Écho de presse

Quand la presse française soutenait Franco

le 15/02/2021 par Mathilde Helleu
le 17/09/2020 par Mathilde Helleu - modifié le 15/02/2021
Manifestation en faveur du général Franco, Salamanque, 1937 - source : WikiCommons
En juillet 1936, le gouvernement de gauche espagnol essuie un putsch mené par le général Franco. De ce côté-ci des Pyrénées, les publications de droite ne cachent pas leurs sympathies pour le futur dictateur.
En France, c’est comme en Espagne un Front populaire, celui de Léon Blum, qui est au pouvoir depuis peu. La presse à gros tirage, plutôt marquée à droite, est ouvertement hostile au gouvernement en place, qui incarne pour elle le « péril communiste ». Aux premières heures de la guerre d’Espagne, ce qui scandalise ces éditorialistes, c’est avant tout la possibilité d’un soutien militaire de la France aux républicains espagnols.

L’Action française, le quotidien de Charles Maurras, entame une violente campagne contre l’envoi d’armes aux loyalistes. « Est-ce à l’occasion des affaires d’Espagne que le juif Blum nous amènera la guerre ? » peut-on lire en une du journal.

Loin de se cantonner à ses seuls extrêmes, c’est la presse de droite dans son ensemble qui reprend, quoiqu’en des termes moins fleuris, la même argumentation. Le 25 juillet, l'écrivain François Mauriac publie une tribune incendiaire en une du Figaro :

« S’il était prouvé que nos maîtres collaborent activement au massacre dans la Péninsule, alors nous saurions que la France est gouvernée non par des hommes d’État, mais par des chefs de bande, soumis aux ordres de ce qu’il faut bien appeler : l’Internationale de la Haine. »

Acculé, notamment, par la presse et l’opinion, le gouvernement français fera le choix de la non-intervention. Dans le même temps, l’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini s’engagent aux côtés des nationalistes.

Ces journaux qui qualifient Léon Blum de va-t-en-guerre ne frappent pourtant pas par leur amour de la paix. L’agression militaire des franquistes trouve grâce à leurs yeux, quand ils n’en chantent pas ouvertement les louanges. Ainsi, dès le début des hostilités, L’Action française forme « des vœux pour la victoire finale du Front militaire, qui arrachera ce grand pays civilisé à la barbarie communiste ».

Lors de la prise de Tolède par les forces nationalistes en septembre 1936, Le Figaro salue la libération des soldats putschistes assiégés : « Les héroïques défenseurs de l’Alcazar sont délivrés. » L’Écho de Paris se fait le relais de « la joie provoquée par la grande victoire de Tolède, dans l’Espagne délivrée du joug marxiste ». Quant au Journal des débats, il ne se refuse aucun lyrisme dans la peinture de ces « cadets, qui ont fait preuve de vertus guerrières, de bravoure opiniâtre et d’abnégation patriotique, dont on cherche habituellement les exemples dans les passages les plus émouvants de l’histoire antique ».

Le 26 avril 1937, les avions nazis bombardent la petite ville basque de Guernica un jour de marché. L’opinion internationale et une grande partie de la presse sont indignées par ce massacre de civils, qui demeurera emblématique des exactions du camp franquiste.

Cependant, certains journaux, reprenant les communiqués nationalistes, s’efforcent de faire endosser le carnage aux républicains. Ainsi, dans le Journal des débats, on constate « de visu » que « contrairement aux nouvelles diffusées de source gouvernementale, la destruction de la ville [n’est] pas l’œuvre des nationalistes ».

Comme on s’y attend, L’Action française campe elle aussi sur ses positions :

« Nous avons déjà dit ce qu’il fallait penser de l’indignation mondiale soulevée à grands coups de tam-tam autour du prétendu bombardement de Guernica par les nationaux. Tout n’était que bluff, mensonge et hypocrisie. Le témoignage des journalistes qui ont visité Guernica en ruines le prouve indiscutablement. »

Plus la guerre avance et plus la victoire prochaine des nationalistes se fait évidente. C’est donc avec un enthousiasme immodéré que sont rapportées les chutes de Barcelone d’abord, puis de Madrid. Le reporter du Journal relate ainsi l’entrée des troupes nationalistes dans Barcelone :

« Les gens qui s’accrochaient à ma voiture, découvrant soudain que j’étais français, me faisaient jurer de dire la vérité.
– Vous leur direz à Paris que tout ce que les rouges ont raconté n’est que mensonge. Vous leur direz notre enthousiasme. Vous leur direz quel triomphe fut pour Franco l’entrée dans Barcelone.
Et il est exact que jamais je n’ai assisté à un pareil délire.
 »

Le Figaro et L’Action française s’émerveillent respectivement des « étrangers [qui] s’abordent les larmes aux yeux », des « vivats », de « la joie délirante et la pathétique émotion » de la population.

Après la prise de Madrid, qui signe pour ainsi dire la victoire de Franco, Le Figaro, qui juge que « seuls les fanatiques et les insensés ne se réjouiront pas de cette nouvelle » appelle à la « résurrection de l’Espagne délivrée des forces du mal ».

Au cours des jours suivants paraît dans ce même journal une chronique intitulée « Où va la nouvelle Espagne ? ». L’envoyé spécial y donne libre cours à sa fascination pour le Caudillo, « le sauveur, le drapeau, l’idole de la nation ». Il évoque sa « simplicité proverbiale », son « regard noyé d’une bonté dont il se défend mal », « ses joues fraîches et roses ».

C’est le début d’une dictature de presque quarante ans.