Extrait du journal

— Tout de même... vous allez fort. — Pas du tout ! Le Christ, qui était si peu un endormi, qu’en trois ans — tu entends bien.. ? trois ans — il a réveillé toute la terre, et que, crucifié il y a deux mille ans, il reste le seul adver saire que redoutent tes amis... le Christ a dit : Je suis venu apporter l’incendie sur la terre. Et ma vo lonté est qu’il se propage... Il a dit encore : Veillez et priez !.. Soyez toujours prêts ! ... Tu trouves que ce sont là des consignes d’opium.. ? Maintenant, mon maçon veut se « défiler »... Je le retiens des deux mains. — Rien que « chez nous »... crois-tu que Clovis était un en dormi quand, assistant à un récit de la Passion, il brandissait son épée en criant : « Que n’étais-je là avec mes Francs !.. » ... Et Charles Martel à Poitiers!.. Et Charlemagne !.. Et Pierre l’Er mite qui, avec Codefroy de Bouil lon. a jeté l’Europe à la conquête des Lieux Saints !.. Et Vincent de Paul!.. Et François Xavier,l’apôtre des Indes LEt tous les martyrs des Missions étrangères !.. Des en dormis.. ? Vraiment, tu crois ça.. ? — Ah, j’ai dit ça, comme j’au rais dit autre chose... — Ce n’est pas vrai !.. Tu as dit cela parce qu’un Russe te l’a dit.. Et même, il t’a ordonné de le ré péter... Toi, brave ouvrier français, tu t’es laissé bourrer le crâne... Avoue-le.. ? & Le maçon baisse la tête, un peu honteux. Moi, je suis remonté pour vingt-quatre heures. Alors, je con tinue : — L’opium du peuple, c’est le matérialisme dans lequel on vous englue... ... On vous vole tout ce qui fait le charme de la vie et ce qui lui donne son sens... la famille... les enfants... la liberté... la foi reli gieuse. Et on remplace ces magnis choses (par quoi,; ? Par ce. fameux Paradis russe, dont aucun de vous ne veut.. Sans quoi, tous, vous devriez sauter illico praestissimo dans le train de Moscou... ce Paradis,, tellement pharamineux, qu’il faut mettre des gardes rouges à toutes ses portes pour empêcher, à coups de fusil, ses élus de se sauver ailleurs... Mon maçon lève les deux bras en l’air : . — Je ne me figurais pas... — II y a tant de choses que-l’ouvrier ne se figure pas !.. — En tout cas, qu’est-ce _que je viens de prendre pour mon rhume !.. — Mais non !.. Pas pour ton rhume !.. Pour ton opium... Au fond, tu sais... c’est une sale drogue. Deux grammes suffisent pour tuer un homme. — Enfin... je ne suis pas encore mort! — J’espère même que tu ne mourras pas. Ce serait trop dom mage... un brave type comme toi. Mais, méfiance !.. mon garçonméfiance !.. Et, malgré l’opium, on s’est quitté en se serrant la main... Chez nous, en France..., le curé et l’ouvrier, ça finit toujours comme ça. Pierre l’Ermite;...