Extrait du journal

La mer, après chaque tempête, dépose le long de ses rivages d'informes débris, plus mélancoliques encore sous la clarté du soleil revenu : étraves de barques, sor ties du port toutes voiles dehors pour un beau voyage, avec leur cargaison de rêves et d'espoirs ; objets divers, déchiquetés, roulés, souillés, hier compagnons muets de ceux qui voguaient en chantant et sem blant garder encore à présent, comme cer tains coquillages le bruissement des flots, l'émouvant murmure des voix qui se sont tues. Et, cependant, tout continue. Là-bas, dans un village ignoré, quelques noms se sont ajoutés à d'autres, inscrits déjà sur les dalles du petit cimetière ; une. cloche ,a sonné le glas ; au passage de ses vibra: tibns funèbres, des femmes se sont signées; ëiies ont dërriàridé : « Qui est-ce? », et puis ont repris leurs travaux ou leurs plai sirs. La nature a laissé fleurir ses vergers, verdoyer ses herbages, mûrir ses fruits, chanter ses oiseaux ; sa sève s'est infiltrée partout, ouvrant l'écorce des buissons et des arbres, brisant la coquille des œufs au fond des nids, semant des graines dans chaque fente des murailles, recouvrant même les pauvres choses rejetées sur la rive d'une sorte de renouveau. Mais les êtres qui, il y a quelques jours encore, faisaient des projets d'avenir, riaient, ai maient, ceux-là s'en vont maintenant à la dérive, entre deux eaux, entraînés par quelque mystérieux courant vers le grand inconnu....