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Chronique

La Guerre des Mondes d’H. G. Wells, métaphore de l’essoufflement colonialiste au XIXe siècle

Confrontés à une pénurie de ressources naturelles sur leur planète, les Martiens décident d’envahir la Terre… Voilà le point de départ du roman La Guerre des Mondes d’H. G. Wells (1898), qui stupéfie la presse française dès sa première traduction, en 1900. Mais l’ouvrage tient-il seulement de la fiction ?

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Nicolas Méra

Ecrit par

Nicolas Méra

Publié le

20 mai 2025

et modifié le 20 mai 2025

Image de couverture

Dessin extrait de l'édition illustrée de La Guerre des mondes, 1906 - source : Gallica-BnF

Auteur du livre  Godzilla est né à Hiroshima : la vraie histoire des icônes de la pop culture (éd. First),  Nicolas Méra y analyse les grands bouleversements historiques – colonialisme, féminisme, lutte pour les droits civiques, guerres mondiales – à travers les œuvres majeures de la culture populaire. RetroNews vous propose un extrait rédigé par son auteur qui revient sur la publication de La Guerre des Mondes, récit de science-fiction de la fin du XIXe siècle mettant en scène une invasion martienne sur Terre.

–

La biographie de l’écrivain britannique Herbert George Wells vaudrait, à elle seule, un roman. Élevé en Angleterre dans un ménage de la classe moyenne qui peine à joindre les deux bouts, il est destiné à devenir apprenti drapier… Mais il a le goût de la lecture et de l’écriture, particulièrement depuis une fracture de la jambe qui le contraint à tuer le temps à la bibliothèque. Résultat, il se détourne des mains calleuses de l’artisanat pour suivre, en 1884, le cours de biologie du professeur Huxley (le grand-père d’Aldous Huxley, auteur de la célèbre dystopie Le Meilleur des mondes) à Londres. 

Le jeune homme se passionne aussitôt pour l’étude du cosmos, l’évolution darwinienne et la place de l’humanité dans l’univers. Wells est obsédé par la chute des civilisations et la survie des espèces : ces questions existentielles influenceront énormément son œuvre, surtout lorsque Wells décidera de tremper sa plume dans la science-fiction. En attendant, le jeune homme peine à survivre avec une allocation modeste qui l’empêche de manger à sa faim. C’est à ce moment, semble-t-il, qu’il se laisse gagner par des convictions socialistes, convaincu d’un profond besoin de réforme dans la société victorienne.

À la fin du XIXe siècle, la Grande-Bretagne – comme de nombreuses nations européennes – entre dans une phase de ralentissement économique connue sous le terme de Longue Dépression. Celle-ci se manifeste d’abord par une crise financière en 1873 qui affecte l’Europe continentale à des degrés divers, provoquant une chute générale des prix. Concurrencée par la cultivation des grandes prairies américaines, l’agriculture britannique marque le pas. 

Le secteur industriel, poumon de la croissance anglaise depuis les années 1750, est également sinistré par la montée en puissance des États-Unis et de l’Allemagne. La misère dépeinte par les romans de Dickens continue de pourrir les quartiers mal famés de Londres gangrenés par les épidémies, la famine et l’alcoolisme. Dans la capitale, l’espérance de vie plafonne à 37 ans. La grogne monte, en particulier par la voix de la population ouvrière, qui se réfugie dans les premiers syndicats. 

À ce marasme économique s’ajoute une série de crises diplomatiques qui fragilisent la Grande-Bretagne sur le plan international. L’Inde se rebelle contre l’occupant britannique lors de la révolte des cipayes, en 1857, mais le soulèvement est écrasé dans le sang. L’Irlande tente de s’émanciper de sa tutelle depuis 1870 et réclame l’autonomie qu’elle finira par obtenir, à coup de pierres, au début du siècle suivant. Bref, « l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais » traverse une crise impérialiste sans précédent. L’opinion publique commence à comprendre que les colonies et les protectorats, loin de constituer des destinations exotiques pour touristes fortunés, représentent également des investissements coûteux !

Des débats sur les motivations éthiques de l’impérialisme éclatent au sein du Parlement britannique, tandis que les voix des premiers mouvements d’indépendance portent toujours plus loin. Les soubresauts de la seconde guerre des Boers, en Afrique du Sud, achèvent d’écorner la suprématie britannique à l’étranger vers 1899. Plusieurs apôtres de la « décolonisation » se sont faits entendre, et leur voix porte jusqu’en France, où L’Étendard écrit le 12 avril 1884 :

« Ce n’est pas d’aujourd’hui que les plus illustres écrivains d’outre-Manche ont eu le courage d’écrire, à l’usage des hommes politiques de leur patrie, des vérités dignes d’être écoutées, bien que dures parfois.

Tel est le cas de M. Goldwin Smith, qui estime que les idées de Malthus en fait de colonisation, et en ce qui touche l’Angleterre, ne sont plus applicables à l’heure actuelle, et qu’il serait prudent d’enrayer, sur la pente fatale qu’elle suit pour complaire à un cabinet partisan de la colonisation à outrance. »

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Écho de presse

1934 : l’interview de Staline par H.G. Wells

1934 : l’interview de Staline par H.G. Wells

S’il n’est que le témoin de ces événements qui s’impriment en lettres capitales en Une des gazettes, H. G. Wells les mêle à son propre ressenti de l’histoire et de la science. Il sait de quelles extraordinaires métamorphoses les êtres vivants sont capables pour survivre. L’un de ses livres favoris n’est autre que L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, signé Edward Gibbon et publié un siècle plus tôt. Il retrouve dans l’histoire de Rome, un empire étouffé par la bureaucratie et la corruption, des parallèles avec la crise impérialiste qui fracture le pays. Wells semble assister à la déconfiture d’un empire qui a voulu imposer au reste du monde sa langue, ses coutumes, ses lois et sa culture. Raté : l’envahisseur, contesté sur ses terres, y devient l’opprimé.

En parallèle, Wells – qui est aussi journaliste à ses heures – dévore des revues scientifiques qui annoncent la couleur de ses prochains récits. En plus des progrès enregistrés dans les domaines de la médecine, des communications ou de la biologie, c’est dans les étoiles que l’avenir de l’humanité semble s’écrire. En 1878, l’astronome italien Schiaparelli a observé des « canaux » sur Mars, et on imagine un temps qu’il puisse s’agir de conduits d’irrigation tracés par une civilisation intelligente. La planète rouge cristallise les fantasmes. En 1894, à l’observatoire de Nice, Stéphane Javelle aperçoit une projection lumineuse à sa surface, comme le relève le Figaro le 13 août :

« Pendant que la Chine et le Japon se font mille politesses en l’honneur de la Corée, pendant que messieurs les anarchistes, à coups de poignard ou de bombes, tentent de renouveler la face du monde, il se passe là-haut, dans ces espaces incommensurables où l’œil de l’homme ne plonge qu’avec effroi, un phénomène absolument nouveau, inouï… La planète Mars est en feu !

Le 28 juillet dernier, M. Javelle, à l’observatoire de Nice, signalait une sorte de projection lumineuse sur le bord inférieur de Mars. Le docteur Krueger, chargé du bureau central à Kiel, confirmait la découverte de son confrère et la télégraphiait aussitôt à tous les observatoires du monde entier. Depuis, la tache lumineuse semble avoir augmenté d’intensité, et les astronomes, stupéfaits, se demandent quelle est la cause de cette immense lueur mystérieuse…

De nouveau se pose la troublante question : ‘Est-ce un signal ?’ […]

Quoi qu’il en soit, que la planète soit habitée ou non, il est évident qu’il s’y passe, depuis quelques jours, des phénomènes à la fois inexplicables et terrifiants. »

Wells lui-même se prête au jeu, postulant l’existence d’une vie extraterrestre sur Mars dans les colonnes de la Saturday Review du 4 avril 1896. Il est alors en train de rédiger La Guerre des mondes, qui sera sérialisé dans les journaux britanniques et américains l’année suivante. Croit-il réellement que Mars abrite des civilisations intelligentes capables de soumettre l’humanité ? Sans doute pas : il ne fait que s’approprier un sujet d’actualité pour y infuser son message. Dans le roman, c’est l’observation d’éruptions à la surface de la planète rouge qui précède la venue des envahisseurs… 

En cela, Wells se place non seulement comme le premier auteur majeur à imaginer une invasion extraterrestre sur Terre – la SF de l’époque préfère faire de l’homme le seul colon intergalactique –, mais aussi l’un des apôtres de ce qu’on appellera, dans le monde anglo-saxon, la reverse colonization (« colonisation à l’envers »).

Miroir inversé de l’impérialisme britannique, La Guerre des mondes place les Terriens dans les chaussures des dominés. À un âge où l’impérialisme guerrier ne convainc plus, Wells entend donner une bonne leçon aux bâtisseurs d’empires modernes. Il avait été particulièrement marqué par le massacre des Aborigènes australiens qui a amputé les effectifs autochtones de 90% en quelques décennies. Dès le premier chapitre, il écrit :

« Avant de juger [les Martiens] trop sévèrement, il faut nous remettre en mémoire quelles entières et barbares destructions furent accomplies par notre propre race. […] Les Tasmaniens, en dépit de leur conformation humaine, furent en l’espace de cinquante ans entièrement balayés du monde dans une guerre d’extermination engagée par les immigrants européens.

Sommes-nous de tels apôtres de miséricorde que nous puissions nous plaindre de ce que les Martiens aient fait la guerre dans ce même esprit ? »

La guerre pour le contrôle de la planète Terre, qui oppose Martiens et Terriens dans les chapitres suivants, prend alors un relief tout à fait différent. Elle rabaisse tous les hommes – en dépit de leur rang social, de leur sexe, de leur fortune – dans la situation des opprimés, faisant éclater tous les mépris de classe qui structurent encore la société britannique. Tout le monde se retrouve le nez dans la même marmite – la survie à tout prix. Une leçon d’humilité bien reçue par Les Annales politiques et littéraires du 29 décembre 1901 :

« La Guerre des Mondes est une des plus stupéfiantes fictions qui soient sorties d’un cerveau civilisé.

Ce qu’il y a de charmant dans cet ouvrage, c’est qu’il montre l’humanité, si vaine et si orgueilleuse, rabaissée, soudain, vis-à-vis des Martiens plus puissants, au niveau des pauvres animaux que nous opprimons. L’homme se trouve réduit au sort du lapin. 

Et, par cette ingénieuse hypothèse, Wells abaisse notre superbe, nous rend pitoyables aux bêtes et développe notre esprit philosophique. »

Visionnaire, l’œuvre de Wells dénonce la capacité des hommes à s’autodétruire en introduisant dans son intrigue des armes qui décideront du sort des grands conflits du XXe siècle. Le « rayon ardent » (Heat Ray) employé par les Martiens, qui désintègre tout sur son passage, annonce les bombardements aériens des guerres mondiales et la bombe atomique. La « fumée noire » (Black Smoke), gaz toxique mortel bombardé par les envahisseurs sur les cités terriennes, précède l’emploi des gaz dans les tranchées de la Grande Guerre. Même les tripodes, véhicules de la colonisation synonymes de terreur et de destruction, s’apparentent aux blindés qui supplanteront les chevaux au XXe siècle… 

En novembre 1916, alors que les Poilus pataugent dans les tranchées, le Mercure de France prend le temps de relire Wells et de rappeler la tonalité prophétique de son œuvre :

« Le remarquable romancier anglais a quelquefois prévu juste.

On pourrait presque lui attribuer l’invention des fameuses autos blindées dites ‘caterpillars’ et ‘crème de menthe’, qui ont si heureusement réussi dans les attaques sur le front de la Somme. »

Une guerre mondiale plus tard, en avril 1942, l’hebdomadaire 7 jours célèbre encore ce « prophète officiel du Royaume-Uni » tant ses écrits grouillent de prédictions qui ont touché juste :

« Il avait prévu que les avions écraseraient sous leurs bombes les armées, les villes et les flottes.

Il avait prévu les autostrades et les autorails transportant les combattants à une vitesse vertigineuse d’une bataille à l’autre et donnant à la guerre un rythme infernal. […]

Il avait prévu les tanks…

Ces extraordinaires anticipations sur un avenir de fer ne datent pas de ces dernières années. Elles remontent à 1901, à une époque où aucun avion n’avait jamais volé, à une époque où l’un des véhicules les plus rapides du monde était le fiacre à roues caoutchoutées. »

Le plus ironique, dans le récit fantastique de Wells, c’est que malgré la supériorité technologique des envahisseurs, la loi des armes ne décide pas la résolution du conflit. Les Martiens sont finalement vaincus par une espèce plus vieille que l’humanité elle-même, microscopique et insignifiante aux yeux de tous : les microbes !

Une ultime condamnation, en forme de pied-de-nez, de l’impérialisme britannique comparé à une maladie dégénérative qui, malgré les dégâts qu’il occasionne, finit toujours par s’éteindre.

Mots-clés

littératurescience-fictionH.G. WellsGuerre des MondesGrande-BretagneAnticolonialisme
Nicolas Méra

Ecrit par

Nicolas Méra

Nicolas Méra est auteur de vulgarisation historique. Il a notamment fait paraître aux éditions Vendémiaire le Dictionnaire des sales boulots (2022) et il édite le blog Le Fil de l'histoire.

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