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Journal des débats politiques et littéraires, 9 mai 1844

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Journal des débats politiques et littéraires
9 mai 1844


Extrait du journal

PARIS, 8 MAI. Les jésuites seront-ils ou ne seront-ils pas les maîtres de l'éducation en France? Voilà la question qui a été agitée aujourd'hui à la Chambre des Pairs, quatorze ans après la révolution de Juillet, sous le gouverne ment issu de cette révolution, en face d'un ministère dont les membres principaux ont été sous la Restaura tion destitués, chassés de leurs chaires, persécutés par les jésuites. La réponse , selon nous, n'est pas douteuse. Non , les jésuites ne seront pas les maîtres de l'éducation eu France. Le gouvernement de Juillet ne trahira pas son origine. La révolution ne reculera pas devant des moines que l'ancien régime lui-même avait pros crits. Le paragraphe du projet de loi qui ne permet pas aux membres des congrégations religieuses non re connues par l'Etat d'envahir l'instruction secondaire aura l'approbation de la Chambre ; il passera avec l'a mendement proposé par la commission, amendement qui rappelle et qui consacre toute notre législation contre les congrégations religieuses, et en particulier contre les jésuites. Ce ne sont pas* en un mot, les doctrines de M. de Montalembert qui triompheront; car si elles triomphaient ou si l'on pouvait croire seule ment qu'elles ont chance de triompher, le gouverne ment de Juillet serait perdu! Il faut chercher la pensée du gouvernement dans les discours des deux orateurs qui ont si éloquemment prévenu M. de Montalembert ou répondu à son apologie des jésuites, dans le dis cours de M. Bourdeau, l'un des membres du ministère de 1828, qui ne se repent pas de sa glorieuse coopéra tion aux actes de ce ministère, et dans le discours de M. Charles Dupin. La discussion principale nous fait oublier une dis cussion assez importante cependant, mais à laquelle le cours de la délibération n'a laissé qu'une importance secondaire, la discussion sur le brevet de capacité. La nécessité de ce brevet a été contestée avec modération et talent, par M. le comte Pelet (de la Lozère) et par M. le marquis de Saint-Priest. En répondant au premier de ces deux orateurs, M. Villemain a parfaitement établi la différence qui existe entre les grades et le brevet de capacité. Les grades de bachelier ou de licencié ne constatent qu'une chose, le savoir. Le brevet de capacité a un autre but : ce qu'il doit con stater, c'est l'aptitude à diriger l'enseignement ou à le donner. Autre chose est la science, autre chose est le talent de communiquer ce qu'on sait, ou de conduire un vaste établissement d'éducation publique. Une considération nous a surtout frappés. Le grade tout seul ne serait pas une garantie sérieuse. Les bacheliers et les licenciés abondent. On en trouverait autant que l'on voudrait pour louer leurs diplômes et servir d'en seigne à des instituteurs anonymes. Le brevet de capa cité ne se prêtera pas aussi aisément à ces fraudes pieuses ou profanes. On saura à qui on le donne, dans quel but on le demande. Les grades sont pour tout le monde ; le brevet de capacité ne sera que pour les ins tituteurs., En répondant à M. le marquis de Saint-Priest, M. Cousin a levé, nous le croyons, les scrupules de l'honorable orateur lui-même, et la Chambre, à une immense majorité, a consacré la salutaire disposition du projet de loi qui oppose le frein du brevet de capa cité à l'ignorance audacieuse ou à la fraude des entre preneurs d'éducation morale et religieuse. Nous revenons à la question essentielle, à la question qui domine tout le projet de loi, et qui est la cause se crète ou avouée des passions que soulève celte im mense discussion. Personne n'jgnore que dans l'esprit de la plupart de ceux qui réclament la liberté illimitée de l'enseignement, le but est moins encore de détruire l'Université que d'ouvrir la porte de l'enseignement aux jésuites , en) attendant qu'on le leur livre tout entier. Ce but, M. de Montalembert l'a nettement confessé dans sa brochure; les évêques l'ont laissé plus ou moins clairement entrevoir dans leurs réclamations ; le public l'aurait deviné sans ces aveux. Le projet de loi y a mis un obstacle décisif, en exigeant de quiconque voudra former un établissement d'instruction secondaire la déclaration par écrit de n'appartenir à aucune des congrégations religieuses proscrites par nos lois. On fait remarquer que cette disposition ne se trouvait.pas dans la première loi, présentée en 1836, sur la liberté de l'enseignement. Non, sans doute, elle ne s'y trouvait pas. Et pourquoi l'y aurait-on insérée? Ou étaient alors les jésuites? S'ils étaient en France/^ils s'y cachaient. Ils n'arboraient pas audacieusement leur nom. Ils ne remplissaient pas les chaires. Us ne bravaient pas nos lois ijui les ont chassés et le sentiment public qui les repousse avec une inyincible répugnance. Us n'en étaient pas venus à cet excès de hardiesse de se poser en pouvoir rival du pouvoir de l'Etat. En 1836, la Révolution de juillet pesait encore sur eux; le souvenir de leurs intrigues aboutissant à un coup d'Etat les écrasait; le clergé, plus sage et moins ins piré alors , se gardait bien de confondre sa cause avec la leur. Tout est changé. Nous sommes loin de 1836. La loi a dû changer également; et dans le silence du ca binet , sans attendre la déclaration qu'il pourra faire demain , nous sommes trop de ses amis pour ne pas désavouer en son nom l'espèce de complicité secrète que Ihi a imputée M. de Montalembert. Le ministère , nous en sommes convaincus, a volontairement inscrit «dans la loi l'article qui exclut les jésuites. Il n'a pas cédé à un préjugé, il a obéi à l'esprit de la révolu tion. Nous répondons de M. Villemain comme de nous mêmes ; nous répondons de M. Guizot. S'il y a eu des fautes de commises, on peut les attriiiuer à une confiance un peu trop hautaine dans l'esprit de notre temps. De l'imprévoyance , soit ! De l'impartialité poussée jus qu'à l'excès , soit encore ! De la complicité, c'est impos sible ! Impossible de la part du ministère , impossible de la part du Trône ! Le danger éclate aujourd'hui. Il faut choisir entre les jésuites et la révolution ! Et qui pourrait hésiter, après avoir entendu le dis cofirs de M. de Montalembert? Une première fois de puis six semaines l'honorable pair a pri» la parole pour...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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