Extrait du journal

Taxer le luxe a paru à des législateurs bornés une invention géniale. La masse des électeurs devait être reconnaissante à ceux qui avaient eu une aussi heureuse idée. En réalité,' comme pour la plupart des inventions démagôgiques, ce sont ceux qui y applaudissent qui, finalement, en souffrent. M. Louis Forest le montre dans son Animateur des Temps nouveaux, et ilfn'a pas été embarrassé pour prouver la rûalfaisance de cette taxe que, mieux inspirés que nous, les Anglais, les Allemands et les Italiens ont supprimée. Nous aurions eu plus de raisons que nos voisins pour opérer cette suppression. La France avait toujours, jusqu'à ces derniers temps, affirmé sa maîtrise dans la fabrication 'i des articles de luxe. Le luxe, ou, pour être plus exact, le bon, le solide, le soigné, étaient, pour la France, la Poule aux œufs d'or. Il enrichissait le "pays. "Par des taxes excessi ves sur les belles industries, le fisc tend à écraser les commerces qui étaient notre force, notre gloire. Il tend à obliger la France, célèbre pour la qualité, à ne plus chercher sa voie que dans la camelote. En voici un exemple. Un tailleur vend, à Paris, un vêtement 800 francs. Il paie 2 %, soit 16 francs à l'Etat. Pas de taxe de luxe. Il lui reste donc 784 francs. Le même tailleur vend un vête ment semblable, mais de meilleure qualité. Il le vend 80 francs de plus, soit 880 francs. Il paye la taxe de luxe : 105 francs. Il ne lui .reste donc que 775 francs. S'il vend moins bon (800 francs), il lui restera donc 9 francs de plus que s'il vend bon (880 fr.) Il saute aux yeux qu'il devient plus avanta geux, pour le tailleur, de livrer un vêtement de moindre qualité. On l'oblige à. ne plus soigner. C'est le contraire de la civilisation qui doit, du haut en bas de l'échelle, tendre à la qualité. On pourrait citer beaucoup d'autres exem ples du même genre. L'une des conséquences nocives de la taxe de luxe, c'est de détourner l'étranger de l'achat de nos produits. Enfin, la taxe de luxe est une prime à la fraude. Bien plus, pour certaines industries, la fraude est presque inévitable. Reprenons l'exemple du tailleur. . ■ Il vend un complet veston 800 francs, prix limite pour l'exonération de la taxe de luxe. Supposons qu'une exigence de son client né cessite un travail ou une fourniture supplé mentaire de 50 francs. Le tout fera 850 francs. Or, le tailleur, s'il ne veut pas perdre, ni frauder l'Etat, devra faire payer à son client 975 francs. Pour une fourniture valant 50 fr., le tailleur devra exiger de son client 125 fr. S'il les exige, il se fera traiter de voleur, de mercantiî S'il se trouve, ce qui arrive sou vent, en face d'un étranger, la réaction sera encore plus violente! D'où, pour ce commerçant, presque l'obli gation de tricher ou de vendre de la camelote. En réalité, la taxe de luxe est l'un des plus beaux produits de l'ignorance économi que. Ceux qui l'acclament sont ceux-là mêmes qui seront ses victimes, parce qu'ils ignorent les incidences des impôts. En rai son de ces incidences, la taxe frappe en ma jorité ceux qui n'ont pas de luxe et ne con naissent du luxe que le nom; aussi devrait elle être supprimée le plus tôt possible....