloniaux affrontant des Bédouins qui seraient bel et bien de vrais « pirates », dont le comportement les exclurait de la famille des nations civilisées.

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Les pirates, ou la fabrication d’un ennemi

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À ces mauvais pirates, le roman national français oppose rapidement la figure du corsaire patriotique, incarné le plus souvent par trois personnages historiques : le Dunkerquois Jean Bart (1650-1702), les Malouins René Duguay-Trouin (1673-1736) et Robert Surcouf (1773-1827). Très vite, ces figures sont régulièrement citées comme exemple aux enfants afin de leur inculquer l’amour de la France et des valeurs de sacrifice militaire.

Cela explique pourquoi, par exemple, l’hebdomadaire illustré par la jeunesse diffusé entre 1946 et 1947 porte le titre de Jean-Bart, et met comme ici le capitaine corsaire en couverture. Dans le texte narrant une de ses aventures, on y affirme que ce « corsaire […] faisait respecter le drapeau de France sur tous les océans ».

On lit des choses similaires sur Surcouf. En 1925, on lui consacre un film doublé d’un roman-feuilleton signé Arthur Bernède publié par Le Petit Parisien. Le même journal, oubliant sans doute que le Malouin a aussi été un négrier sans scrupule, s’enthousiasme pour le long-métrage et célèbre un marin « jeune, ardent, patriote ».

« Ce corsaire, qui n’a rien du pirate, en qui revivent toutes les traditions chevaleresques et ferventes de la patrie, c’est Robert Surcouf. »

Pareillement, dès le premier épisode du feuilleton, Surcouf est décrit comme «  le Malouin sans peur et sans reproche », appellation d’abord associée au chevalier Bayard.

Cette comparaison entre le noble féodal et le capitaine de vaisseau n’est pas anodine. Elle permet de redonner une image romantique de la guerre, alors que la France se remet encore difficilement du trauma des tranchées. Au même moment, un processus similaire est d’ailleurs à l’œuvre avec l’aviation avec l’apparition du terme de « chevaliers du ciel », comme nous l’avions raconté ici.

Les trois corsaires patriotes ont aussi pour particularité d’avoir combattu en grande partie contre les Anglais – et particulièrement Surcouf. Cela explique sans doute qu’une publication de jeunesse, Siroco, publie en 1943 une double page sur l’un des exploits de Surcouf. En célébrant le Malouin comme étant « la terreur des marins anglais », le but est certainement de mobiliser l’opinion contre les alliés anglo-américains. Dans un même ordre d’esprit, en mars et avril 1944, plusieurs journaux collaborationnistes comme Je Suis Partout et Gringoire font de la publicité pour un ouvrage consacré au corsaire.

Cet emploi anglophobe n’est, à vrai dire, pas nouveau. Au XIXe siècle, dans un contexte de concurrence entre impérialismes britannique et français, on se plaît à utiliser la figure du Malouin, et plus largement du corsaire, luttant contre des marins d’outre-Manche. Il s’agit souvent de dénoncer la cruauté du colonialisme de Londres comme pour mieux encenser celui de Paris, décrit comme humain et respectant les populations indigènes. C’est tout le propos du roman d’aventures scientifique de Paul d’Ivoi, Corsaire Triplex, paru en 1898 et dont l’action est résumée par Le Petit Temps du 10 décembre 1898 :

« Dans le Corsaire Triplex, les lecteurs de M. Paul d’Ivoi retrouveront le héros qui leur est cher, Robert Lavarède, aux prises avec sir Toby Allsmine, un audacieux criminel, protégé contre le châtiment de ses méfaits par les hautes fonctions de police qu’il exerce, pour l’Angleterre, dans toutes les possessions anglaises du Pacifique.

Afin de démasquer ce criminel, Robert Lavarède n’hésite pas à se faire corsaire. »

On le voit, le héros français, qui, évidemment, gagne et punit le méchant à la fin, est un justicier qui vient réparer les méfaits commis par les colons de la reine Victoria et, imitant Surcouf, en chassant les navires de Sa Majesté. Seule différence : Triplex utilise des sous-marins, copiant en cela le Capitaine Nemo de Jules Verne. La suite du Corsaire Triplex va même plus loin comme l’explique Le Temps du 23 décembre 1899 :

« Paul d’Ivoi, toujours à l’affût de l’actualité pour ses VOYAGES EXCENTRIQUES, nous conduit cette année, avec La Capitaine Nilia, dans l’Égypte et le Bahr-el-Ghazal.

Robert Lavarède, le héros du Corsaire Triplex, de l’année dernière, à la tête des patriotes égyptiens révoltés, détourne le Nil blanc dans le Congo, dessèche et affame ainsi l’Égypte, et inflige aux Anglais une sanglante défaite aux environs de Karnak. »

On retrouve dans ces deux romans un écho de la crise que traversent alors les relations franco-britanniques suite à l’affaire de Fachoda, où, dans le Soudan, l’avancée du colonialisme hexagonal a fait face (et a dû reculer) devant les colonnes envoyées par Londres. Cette confrontation déclenche une vague d’anglophobie que viendra seulement apaiser la signature de l’Entente cordiale en 1904.

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Mais toutes les histoires de pirates et de corsaires ne sont pas des célébrations de la colonisation. Les forbans que met en scène l’auteur italien Emilio Salgari dans Les Tigres de Mompracem (1883) ose, en un temps où l’idéologie coloniale et raciste triomphe, choisir comme héros de ses récits des personnages extra-occidentaux en lutte contre l’impérialisme blanc.

Sandokan, protagoniste de tout un cycle littéraire commencé avec Les Tigres de Mompracem, affronte ainsi l’Empire britannique durant ses aventures dans la Malaisie du début du XIXe siècle. Inversant totalement les stéréotypes des romans exotiques de son époque, Salgari donne à Sandokan un second portugais Yanez, et une femme blanche, Marianne, nièce d’un gouverneur anglais.

Avec un tel propos, on ne s’étonne pas qu’en 1925, à l’occasion d’une édition en français d’un des volumes narrant les exploits de Sandokan, la très catholique Romans-revue : guide de lectures ne mâche pas ses mots contre ce roman :

« Montpracem, petite île perdue au fond de la Malaisie, est un nid de pirates commandés par un affreux chef malais, du nom de Sandokan et surnommé le Tigre.

Et ce Tigre tombe amoureux fou d’une jeune Anglaise qui n’hésite pas une minute, la petite folle, à tout trahir, parents, famille, patrie, pour suivre celui qu’elle aime, pas plus que son amant à tout massacrer pour la conquérir.

Écrit avec une exagération souvent risible, parfois grotesque, passionné jusqu’au délire le plus extravagant, ce livre ne convient nullement aux jeunes lecteurs, et le pirate Sandokan, […] ne mérite que dédain. »

Cela n’empêche pourtant nullement les aventures de Sandokan d’être traduites en français dès 1902 et d’être à nouveau publiées dans les années 1920 (par exemple chez Taillandier) avant d’être adaptées en bandes dessinées dès la fin des années 1930 dans les hebdomadaires Jumbo et Aventures (peut-être à partir d’un original italien traduit pour l’occasion).

C’est que les exploits de Sandokan restent acceptables pour le lectorat hexagonal. Ne sont-ils pas dirigés, encore une fois, contre les Anglais ? Ainsi, dans la conclusion de l’aventure nommée La Conquête de Monpracem [sic], on peut voir les soldats et la marine de Sa Majesté se soumettre devant Sandokan et ses pirates.

Mais les corsaires du roman national français ou les pirates de Salgari voient peu à peu leur étoile pâlir. En effet, dès les années 1920, le cinéma étatsunien commence à produire nombre de films tirés de sa propre vision de la piraterie. Ces œuvres sont souvent inspirées par les travaux d’auteurs anglophones, comme ceux de Rafaël Sabatini, dont le roman Capitaine Blood (1922) est adapté deux fois en l’espace d’à peine onze ans, d’abord en muet en 1924, puis en parlant en 1935 avec Errol Flynn dans le rôle-titre.

Très vite, ces longs-métrages suscitent l’engouement du public. En mars 1936, Le Journal affirme avoir invité à quatre occasions des collégiens et des lycéens à aller le voir.

La puissance industrielle d’Hollywood n’est pas la seule explication à ce succès. Elle tient aussi au fait que le pirate et le corsaire sont associés à une image de liberté. Liberté individuelle déjà. Toujours en mars 1936, Pour vous, évoquant plusieurs films de boucanier, écrit ainsi :

« Le public applaudit aux exploits de ces hommes qui ont toujours nargué les lois, se jouant des interdictions, risquant leur vie, souvent cruels, toujours audacieux, mais possédant un bien inaliénable : le libre espace et la liberté. »

En somme le pirate incarne ce que symbolisera aussi par la suite le cow-boy : un être vivant dans un monde d’avant, émancipé des chaînes de la vie moderne, parcourant de grands espaces (les sept mers et les larges plaines du Far-West) alors que le spectateur lui, est prisonnier des métropoles industrielles.

Mais le pirate, c’est également une forme de liberté collective, aspect déjà bien présent dans les aventures de Sandokan. L’intrigue de Capitaine Blood est ainsi résumée par Le Journal, qui y voit une :

« Merveilleuse aventure où l’on voit un intrépide marin s’arracher de l’esclavage pour devenir le plus vaillant, le plus généreux des pirates. Car le capitaine Blood est un bon pirate. […].

D’ailleurs, il ne s’est fait corsaire que pour se venger du tyran qui opprime son pays et quand le tyran succombe sous la révolte de ses sujets, notre héros mène le combat pour sa patrie.

Le capitaine Blood est un chevalier qui sacrifie volontiers toutes ses richesses aux beaux yeux de la jeune fille qu’il aime. » 

Pareillement, pour L’Intransigeant, Blood s’échappe avec des « révolutionnaires » afin de devenir pirate alors que le magazine Regards, proche du PCF, apprécie grandement le film et y voit un quasi « documentaire » sur la souffrance que subissaient les esclaves dans les plantations des Antilles. En somme, le long-métrage serait un véritable brûlot contre le colonialisme et l’impérialisme.

Toutes ces analyses s’appuient sur des éléments bien réels. Le roman puis les films mettent bel et bien en scène un homme devenu forban par nécessite et combattant l’absolutisme avant de prendre fait et cause pour la « glorieuse révolution » de 1688 qui impose en Angleterre une monarchie parlementaire.

À travers un tel récit, Sabatini cherche certes à coller aux romans nationaux britanniques et étasuniens, deux pays qui aiment à s’afficher comme ennemis des despotes et des hérauts de la démocratie. Il n’empêche qu’à travers ce narratif, Capitaine Blood associe le stéréotype du pirate avec celui du combattant de la liberté qui prend les armes quand les puissants abusent de leur pouvoir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si durant l’entre-deux-guerres, les deux stars hollywoodiennes à avoir joué Robin des Bois à l’écran ont également été à l’affiche de films de flibustiers peu avant ou après. Douglas Fairbanks a ainsi revêtu le costume de l’archer de Sherwood en 1922 puis tenu le premier rôle dans Le Pirate noir en 1926. Errol Flynn, de son côté, a été à l’affiche de Capitaine Blood (1035) puis de L’Aigle des mers (1940), mais également, entre les deux, des Aventures de Robin des Bois (1938).

Le succès des films étasuniens implique aussi que désormais, c’est leur vision de la piraterie qui va régner dans les imaginaires. À partir de l’entre-deux-guerres, les récits de piraterie sont intimement associés à des héros anglophones et se déroulent pour la grande majorité dans les Caraïbes des XVIIe et XVIIIe siècles. C’est encore le cas aujourd’hui, avec le triomphe mondial de la franchise Pirates des Caraïbes lancée en 2003 par la firme Disney. 

Pour en savoir plus

Gérard A. Jaeger, Pirates, flibustiers et corsaires. Histoire et légendes d’une société d’exception, Avignon, Aubanel, 1987

Matthieu Letourneux, « préface » in : Emilio Salgari, Le Corsaire noir et autres romans expotiques, Paris, Robert Laffont, 2002, p. vii-xxxi

Matthieu Letourneux, « Le roman d’anticipation dans le jeu des sérialités textuelles : Corsaire Triplex de Paul d’Ivoi », in : Claire Barel-Moisan et Jean-François Chassay (dir.), Le Roman des possibles : l’anticipation dans l’espace médiatique francophone (1860-1940), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 279-296

Sophie Linon-Chipon, Sylvie Requemora (dir.), Les Tyrans de la mer : pirates, corsaires et flibustiers, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002

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William Blanc

Ecrit par

William Blanc

William Blanc est historien, spécialiste du Moyen Âge et de ses réutilisations politiques. Il est notamment l'auteur de Le Roi Arthur, un mythe contemporain (2016), et de Super-héros, une histoire politique (2018), ouvrages publiés aux éditions Libertalia.

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