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Le mystérieux suicide de la « girlfriend » d'Hitler

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

À la fin de l’année 1939, au cœur de la « drôle de guerre », un fait divers passionne les rédactions françaises. La rumeur court que l’Anglaise Unity Walkyrie Mitford, prétendue maîtresse d’Adolf Hitler, aurait eu un accident grave…

À l’automne 1939, peu après la déclaration de guerre, une affaire anglo-allemande peu banale passionne la presse franco-britannique. Une affaire de cœur et de sang reliant la jeunesse dorée de Grande-Bretagne aux plus hautes sphères nazies, aboutissement tragique d’un scandale ayant considérablement choqué la vieille Angleterre durant l’avant-guerre, sous le regard incrédule – et amusé – de la presse gauloise.

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L’aristocratie britannique a incontestablement produit davantage de figures excentriques que toutes les monarchies modernes d’Europe réunies, suscitant l’intérêt et la reconnaissance éternelle de la presse internationale. Les six filles de Lord David Freeman-Mitford, baron Redesdale, respectable membre de la Chambre des Lords, et de son épouse, Sydney Bowles, également de vieille famille nobiliaire, ont, chacune à leur manière, acquis une certaine notoriété, parfois tonitruante.

À la fin des années trente, trois d’entre elles ont ainsi occupé les pages de la presse occidentale du fait de leurs passions tapageuses entremêlant politique et sentiments. Qu’on en juge. Tandis que Diana épousait Oswald Mosley, le chef des fascistes britanniques, sa jeune sœur Jessica, sympathisante communiste, s’échappait du giron familial pour rejoindre l’Espagne avec son petit ami, accessoirement neveu de Churchill et vétéran des Brigades internationales à 18 ans. Unity, la cadette, défraya également la chronique mondiale en devenant rien de moins qu’une intime d’Adolf Hitler ; peut-être même sa maîtresse, susurrait-on parfois, subjugué par l’« aryenne » beauté de l’honorable Unity Walkyrie Mitford.

Sur la rive continentale du Channel, les Mitford n’étaient pas des inconnus, loin s’en faut. Dès 1937, les frasques des jeunes sœurs et les malheurs de leur père furent narrés par plusieurs portraits de l'extravagante famille dans la presse française :

« On sait d'ailleurs que cela lui est particulièrement pénible et constitue certainement le grand chagrin de sa vie. […]

Thomas David, son fils unique, partage les opinions de ses sœurs Valkyrie et Diane et les a accompagnées au dernier congrès de Nuremberg.

Nancy, sa troisième fille, épouse de lord Rensdale, a fait parler d'elle comme écrivain-romancière, oratrice à la radio.

Tout le monde enfin se rappelle les aventures émouvantes de sa plus jeune fille Jessica qui quitta un jour le château paternel pour se rendre en Espagne et rejoindre son fiancé Esmond Romilly, qui s'était engagé dans la brigade internationale. Comme on le sait, le roman d'amour de ces deux enfants tenaces eut sa récompense et se termina par leur mariage en France.

Unity Valkyrie Mitford, fervente de la croix gammée, n'a d'ailleurs pas jugé utile ni daigné féliciter le jeune couple à l'occasion de leur union !

On ne s'en étonnera pas. Partout se fait sentir cette cruelle lutte de religion et d'opinion qui déchire le monde et menace de finir tragiquement. Même l'une des plus honorables familles de l'aristocratie anglaise, aux principes rigides, est séparée, démembrée par ces funestes divergences. »

Au-delà de son appétence pour la flexion du bras droit, « l’éclatante beauté » de Unity Walkyrie, « d'apparence froide, mais de tempérament brûlant » a su inspirer les journalistes.

Présentée comme une réincarnation de Brunehilde, la vierge guerrière de Richard Wagner, elle ne pouvait laisser indifférent le nouveau maître du Reich. C’est en tout cas l’opinion des journalistes français qui, dès 1938, se persuadent que la jeune aristocrate a touché le chancelier au cœur :

« Blonde, plantureuse, des yeux bleu d'acier, elle fait figure d'héroïne wagnérienne. C'est la femme nordique 100 %, le rêve du Führer réalisé.

On comprend donc que, quand il la vit pour la première fois sur la terrasse d'un café à Munich, il fut pressé de se faire présenter à cette belle créature. »

Les fréquentations féminines d’Adolf Hitler, « l’homme sans femme », constituent l’un des sujets inépuisables de la presse des années 1930. Il est alors réputé pour avoir un faible pour les « femmes enfants » et Unity figure ainsi dans la liste des « petites amies » du Führer, en compagnie de Leni Riefenstahl, Winifred Wagner et de diverses stars des studios de l’UFA.

Le sujet est alors envisagé comme un thème géopolitique. Peut-on lire dans les amours du Führer comme dans les livrets d’opérettes, où tout s’arrange lorsque d’un trait Cupidon fait du méchant un soupirant pacifique ? Paris-Soir assure ainsi qu’une rencontre opportune pourrait rendre un « immense service à l'Europe » :

L'aristocratique et sulfureuse famille Mitford dans le jardin familial, 1928 - source : WikiCommons
L'aristocratique et sulfureuse famille Mitford dans le jardin familial, 1928 - source : WikiCommons

« Elle apporterait à cet homme, si sujet aux dépressions brusques, aux accès de solitude, à une neurasthénie qui se traduit soudain en une énergie fiévreuse, un sentiment d'équilibre, un sens accru de ce qui est humain. Elle le pacifierait.

Elle mettrait dans le regard de visionnaire, qui erre sur les gens sans jamais s'arrêter, la calme assurance du bonheur. Peut-être, grâce à la tendresse d'une femme, un élément de stabilité s'introduirait dans l'Europe. »

Marianne se fend également d'une improbable double page consacrée aux « Egéries et inspiratrices », où Adolf Hitler côtoie Anatole France, Flaubert ou Pétrarque… Enfin, chacun semble savoir excuser la pâmoison bien naturelle de la jeune Anglaise devant le maître du Reich.

Mais Unity n’est pas seulement une « groupie », c’est une nationale-socialiste convaincue. Intime des cercles restreints du pouvoir nazi, elle salue un jour l’ambassadeur britannique d’un vigoureux « Heil Hitler ! » lors d’un dîner mondain à Berlin. Dès 1935, au cours d'une grand-messe païenne de la SA, elle prend la parole à la tribune officielle avec son ami, l’odieux Julius Streicher, gauleiter de Franconie. On la voit de même au congrès de Nuremberg et lors de l'entrée des troupes allemandes à Vienne. Le moindre des scandales de la petite princesse nazie est repris dans la presse, tandis que ses sorties antisémites horrifient la Grande-Bretagne.

Lors d'un rassemblement à Hyde Park en faveur de l'Espagne républicaine, elle exhibe crânement son insigne du NSDAP en or, cadeau du Führer. Rendue furieuse, la foule la hue et menace de jeter la « walkyrie de Hitler » dans la Serpentine, la rivière qui coule dans le célèbre parc.

Peu après, on annonce que « la femme qui suit Hitler partout » est sur le point de se faire naturaliser Allemande. De fait, elle part effectivement s’installer en Allemagne à l’été 1939 – dans un appartement spolié.

Depuis la déclaration de guerre cependant, on pense la jeune fille convalescente à Munich, prétendument indisposée par la tournure inattendue des événements. Or, fin octobre 1939 un journaliste britannique parvient à briser le silence déployé par le régime nazi autour du sort de la jeune fille. Unity Mitford aurait tenté de mettre fin à ses jours. Le Matin comme Paris-Soir croient savoir que l’aristocrate anglaise se serait empoisonnée au véronal à la suite d’une dispute avec le chancelier, après que « celui-ci eut attaqué et injurié l'Angleterre en des termes extrêmement violents ».

Fin 1939, ce drame conjugal peu banal occupe les premières pages des journaux, rompant avec bonheur la monotonie du front immobile. Un indiscret vend la mèche : en guise de barbituriques, c’est au révolver que la quatrième fille des Redesdale a opéré, passant très près du trépas. Selon le prolixe informateur, elle serait agonisante malgré toute l’attention prodiguée autour d’elle, sur ordre du chancelier.

On sait bientôt que c’est poussée par le désespoir causé par l’annonce de la déclaration de guerre que la jeune fille éperdue a attenté à ses jours. Le Matin a cette sentence faussement affectée : « C'est la première femme britannique victime de la guerre entre l'Allemagne et l'Angleterre ».

Unity Mitford arborant un insigne du NSDAP, 1938 - source : Nationaal Archief-WikiCommons
Unity Mitford arborant un insigne du NSDAP, 1938 - source : Nationaal Archief-WikiCommons

La méthode transmue le fait divers en une affaire d’État. On parle bientôt d’une blessure « mystérieuse » occasionnée non plus dans une chambre d’hôtel, mais en plein jour. Une nouvelle version de l’affaire surgit bientôt : on a tiré sur Miss Mitford tandis qu’elle se promenait dans un parc de Munich.

Qui sont les assassins ? La SS sur ordre de Himmler ? L’Œuvre  se permet même de citer le nom, l’âge et le grade SS du meurtrier Ou est-ce parce qu’elle « savait certaines choses » qu’Hitler aurait décidé de son élimination ? Fallait-il interrompre une idylle naissante entre la jeune et jolie Britannique et le chef des armées du Reich ? Le geste d’Unity fait alors écho au destin tragique d’Angela Maria Raubal, nièce d’Hitler, qui s’est également suicidée en septembre 1931.

L’intransigeant reprend l’enquête : Hitler, amant exaspéré ou rival malheureux ? On s’amuse du rocambolesque de l’affaire et d’aucuns rappellent que la vocation d’égérie n'est pas de tout repos et peut devenir « un métier pénible » tandis que d’autres y décèlent une version moderne du Petit chaperon rouge. Dans L’Œuvre, Madeleine Jacob raille les « liaisons dangereuses » entre « la walkyrie au petit pied » et « l'homme à la petite moustache ». Last but not least, son père assure que sa fille a seulement voulu contribuer « à sa manière, au rapprochement amical entre les deux pays ».

Ces péripéties à cheval sur la ligne de front électrisent l’opinion franco-britannique et poussent à son comble l’appétit des journalistes. Car une nouvelle sensationnelle tombe bientôt : Unity a survécu.

Sa famille assure ne rien savoir, ni connaître la nature de sa blessure. La tension monte d’un cran lorsqu’on annonce début janvier 1940 l’invraisemblable rapatriement de la miraculée au travers de la ligne de front, via la Suisse. Le wagon sanitaire, affrété par les bons soins du Führer, doit quitter Munich pour Londres via Calais, témoin exemplaire d’une « drôle de guerre ».

Des deux côtés de la Manche, le mystère entourant son affliction et ses frasques passées piquent la curiosité du public. Sans doute, la grande fragilité de la starlette de magazine, de cette femme fatale intime de l’homme le plus inquiétant du monde – et actuel adversaire –, débarquée à Folkestone défaite, pâle et allongée sur une civière, explique cet appétit morbide.

Le retour via Calais et Folkestone est digne d’une étape du Tour de France. Les éclairs des flashes au magnésium crépitent, tandis que sa civière est débarquée sous haute sécurité. À la Chambre des communes, certains exigent sa détention pour « intelligence avec l’ennemi ».

L’épilogue s’avérera bien plus prosaïque. La balle a effectivement et irrémédiablement atteint le cerveau ; Unity est amnésique et présente des troubles mentaux. Les médecins allemands, suivis par leurs homologues britanniques, refusent d’extraire la balle restée dans la tête de la jeune fille. Il n’y aura pas de révélations ni de détails grivois.

Longtemps alitée, Unity décèdera prématurément en 1948 à Oban en Écosse, non sans que les autres sœurs Mitford continuent d’occuper régulièrement l’actualité de l’après-guerre. Mais cela est une autre histoire.

Pour en savoir plus :

FLOC'HMOAN (Annick), Ces extravagantes sœurs Mitford. Une famille dans la tourmente de l’histoire, J’ai Lu, Coll. « Document », 2002