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Interview

« Appartements témoins » : la spoliation des logements juifs à Paris pendant l’Occupation

Durant l'Occupation, des milliers de familles juives modestes, françaises et immigrées, ont été victimes de la spoliation de leur domicile ; leur histoire vient d'être mise au jour par une équipe de trois historiennes et historiens ayant mené l’enquête pendant plus de dix ans. 

antisémitismeOccupationDéportationSeconde guerre mondialeShoah
Eric Le Bourhis

Avec

Eric Le Bourhis

Eric Le Bourhis est historien à l’Inalco (CREE), et a notamment co-dirigé Seeking Accountability for Nazi and War Crimes in East and Central Europe: A People’s Justice? (University of Rochester Press, 2022). Il a co-écrit, avec Isabelle Backouche et Sarah Gensburger, Appartements témoins. La spoliation des locataires juifs à Paris, 1940-1946, publié par La Découverte en février 2025.

Benoît Collas

Propos recueillis par

Benoît Collas

Publié le

28 avril 2025

et modifié le 28 avril 2025

Image de couverture

Devant un immeuble du Marais, quartier juif de Paris, Agence Meurisse, 1936 - source : Gallica-BnF

Durant l'Occupation, des milliers de familles juives modestes, françaises et immigrées, ont été victimes de la spoliation de leur domicile ; leur histoire vient d'être mise au jour par une équipe de trois historiennes et historiens ayant mené l’enquête pendant plus de dix ans. 

Eric Le Bourhis est historien à l’Inalco (CREE), et a notamment co-dirigé Seeking Accountability for Nazi and War Crimes in East and Central Europe: A People’s Justice? (University of Rochester Press, 2022). Il a co-écrit, avec Isabelle Backouche et Sarah Gensburger,  Appartements témoins. La spoliation des locataires juifs à Paris, 1940-1946, publié par La Découverte en février 2025.

Propos recueillis par Benoît Collas

–

RetroNews : Vous avez consacré vos recherches à une spoliation particulière des Juifs du Paris occupé : celle du droit de jouir de son bail, « de pouvoir se sentir chez soi sans être propriétaire » (p. 7). Avait-on déjà connaissance du phénomène et de son ampleur ? À combien évaluez-vous le nombre d’appartements concernés ?

Éric Le Bourhis : La spoliation des contrats de location d’appartements à Paris pendant l’Occupation n’était pas complètement inconnue dans le sens où l’on pouvait la retrouver dans des témoignages – des survivants ont raconté qu’à leur retour l’appartement familial était occupé par une autre famille – comme dans des œuvres de fiction. Mais elle était pensée comme un ensemble de faits isolés relevant d’actions individuelles.

Ce que nous montrons avec ce livre, c’est que l’éviction forcée des locataires parisiens identifiés comme juifs – et leur remplacement par de nouveaux locataires – a constitué une spoliation de grande ampleur, et qu’à partir de 1942 elle a été organisée et concertée par plusieurs administrations à l’échelle de la ville. Créé pour l’occasion, le service préfectoral du Logement, antenne de l’Hôtel de Ville sise au 2, rue Pernelle, s’est lancé dans une politique de « relocation » des « appartements juifs » en coordination avec les autorités occupantes.
 

Le nombre d’appartements concernés se situe entre une et plusieurs dizaines de milliers. On en comptabilise environ 9 000 dans la documentation incomplète laissée par le service de la rue Pernelle. Leurs adresses sont dispersées dans toute la ville y compris en banlieue, loin de l’image du Marais comme « quartier juif ». Mais on trouve dans d’autres sources la trace de nombreux autres appartements concernés. En octobre 1944, la préfecture de la Seine donne la seule estimation chiffrée que l’on trouve dans les sources : 25 000 appartements.

Une évaluation plus précise est compliquée, si ce n’est impossible, et ce parce que la spoliation a pris des formes administratives diverses, aux marges voire en dehors du droit, qu’aucun texte officiel ne l’organise et qu’elle n’a donc même pas de date précise de début. Paradoxalement, d’ailleurs, cette spoliation sans base légale a été entérinée à la Libération par une ordonnance du Gouvernement provisoire.

Pour le législateur républicain comme pour les historiens, ce pillage des baux parisiens a été oublié dans l’ombre de la spoliation des propriétés. Au contraire de la France, le phénomène de spoliation des baux locatifs d’habitation est connu des historiens pour l’Autriche et l’Allemagne depuis plusieurs décennies, où cette spoliation a été organisée dans chaque cas à l’échelle locale et non nationale. Prendre en compte et étudier cet aspect de l’Occupation était peut-être plus évident en Autriche et en Allemagne où historiquement, l’action publique s’intéresse davantage à la question du logement locatif et la propriété privée est moins sacrée qu’en France.

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Quelles sources avez-vous mobilisées pour mener cette enquête ? 

Nous avons travaillé à trois pendant dix ans, à partir de sources aussi nombreuses que diverses. Tout commence avec la découverte aux Archives de Paris, par hasard, du fonds aujourd’hui numéroté 133W par Isabelle Backouche dans le cadre de son  enquête sur l’îlot insalubre n° 16 au sud du Marais. Ce fonds est constitué de plusieurs milliers de dossiers d’« appartements juifs ». Elle en a parlé à Sarah Gensburger qui, pour sa part, avait travaillé sur la mémoire de la Shoah ainsi que le pillage des meubles. À l’issue de ma thèse qui portait sur la reconstruction de la ville de Riga après 1945, Isabelle Backouche, qui était dans le jury, m’a proposé de rejoindre le projet.

Bien souvent, pour étudier la Shoah, les historiens dépouillent des fonds d’institutions en charge de la persécution, dont les dates d’existence sont clairement définies à l’intérieur de celles de l’Occupation, par exemple le Commissariat général aux questions juives de l’État français. Dans notre cas, la majeure partie des archives de la dépossession se trouvent dans les fonds d’une instance ordinaire – la préfecture de la Seine – qui a participé à la persécution.

Cette politique de spoliation date pour l’essentiel de 1943-1944, mais nous avons compris qu’il fallait suivre différentes pistes pour comprendre les prémices de cette politique dès 1940, les résistances des familles dépossédées et les conséquences après la Libération de Paris. Pour cela, il a fallu se plonger dans les archives de l’UGIF et des fonds personnels conservés au Mémorial de la Shoah, ainsi que dans des archives d’après-guerre telles que divers procès ou dossiers de dommage de guerre.  Les « appartements juifs » et la convoitise qu’ils ont suscitée apparaissent ici ou là dans les journaux collaborationnistes que nous avons consultés sur RetroNews.

Nous avons aussi croisé les archives produites par la persécution ou les réparations avec des archives ordinaires, notamment les recensements et les sources fiscales qui indiquent précisément qui habite où et à quelles dates – l’enjeu étant de comprendre les circonstances des mutations observées. 

Sur le plan de la méthode historique, nous voulons rappeler ici l’importance de « l’invention » de ces sources, au sens où il n’existe pas de fonds d’archives pour un sujet a priori, mais au contraire qu’il revient à l’historien de constituer son corpus en croisant les sources et en réfléchissant à la manière dont il peut les interroger.

Le livre est organisé en 26 courts chapitres, à la fois chronologiques et thématiques, qui débutent chacun avec un exemple concret : des personnes, des lieux de l’espace parisien. Pourquoi avoir fait ces choix narratifs ?

Tout l’enjeu d’écriture était de présenter cette myriade d’acteurs sans perdre le lecteur, d’où ces courts chapitres les présentant au compte-gouttes.

L’idée était aussi et surtout de partir des appartements car ils sont les témoins immobiles de tout ce qui se passe, d’où le titre du livre, et nous avions à cœur d’écrire une histoire incarnée. Nous n’avons pas décidé a priori d’adresses particulières mais nous sommes laissés guider par les sources. Les chapitres commencent donc dans un appartement du XVe arrondissement, un immeuble de Neuilly-sur-Seine, une rue du XVIIIe, ou encore dans un quartier du XXe. Dans un premier temps nous avons chacun et chacune rédigé des chapitres, mais ensuite nous avons énormément discuté et réécrit ensemble, si bien qu’il est maintenant difficile de dire qui a écrit quoi.

Tout en partant d’une adresse ou d’un secteur particulier, chaque chapitre montre ensuite la dimension massive du phénomène et propose une montée en généralité. Les mots des acteurs, quels qu’ils soient, et les listes produites par la dimension bureaucratique de cette spoliation nous ont aidé à trouver à chaque fois des échelles d’observation pertinentes. Nous avons ici fait fructifier la variation et la confrontation des échelles (de temps et d’espace), qui est bien un impératif de l’histoire urbaine et sociale que nous pratiquons.

Qu’apporte votre enquête à l’histoire de l’Occupation et de la Shoah ?

Au-delà de l’histoire de cette spoliation en elle-même, pan méconnu de l’histoire de la persécution, je dirais que notre enquête éclaire sous un nouveau jour le quotidien de l’Occupation et de la persécution pendant la Shoah à Paris. La persécution n’a épargné aucune rue ni quartier de l’agglomération. Elle mobilise des proximités méconnues entre les Parisiens et les autorités allemandes et vichystes, et implique de larges pans de la société.

Si des Parisiens ont pu être choqués par les arrestations de leurs voisins juifs, notamment des enfants, cela n’est pas contradictoire avec le déploiement massif de convoitises envers les appartements, dans un contexte de crise du logement aggravée par les bombardements alliés. Nous montrons ainsi qu’à Paris en 1943, une partie de la population, en prenant place dans les appartements ou en contribuant à la dépossession, a acté que les Juifs, arrêtés ou enfuis, français comme étrangers, ne reviendraient pas. 

De notre étude au ras du sol, à échelle d’immeuble et de quartier, il ressort de façon saillante à quel point sont décisives les relations de voisinage, à une époque où la vie de quartier est plus prégnante qu’aujourd’hui et où la grande majorité des immeubles sont dotés de concierges. Ainsi on repère très vite un appartement inoccupé, d’autant plus si le service allemand de la Dienststelle Westen est venu saisir les meubles jusqu’aux rideaux. Bien souvent, en matière de logements, la persécution s’appuie plus sur la réputation et les préjugés (la consonance des noms, notamment) que sur une identification précise et conforme aux ordonnances antisémites, ce que montre par exemple le cas de l’éviction d’une famille dont le patronyme basque est perçu comme juif.

La présence et le rôle des Allemands dans Paris est également un apport du livre. Alors que bien souvent on les imagine uniquement dans les lieux de pouvoir et célèbres bâtiments réquisitionnés (hôtels Majestic, Lutetia, Ritz, Meurice, etc.), en prise avec des questions militaires et l’organisation de la répression, certains chapitres les montrent présents dans tous les quartiers – même s’ils sont en écrasante majorité dans l’Ouest cossu – et en rapport étroit avec de nombreux Parisiens. Les Allemands sont donc aussi au quotidien des voisins, des clients de commerces de proximité, etc. Ils initient en grande partie la stigmatisation des « appartements juifs » et participent activement à la spoliation.

Pour finir, quelles autres pistes de recherches ce livre invite-t-il à explorer ?

Le livre est centré sur la politique de spoliation menée par le service préfectoral du Logement rue Pernelle, qui était son point de départ. De nombreuses pistes n’ont cependant pas été épuisées, notamment sur le cas particulier des sociétés d’habitations à bon marché, sur la spoliation des propriétés immobilières, ou sur le rôle de la préfecture de la Seine et des tribunaux dans la spoliation. Nous continuons déjà de travailler sur la rue des Écouffes où plusieurs expulsés de l’îlot 16 ont trouvé à se reloger dans un appartement spolié, et sur les conflits portés devant les tribunaux après la Libération. 

Et bien évidemment, notre livre invite à mener l’enquête dans d’autres villes françaises puisque la politique étudiée est une politique locale, et non nationale.

Pour en savoir plus

Appartements témoins. La spoliation des locataires juifs à Paris, 1940-1946, co-écrit par Isabelle Backouche, Sarah Gensburger et Eric Le Bourhis, est paru aux éditions La Découverte en février 2025.

Mots-clés

antisémitismeOccupationDéportationSeconde guerre mondialeShoah
Benoît Collas

Ecrit par

Benoît Collas

Benoît Collas est guide-conférencier à Paris et historien. Son mémoire de recherche portant sur les bouillons parisiens a remporté le prix Maitron 2021 et le 1er prix de l'Université du Val-de-Marne 2022. Il a publié en 2023 L'Invention des cafés parisiens (Parigramme) et prépare actuellement un projet de thèse.

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