Écho de presse

Eugène Boyer, miraculé de la guillotine

le 28/05/2018 par Jean-Marie Pottier
le 28/03/2018 par Jean-Marie Pottier - modifié le 28/05/2018
Portrait d'Eugène Boyer paru dans Paris-Soir, annonce erronée de son exécution parue dans L'Homme Libre, puis communication de son sursis parue dans Le Journal, 1932 - source : RetroNews-BnF

Condamné pour l’assassinat d’une vieille dame en 1932, Eugène Boyer devait être exécuté avant qu’un autre crime ne lui sauve la vie in extremis.

La nouvelle tient en dix lignes dans L'Homme libre du 7 mai 1932 :

« EUGÈNE BOYER A ÉTÉ GUILLOTINÉ CE MATIN.

Ce matin, à l'aube, boulevard Arago, Eugène Boyer qui, avec son frère Alexandre, assassina, pour la voler, une rentière rue Custine, a expié son forfait. »

Contraint par ses horaires de bouclage, le quotidien a pris un peu d’avance sur un supplice qui devait avoir lieu sans savoir qu’un événement historique allait le faire dérailler.

Moins d’un an plus tôt, en mai 1931, la nouvelle s’étale en une des journaux : les assassins de la veuve Diémer ont été retrouvés. Le 18 janvier, Le Petit Parisien racontait comment des habitants de Montmartre avaient retrouvé chez elle le cadavre de cette octogénaire :

« La rentière, étendue sur le dos entre la table de la salle à manger et la cheminée, avait le visage recouvert d'une serviette.

Une serviette enroulée se trouvait également près du cadavre et, dans la bouche de la malheureuse, le ou les assassins avaient enfoncé avec violence un tampon constitué par des chiffons.

Mme Diémer portait à la tête, dans la région occipitale, une large plaie qui avait dû être faite par un coup porté à l'aide d'un instrument contondant. »

L’enquête piétine pendant quatre mois avant d’être résolue avec l’arrestation en flagrant délit d’un cambrioleur, Alexandre Boyer, le 26 mai.

« C’est une affaire aussi étrange que macabre. On croyait arrêter un vulgaire cambrioleur – et encore combien maladroit – et l'on se trouve en face d'un dangereux bandit qui a sur la conscience, outre de nombreux cambriolages, un crime particulièrement crapuleux, pour le moins », écrit Le Petit Journal.

Confronté à une série de vols inexpliqués, le suspect craque quand on lui apprend que ses empreintes digitales ont été retrouvées au 47, rue Custine. Il confesse avoir tenté, avec son demi-frère Eugène, de cambrioler la vieille dame et accuse son cadet, alors en prison pour un autre délit, du crime :

« Comme elle criait, Eugène l'a un peu serrée et il la faisait reculer vers la salle à manger. Pendant ce temps, moi, je passais dans la chambre et je commençais à fouiller les meubles.

Au bout d'un instant, je vis revenir Eugène. […] Quand nous repassâmes dans l'autre pièce, la vieille était par terre et elle soufflait fort. Nous avons rangé le corps contre la cheminée car il nous gênait pour sortir. »

Les deux hommes, que quinze ans séparent et qui n’ont vraiment noué des relations qu’un an plus tôt, s’accusent mutuellement. Le Petit Journal rapporte les incriminations d’Eugène :

« C’est Alexandre, a-t-il dit, qui a frappé Mme Diémer à coup de crosse de revolver.

Moi, j'ai pris la lampe et j'ai fouillé la pièce voisine. Mais j'ai aperçu mon frère qui étranglait la “vieille”. Je l'ai entendu un peu plus tard qui se lavait les mains dans la cuisine. »

Six mois plus tard, devant la cour d’assises de la Seine, le sort des deux hommes semble lié, comme en témoigne la lecture du Journal :

« “Boyer frères !” Ce pourrait être une raison sociale. C'en est une, effectivement.

Alexandre et Eugène Boyer, frères consanguins par leur père, se sont associés, au mois de décembre 1930, pour l'exploitation d'une vaste entreprise de cambriolage. »

Paris-Soir et Le Petit Journal tirent des portraits au scalpel des deux accusés. Alexandre est l’employé de commerce qu’on voit bien « en chef de rayon d'un petit magasin, légèrement obséquieux et attentif à contenter la clientèle » tandis qu’Eugène, « avec ses épaules carrées et son torse puissant, semble un jeune athlète loyal ». Mais le premier « dissimule un rictus volontiers féroce, [ses] yeux petits et clignotants ont d'étranges lueurs » et le second affiche « un masque dur et fermé, auquel des arcades sourcilières abondamment velues et un nez busqué donnent l'aspect d'une tête de rapace nocturne ».

Après deux jours de débat, les accusés sont tous deux condamnés à mort. Héros de la Grande Guerre, Alexandre se voit aussi privé de sa médaille militaire. C’est pourtant elle qui va le sauver lors de l’examen de son recours en grâce par le président de la République, Paul Doumer, sensible au sort d’un ancien combattant.

Le 5 mai 1932, la presse annonce qu’Alexandre est gracié. Eugène sera guillotiné. Le 7 mai 1932, les acheteurs du Journal peuvent pourtant lire que son exécution est reportée « en raison des circonstances ».

Celles-ci s'étalent en pleine page sur la une. La veille, Paul Doumer, qui visitait une exposition consacrée aux écrivains de la Grande Guerre à Paris, a été touché de deux balles par un émigré russe, Paul Gorguloff. Transporté à l’hôpital Beaujon, il tombe dans le coma durant la nuit alors que commencent les préparatifs de l’exécution de Boyer à la Santé.

La rédaction parisienne du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire retrace l’attente des journalistes :

« Entre autres choses singulières, ils apprenaient par exemple, vers minuit, que l’exécution d’Eugène Boyer, dont la grâce avait été refusée par M. Doumer, […] venait d’être différée.

L’avocat avait invoqué ce fait que le président de la République pouvait, jusqu’à la dernière minute, revenir sur sa décision ; or M. Doumer n’était pas, de toute évidence, en état d’émettre un jugement.

La guillotine ne fonctionnerait donc pas. »

Paul Doumer meurt à 4 h 40 du matin, l’heure des exécutions capitales en France. Élu président le 10 mai, Albert Lebrun prononce, comme c’est l’usage, la grâce du premier condamné à mort dont le dossier arrive sur son bureau : Eugène Boyer.

Le Petit Parisien rapporte un détail extraordinaire : le condamné aurait en fait dû être exécuté le 6 mai, quelques heures avant l’attentat, mais le supplice avait été reporté de vingt-quatre heures en raison de la fête de l’Ascension…

L’Intransigeant raconte de son côté comment Boyer, qui était persuadé que le chiffre 7, comme 7 mai, lui portait malheur, a accueilli la nouvelle :

« Un frisson a agité Eugène Boyer quand il apprit le péril qu’il avait couru à la date qu’il avait pressentie. Il devint blême et puis très rouge. Il baisa longuement les mains de son défenseur. »

Paul Gorguloff, qui clame avoir voulu se venger de la complaisance de la France envers les bolchéviques, sera guillotiné en septembre 1932. Quelques jours après la grâce de Boyer, un chroniqueur du Populaire ironisait :

« À qui le crime pouvait-il profiter, a-t-il profité ?

Pas aux bolcheviks contre qui il a dressé violemment toute la presse de réaction. Pas aux Russes blancs dont L'Humanité demande l'expulsion.

Le crime a profité à Eugène Boyer. »

Emprisonné plus de vingt ans au bagne de Cayenne, Eugène Boyer a, selon l’ancien commissaire Jacques Delarue dans son livre Le Métier de bourreau, été, le 19 février 1964, « retrouvé mort dans des conditions suspectes » dans un centre d’hébergement pour anciens condamnés, près de Châteauroux.

Pour de vrai, cette fois-ci.