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L’expansion du roman-feuilleton dans la deuxième moitié du XIXe

le par - modifié le 11/02/2024
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Entre 1852 et 1875, tandis que la presse s’affirme comme le médium de masse de référence, les foudres contre le roman-feuilleton, parangon de la littérature dite « populaire », semblent s’apaiser. Et les ventes s’envoler.

La censure politique et le développement de l’industrialisation qui caractérisent le Second Empire contribuent au succès grandissant du roman-feuilleton. En effet ils permettent un développement de la presse, en termes de production et de circulation, et favorisent une presse de divertissement, dont le roman-feuilleton restera durant tout le siècle l’un des vecteurs principaux.

Second trait frappant de l’époque : le développement de l’image associée au roman. Elle devient illustrative ou publicitaire, se retrouve dans les journaux, éditions illustrées, caricatures, ou sous forme d’affichage dans l’espace public… L’image fixe, avant de devenir animée, est déjà partout.

En-dehors de ces évolutions, on constate peu de changements dans les types, les intrigues, les genres, la représentation sociale, du roman-feuilleton, du moins jusqu’au début des années 1860. La création du Petit Journal en 1863, et la montée en puissance, dans la foulée, de ce qu’on a appelé la « petite presse », en même temps que le renouvellement des générations et des esthétiques vont changer la donne progressivement.

Les transformations de la presse

La première décennie du Second Empire connut peu de changements dans la presse quotidienne, si ce n’est, après l’effervescence de la Seconde République, l’étouffement de la presse politique, par tout un arsenal préventif et répressif mis en place par le décret du 17 février 1852. Les tirages évoluent peu (37 250 exemplaires en 1856 pour La Presse, le premier des quotidiens parisiens, 52 000 en 1861). Toutefois les progrès techniques et le développement du capitalisme (les journaux sont de plus en plus commandités par des banquiers), de la publicité et des techniques de vente moderne (kiosques à journaux, vente au numéro, accroissement du réseau de distribution) posent les bases de l’expansion future.

L’abonnement baisse : en 1860, il est couramment de 16 F pour un grand quotidien parisien.

Privés d’aliments politiques, les journaux tendent à se rabattre vers le fait-divers, ce qui ouvre la voie à la grande presse de faits-divers dont le premier organe sera Le Petit Journal. Le roman-feuilleton profite lui aussi de ce recul du politique : il trône dans tous les quotidiens, et l’on assiste même à la création d’une presse exclusivement consacrée aux romans-feuilletons : les journaux-romans.

Exempts de timbre et de cautionnement, parce que non politiques, et non soumis à la censure, les journaux-romans sont des brochures hebdomadaires ou bi-hebdomadaires, de 8 ou 16 pages in-4°, illustrées de gravures sur bois, vendues 5 à 10 c le numéro, 4 à 6 F l’abonnement annuel. Ils publient en général deux ou trois romans-feuilletons à la fois, des reproductions des ouvrages parus dans les quotidiens, mais aussi des ouvrages originaux. Les auteurs en sont les mêmes que ceux de la presse quotidienne, et les illustrateurs souvent de qualité : Gustave Doré, Bertall, Daumier, Staal, Castelli, Beaucé…Le premier, le Journal pour tous, fut fondé en 1855 (il dura jusqu’en 1880), et il fut suivi de beaucoup d’autres. La moyenne de leur tirage s’établit à 20 000 exemplaires (certains vont jusqu’à 80 000), et leur pénétration en province est bien attestée.

Le changement majeur fut introduit en 1863, par la création du Petit Journal, lancé à grand fracas par le banquier Moïse Millaud, le 2 février 1863 : la taille du quotidien était réduite de moitié (d’où le terme de « petite presse »), et il se vendait principalement au numéro (1 sou, soit 5c le numéro). Pour être rentable, le journal devait tirer à au moins 100 000 exemplaires, le double des meilleurs tirages de la presse quotidienne à l’époque. Pour tenir ce pari, Millaud joua sur toutes les innovations à sa portée : techniques (presses rotatives de Marinoni, perfectionnées entre 1863 et 1914), commerciales (création d’un gigantesque réseau de vente, accélération de la distribution grâce au déploiement des chemins de fer), publicité (le jour du lancement, d’immenses affiches en couleur furent placardées sur tous les murs de la ville, les kiosques à journaux, les voitures postales). Enfin il sut attirer le chaland par le sensationnel : narration mélodramatique de faits-divers sanglants (assez proche des anciens « canards », dont la disparition date justement du Second Empire), comptes-rendus détaillés des grands procès d’assises passés et présents.

Dans un premier temps, Le Petit Journal, dont le tirage était monté dès 1864 à 150 000 exemplaires, ne publia que des nouvelles ou courts romans dans le feuilleton, mais en 1866, il frappe un grand coup en publiant La Résurrection de Rocambole (223 feuilletons) de Ponson du Terrail, qui fit aussitôt monter le tirage, et ne cessa dès lors de publier une masse de romans-feuilletons, en particulier les romans « judiciaires » de Gaboriau.

Dans les années 1860, de nombreux imitateurs se développent, comme La Petite Presse, qui fit de Ponson du Terrail son feuilletoniste attitré. Ainsi se développe une nouvelle forme de presse quotidienne, drainant un nouveau public, plus étendu et plus populaire que celui des quotidiens traditionnels. En 1870, les tirages cumulés de la presse quotidienne atteignent plus d’un million d’exemplaires, dont 600 000 pour la seule presse à un sou… Quoique publiant des romans-feuilletons de genres assez divers, la petite presse réactive les « épopées des bas-fonds » dont Sue avait lancé la mode, et accueille la naissance du roman policier.

Les évolutions du roman-feuilleton : genres dominants, principaux auteurs

Première période : 1852-1865

Le roman-feuilleton semble être entré dans une période d’évolution tranquille : il se répand sous toutes les formes, du feuilleton des quotidiens à celui des journaux-romans hebdomadaires, l’édition multiplie les formats pour le reproduire, depuis les traditionnels in 8° pour cabinet de lecture jusqu’aux livraisons illustrées à 20c ou à l’in 18° à 1 F. Le feuilleton accueille pêle-mêle toutes sortes de romans, depuis les réalistes comme Murger, Duranty ou Champfleury jusqu’aux auteurs à succès de la Monarchie de Juillet, Dumas, Sue, Féval, auxquels il nous faut ajouter un nouveau venu qui monte alors en popularité : Ponson du Terrail.

Eugène Sue, bien qu’exilé depuis le Coup d’État, continue à publier quelques feuilletons dans la presse parisienne, mais sans grand écho. Son œuvre majeure durant cette période, Les Mystères du peuple, n’est pas publiée en feuilletons, à cause de son caractère politique (Sue est devenu socialiste), mais en livraisons illustrées. Après sa mort en 1857, Sue continuera à être publié, en livraisons illustrées surtout, durant tout le siècle et à influencer toute une série de romanciers, si bien qu’un critique de la Revue des Deux Mondes écrira, lors de la parution des Misérables, en 1862 :

« Les Mystères de Paris ont déteint sur Les Misérables, sauf qu’il y a chez Eugène Sue bien plus d’invention, des personnages bien plus variés, des épisodes bien plus curieux. »

Alexandre Dumas continue à publier de nombreuses œuvres dans le feuilleton, avec un succès qui ne se dément pas, mais commence à faiblir à la fin des années 1860 : il publie entre autres, ses Mémoires, mais aussi les Mohicans de Paris, dans les journaux qu’il fonde et dirige lui-même à cette époque (Le Mousquetaire, Le Monte-Cristo), vaste fresque de la Restauration finissante, qui, plus que Le Comte de Monte-Cristo, est sans doute sa « réponse » aux Mystères de Paris. Ses « œuvres complètes » illustrées en livraisons à 20c, éditées entre 1851 et 1857 chez Maresq, représentent un des ensembles les plus importants de l’édition populaire : 56 livraisons de seize pages, et 721 livraisons de huit pages.

Paul Féval rejoint, dès 1850, Dumas dans le peloton de tête des romanciers-feuilletonistes. Le Second Empire est son moment de gloire : dépassé, auparavant, par Sue et Dumas, il ne produira plus guère d’œuvres marquantes après 1876. Entre 1850 et 1870, il publie plus de 70 romans, dans les quotidiens politiques et dans les journaux-romans (il en dirige brièvement un, Le Jean Diable, de 1862 à 1863), ainsi qu’en livraisons illustrées. Son plus grand succès, à l’époque et jusqu’à nos jours, est sans nul doute Le Bossu, publié dans Le Siècle en 1857. Certains de ses romans annoncent déjà le roman policier : Les Couteaux d’or en 1856, Jean Diable en 1862, tandis que d’autres ressortissent plus au genre fantastique, La Sœur des fantômes, 1852, Le Chevalier Ténèbre, 1862, ou à la fresque sociale, Madame Gil Blas, 1856-1857. Ce mélange, ainsi que celui du sublime et du grotesque ainsi que son goût du burlesque, rattachent Féval à l’esthétique romantique, même si son pessimisme le conduira bientôt, à la fin de l’Empire, à voir la toute-puissance du côté du crime…

Pierre-Alexis Ponson du Terrail (1829-1871), qui eut l’honneur de donner un adjectif à la langue française, peupla de ses romans de nombreux journaux, particulièrement La Patrie, mais aussi L’Opinion nationale, Le Pays, La Presse, La Nation, Le Peuple, et à partir de 1865, toute la petite presse à 5c, dont il fut véritablement le héros. Il écrit environ 10 000 pages par an, à la fois des romans historiques, qui lui valurent de la part d’un critique belge l’appellation d’« Alexandre Dumas des Batignolles », mais aussi des romans de mœurs contemporaines, comme Les Gandins (L’Opinion nationale, 1860-1861). Mais ce sont surtout les aventures de Rocambole qui lui apportèrent la consécration : commencées en 1857 dans La Patrie sous le titre les Drames de Paris, elles se poursuivirent, après quelques années d’interruption, dans la petite presse, à partir des 1865. En 1863, il fournit à lui seul cinq quotidiens en romans-feuilletons, et gagne 30 à 40 000 francs par an (revenus moyens d’un artisan à la même époque : 1 500 F). Ses modèles sont Dumas, Sue, Soulié, Balzac. Chez Ponson (comme chez Féval, qui relève aussi du romantisme noir), la vision de la société contemporaine se fait plus pessimiste : le mal, dans son éternel recommencement, y semble avoir autant de puissance – et plus de séduction – que le bien, et le détournement d’héritage, l’ascension criminelle ou la destruction de la cellule familiale y remplacent la quête d’identité et l’exploration des limites de la toute-puissance individuelle.

Les romans-feuilletons de l’époque sont très diversifiés, toutefois ils sont tous dominés par la structure de l’aventure, comme le notent bien les critiques. Ainsi Gustave Planche écrit-il en 1857 :

« Les romanciers qui jouissent dans la foule d’une popularité incontestable ne racontent que des aventures. »

Mais cette aventure se déploie tantôt dans le monde contemporain, dont le romancier révèle les dessous cachés, tantôt dans le passé, tantôt dans l’ailleurs des pays lointains.

Pour le roman contemporain, le modèle reste Balzac, et sa grande fresque romanesque (ses œuvres sont d’ailleurs republiées dans Le Pays de 1852 à 1854). L’école réaliste met cependant un temps à la mode des tableaux de genre plus réduits, où la satire de la bourgeoisie tient la plus grande part, tels les Scènes de la vie de bohème de Murger, Les Bourgeois de Molinchart de Champfleury (La Presse, 1854), ou encore Grandeurs de la vie domestique, Monsieur de Boisdyver, de Duranty (La Presse, 1856). Le monde paysan et provincial commence à entrer dans le paysage feuilletonesque, même si Paris reste le cadre principal. Mais c’est surtout le « demi-monde », si caractéristique de la représentation fantasmée du Second Empire, qui peuple le roman.

Le roman historique quant à lui, quoiqu’il reste numériquement important, décline en qualité ; l’Histoire n’y joue plus que le rôle d’un cadre pittoresque de l’aventure. On l’appellera bientôt du nom générique de « roman de cape et d’épée », titre d’un roman de Ponson du Terrail publié dans L’Assemblée nationale en 1855-1856, La Cape et l’épée.

L’aventure exotique est surtout inspirée par la conquête progressive du continent américain. L’attrait ambigu pour les « terres vierges », l’opposition entre « nature » et « civilisation » vont s’exprimer principalement dans le roman de l’Ouest américain, dont le principal représentant est Gustave Aimard (1818-1883), et dont les nombreux romans obtiennent le plus vif succès. A part quelques romans se déroulant en Algérie, il faudra attendre la Troisième République pour que se déploie dans le roman une idéologie et un imaginaire de la colonisation liés à l’expansion de la colonisation française.

Deuxième période : 1866-1875

Tandis que les feuilletonistes de l’époque romantique publient leurs dernières œuvres (Dumas meurt en 1870, Ponson du Terrail en 1871, Féval cesse de produire pour le grand public en 1876), une tradition du « genre » se constitue peu à peu : la petite presse naissante republie beaucoup d’œuvres de la première époque du roman-feuilleton : Karr, Méry, Dumas, Féval, La Landelle, Gonzalès... Les fils prennent la relève des pères. Dumas fils est déjà célèbre, Féval fils va bientôt donner une suite aux aventures de Lagardère, et d’autres héros de cape et d’épée.

Dans La Petite presse Jean du Boys publie une Comtesse de Monte-Cristo (1867-1868), à côté des Blancs et les Bleus d’Alexandre Dumas (père). Avec la libéralisation de l’Empire, le renouveau du roman des bas-fonds « à la Sue » se manifeste dans de nombreuses publications : Nouveaux mystères de Paris d’A. Scholl dans Le Petit journal, 1866-1867, Mansardes de Paris de P. Zaccone dans Le Petit journal en 1868-1869, et autres Bas-fonds de Paris (Constant Guéroult, La Petite presse, 1870). Mais ce qui marque le mieux la fin – et la déconstruction – de l’âge romantique du roman-feuilleton, ce sont les deux sommes romanesques que sont les Rocambole de Ponson du Terrail et Les Habits noirs de P. Féval.

La série des Rocambole ne fut interrompue que par la mort de son auteur. Ces très longs romans (100 à 200 feuilletons) tinrent en haleine leur public sans désemparer. Les divers épisodes promènent le lecteur de Paris à Londres, dans toute l’Europe, et même jusqu’en Inde. Rocambole, criminel repenti, s’emploie à faire rendre identité et héritage aux héritiers légitimes, dans des épisodes inlassablement répétés dans leur variation, scandés par des scènes d’une violence expressionniste nouvelle. Le personnage de Rocambole tient encore un peu de Rodolphe ou Monte-Cristo, mais déjà de Zorro ou Superman. Presque sans histoire propre, il n’intervient que comme sauveur dans des intrigues qui ne le concernent pas personnellement : aussi la série est-elle potentiellement infinie.

Les Habits noirs, dont le succès fut comparable à celui des Rocambole, parut toutefois dans les quotidiens politiques (Le Constitutionnel, L’Époque, Le National), de 1863 à 1875. Les épisodes sont reliés entre eux par la récurrence de la bande criminelle des Habits noirs, dirigée par l’infernal colonel centenaire Bozzo-Corona, une bande qui n’a rien à envier aux futures mafias, et par la récurrence du mécanisme qui gouverne l’intrigue : un innocent est à chaque fois chargé d’un crime qu’il n’a pas commis, suite aux machinations des Habits noirs, les vrais criminels, qui se couvrent ainsi en offrant un coupable à la loi. D’extraordinaires créatures peuplent ces romans aux intrigues labyrinthiques comme un souterrain de roman noir : le mélancolique tueur à gages Coyatier dit Le Marchef, Maman Léo, la sentimentale et géante dompteuse de tigres, le couple burlesque de bohèmes, Échalot et Similor…

Au-delà de ces deux grands massifs, que peut-on dire de l’évolution des genres ?

Le développement de la petite presse au public plus populaire, donne un nouvel essor à la représentation des milieux populaires : ainsi l’année 1866 voit-elle paraître Le Roman des ouvrières et L’Histoire d’une ouvrière dans L’Opinion nationale, tandis que paraît La Chanteuse des rues dans La Presse. Des romanciers comme Zaccone, Guéroult, Boulabert, se spécialisent dans ce genre. À la fin des années 1860 (et de l’Empire) surgissent de nombreux romans ayant pour cadre la Révolution et le Premier Empire, dont les récits d’Erckmann-Chatrian, qui obtiennent dès 1863-1864 un vaste succès. Après la guerre avec la Prusse, le roman, qu’il fût historique ou contemporain se fit souvent patriote et revanchard, tandis que la Commune servit à la représentation de la violence populaire (voir La Bande rouge de F. du Boisgobey).

Le roman d’aventures exotiques continue sur sa lancée, avec pour cadres préférentiels l’Ouest américain et le Mexique (G. Aimard), l’Inde en proie à la colonisation anglaise, mais on voit de nouveaux espaces apparaître : ainsi Louis Salmon, dit Louis Noir (1837-1901), qui s’engagea comme zouave à 17 ans, et connut l’Afrique, la Crimée, l’Italie, fait de ses expériences la matière de nombreux romans-feuilletons. Avec Jules Verne (1828-1905), dont l’œuvre parut pour sa plus grande partie dans le Magasin d’éducation et de récréation de Hetzel, mais aussi dans quelques grands quotidiens, le voyage se fait saisie encyclopédique et scientifique du monde.

Toutefois la place de ce genre de romans dans le feuilleton reste minoritaire encore, alors que s’impose comme genre spécifique le roman que l’on dit alors « judiciaire », ancêtre du roman policier, dont Émile Gaboriau (1832-1873), ancien secrétaire de Paul Féval, est le principal représentant. Émile Gaboriau publie avec succès dans Le Pays, puis Le Soleil, L’Affaire Lerouge, qui prenait pour point de départ un fait-divers réel. Ce premier roman, centré sur l’enquête et non sur le crime, sera suivi de bien d’autres et Gaboriau devint bientôt le feuilletoniste attitré du Petit Journal, où il publia jusqu’à sa mort en 1873. Avec le personnage de Lecoq, policier apte aux déguisements comme tout bon héros de roman populaire, mais aussi génie de la déduction, et dont la gouaille devance celle de Lupin, Gaboriau a créé le premier détective moderne. D’autres suivront ses traces, dégageant peu à peu le roman judiciaire de ses langes populaires pour en faire un genre à part entière.

Diffusion et réception

Le premier véhicule de diffusion du roman-feuilleton est le journal, dont on a vu le développement tout au long du siècle. Mais l’édition en librairie qui l’accompagne et le suit ne cesse, elle aussi, de se développer et de se renouveler tout au long du siècle, amplifiant ainsi la diffusion du roman-feuilleton.

La multiplicité des formats et des collections met de plus en plus le roman issu du feuilleton à la portée de nombreux lecteurs. Au format in-8° pour cabinet de lecture, qui s’essouffle progressivement sous le Second Empire, succèdent l’in-18° Charpentier, parfois in-32°, souvent à 1 F le volume à partir de 1854 (chez les éditeurs Faure, Dentu, Hachette ou Michel lévy), les journaux-romans, les livraisons illustrées… qui mettent ces œuvres à la portée des petits bourgeois et des paysans aisés. On publie dans ces formats aussi bien des romans-feuilletons issus des quotidiens ou hebdomadaires populaires que des œuvres, plus « littéraires » issus des revues ou de l’édition. Ainsi Barba publie, de 1849 à 1855, dans sa collection de « romans populaires illustrés » Paul de Kock, Pigault-Lebrun, des romans-feuilletons, et la première édition d’« œuvres complètes » de Stendhal. Les affiches publicitaires, signées Tony Johannot, Gavarni, Granville, puis Belloguet, Castelli, Belin, sortent peu à peu de la librairie ou du cabinet de lecture pour envahir les murs des villes.

La diffusion du roman-feuilleton profite également du développement des réseaux de diffusion. Le nombre de libraires en France est ainsi multiplié par trois entre 1840 et 1910 (développement particulièrement accéléré entre 1850 et 1880). En 1853, se créent les librairies de gare, dont Louis Hachette obtient le monopole. Elles suivent le développement du réseau de chemin de fer, et Louis Hachette crée sa collection, la « Bibliothèque des chemins de fer », 500 volumes entre 1853 et 1869.

Il faut également noter le développement des revues pendant cette période. Certaines tendent alors à se rapprocher du journal, baissant leurs prix et accroissant leur nombre d’abonnés, telle la Revue des Deux Mondes, dont le prix baisse et le lectorat s’accroît, passant de 5 000 abonnés en 1851 à 25 000 en 1868. Les trois principales revues littéraires, La Revue des Deux Mondes, La Revue de Paris, et La Revue contemporaine publient toutes des romans, et, à côté de ceux qui publient presque exclusivement en quotidien (Féval, Ponson du Terrail… ), certains romanciers publient tantôt en revue, tantôt dans le journal ; ainsi Théophile Gautier, qui publie Le Capitaine Fracasse dans la Revue de Paris, mais Spirite dans Le Moniteur universel, H. Malot, Barbey d’Aurevilly.

Après la flambée passionnelle des années 1840, les attaques contre le roman-feuilleton se sont apaisées, et les romans sont analysés le plus souvent indépendamment de leur support, jusqu’à l’apparition de la presse à un sou, qui, élargissant le lectorat et accélérant la diffusion de romans-feuilletons de plus ou plus nombreux (pour répondre à la demande croissante), ravivera les craintes de corruption du « goût et des mœurs » du lectorat populaire, ainsi que la crainte de l’effacement de la parole politique dans les journaux, à un moment où justement, du fait de la libéralisation de l’Empire, elle commence à renaître.

D’ici peu, le mouvement naturaliste naissant verra également dans les grandes séries feuilletonesques le rival à abattre pour conquérir popularité et renommée, n’hésitant pas à l’affronter dans les colonnes mêmes du feuilleton : tout Zola, de nombreux Goncourt, et quelques Barbey d’Aurevilly  (Un prêtre marié dans Le Pays, 1864) seront publiés dans le feuilleton des quotidiens.

Pour en savoir plus :

Lise Queffélec, Le Roman-feuilleton français au XIXe siècle, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 1989

Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal, histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011