Extrait du journal

Je viens de perdre une des belles heures de ce matin— Vous savez.. ? une de œs heures qui « ont des fleurs dans la bouche »— Je l’ai perdue en lisant des jour naux qui commentaient la décla ration ministérielle, — une de plus !.. Mais au moment où, d’une main lassée, j’envoyais dans le panier à papiers toute cette viande creuse, une femme entra dans mon bureau- ,une pauvre femme du peuple. Elle avait une robe grise, un fichu sur la tête, et elle portait danjs ses deux bras un paquet vo lumineux, soigneusement entouré de papiers et ficelé à souhait. — Voilà, Monsieur le Curé— Je voudrais que vous me bénissiez tout cela.. — Tout cela.. ? — Oui. Alors, avec méticulosité — la ficelle coûte si cher !.. — un à un, elle défit les nœuds, ouvrit le pa pier, gris comme sa robe... Et j’aperçus une belle crèche, naïve et multicolore. — Ah— je change d’air !» m’écriai-je en riant. — Vous la trouvez jolie, ma crèche ? — Et complète !.. — Mon mari et moi, nous avons cherché à n’oublier personne— En effet, tout le monde y était Il y avait le petit Enfant Jésus, en robe de tulle, sur du foin— Il y avait la Sainte Vierge, qvec son beau manteau bleu... II y avait le bon saint Joseph fatigué, rêveur, sa tête chauve appuyée sur son bâton. Et puis, naturellement, le bœuf, un bœuf superbe, l’âne et quel ques bergers qui présentaient un agneau à l’Enfant Jésus. Tout cela était clair, gai et co quet Sur mon bureau, couvert de paperasses austères, toutes ces couleurs chantaient”!.. — Ce que mes petits vont être heureux, mercredi soir!.. On allu mera l’étofle- On portera des fleurs... On fera la prière du soir devant elle... — Vous avez l’habitude..? — Nous avons toujours fait une crèche chez nous. Mais l’ancienne était à bout. Alors, mon mari l’a repeinte, et donnée à des voisins Maintenant, avec nos économies, on s’est offert celle-ci !.. Et la femme souriait à sa crèche— Et la crèche semblait sourire à la femme... Car, en la crèche, se concentre tout le charme infini de Noël. Une église sans crèche, c’est, en hiver, la cheminée sans feu. Et, par crèche, nos pères n’en tendaient pas seulement une chose toute faite, achetée chez un mar chand, et placée là, dans une quel conque chapelle, comme on place, sans ferveur, une quelconque chaise. Non- Leur crèche, à eux, était la reproduction, amoureusement faite, du mystère des mystères : Dieu « se faisant chair ». Pressez ces deux mots : Dieu et chair, les ressorts de la raison ge tendent à éclater, car on arrive, d’un seul bond, au mystère cen tral... au seul mystère, qui est l’Amour. • & La crèche est donc la grande actualité de cette semaine. La crèche, au foyer de la fa mille— La crèche dans les écoles— dans les patronages... dans les camps de ScoutsLa crèche à l’église, surtout I La crèche intéresse tout le monde, depuis le bébé qui bat des mains devant son divin frère jus qu’au. Monsieur en gris qui, pensi vement, vient la regarder, et qui s’en va en murmurant: « Tout de même, si c’était vrai- ? » Mais oui, Monsieur tout en gris, c’est vrai !.. Et comme on voit palpiter toute une patrie derrière les pauvres plis d’un drapeau, aperçois, der rière l’image naïve, tout l’amour infini d’un Dieu pour la pitoyable humanité. « Si, dans votre région, il y a, pour Noël, des coutumes tradi tionnelles, conservez-les précieu sement ! Comprenez alors votre rôle « d’agent de liaison ». Dans telle paroisse de l’Aisne, les bergers ou les Enfants de Marie conduisent solennellement à la crèche un mouton vivant, offert, à tour de rôle, par chaque fermier du pays. Ce mouton devient sacré ; on l’appelle le « cadet » ; on ne le tue pas, et il meurt, de sa belle mort, dans la ferme où il est né. Que de traditions touchantes en Alsace, en Bretagne, en Savoie et...