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La Croix, 25 février 1922

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La Croix
25 février 1922


Extrait du journal

Un charmant écrivain, qui est aussi un éminent orateur, a consacré un beau livre aux « Eglises guerrières » (1). Aumônier des « diables biaus », il les accompagna partout pendant les quatre ans de guerre. Avec ses petits chasseurs, il fut au Vieil-Armand, à Metzeval, sur la. Somme, dans les Greutes de l’Aisne, en Champagne partageant leurs périls, leurs privations, leurs souffrances phy siques et morales. Et il chante, dans son livre, l’accueil secourable des églises du front, « douces hôtelleries » à ceux qui souffraient dans la fournaise. Accueil, d’abord, aux âmes avides de solitude. Ceux de l’arrière, note le P. Vuillermet, recherchaient) la société. Us avaient peur d’être seuls. Mais ceux de l’avant éprouvaient souvent une soif aiguë de solitude. Echapper un moment aux heurts de la promiscuité, se sous traire à l’infernale atmosphère, pour se recueillir, pour lire une lettre aimée, penser aux absents, pleurer un peu : c'était comme un besoin. Mais, où aller? La petite église du village, dans l’ombre si douce du jour déclinant, nous accueille avec bonté. Tout rappelle l’église de chez nous. Les saints qui nous regardent, ce sont les mêmes vers qui se tendaient suppliantes nos petites mains d’enfant. A leurs pieds, on peut pleurer, ils sont accoutumés à exaucer cette prière des larmes. Et tandis que nos lèvres murmurent l'interminable litanie de nos peines et de nos espoirs, du tabernacle où nous écoute le Maître descend sur notre cœur la rosée qui apaise et la consolation qui réconforte. C’est ainsi que nos églises se sont faites tendrement séduisantes pour ceux qui, dans les heures de désarroi intellec tuel et moral, allaient frapper à leur porta Accueillantes aussi pour la colonne arrivant exténuée à l’étape et ne trou vant pas d’abri. On entre dans le village. H est tard. Toutes les maisons sont occupées. Plus de place. Il faut se résigner à passer la nuit le long de la route encombrée do convois sans fin, sous une pluie glaciale. Mais voici le vénérable curé : « 'Mies pauvres enfants, vous ne pouvez pas rester ainsi sous la pluie. Venez dans mon église. Le bon Dieu ne m’en voudra pas de vous faire logea* chez lui. N’êtesvous pas ses soldats ?» Et l’on entre, on s’installe, on s’al longe sur les bancs et sur les dalles. Mais les bons « petits diables », si bruyants d’habitude jians leurs canton nements, èe taisent sous les faibles rayons que projette la lampe du sanc tuaire. Dès l’aube, les prêtres soldats commencent leurs messes, mais à voix très basse pour ne pas troubler le silence des camarades. Et quand le gradé vient réveiller ses hommes, il avance avec précaution et secoue sans bruit les dor meurs. Us remercient par le respect le doux accueil de l'église. D’autres fois, les églises se font plus maternelles encore. C’était au début de la guerre surtout. On ne savait où déposer les blessés. On les portait aux églises ; Accueillantes pour les vivants et les souffrants, les églises l’ont' été aussi pour les morts : Je n’oublierai jamais ma visite matinale à la petite église de Michelbach en Alsace, le len demain d’une bataille, la première année de guerre. La nef était remplie de morts alignés sur deux rangs. B y en avait jusque dans le chœur. Sur les degrés de l’autel était étendu un sousofficier d’infanterie. C'était un Jeune prêtre du diocèse de Lyon. Ses camarades, par respect pour son caractère sacerdotal, l’avaient place aussi près, que possible du tabernacle !... Hélas ! Dans les montées et les res sacs de la marée barbare, que de « douces hôtelleries » abattues ! Blessées tendant vers le ciel les moignons de leur clocher ou de leur abside, mortes gisant en un amas de décombres informes — ilisjecta membra, — «lies sont plus de trois mille tout le long de la zone .rouge- ! Ce n’était qu’à la dernière extrémité et en gémissant, note le P. Vuillermet, que nos artilleurs se résignaient à prendre pour objectif nos vieilles églises. Il le fallait bien parfois : nos ennemis, au mépris de toutes les Conventions, les avaient transformées en forteresses. U fallait bien détruire leurs observatoires et réduire au silence leurs mitrailleuses dont les tirs plongeants semaient la mort dans nos, tranchées . Ainsi, a été défiguré, sur un huitième de notre territoire, le beau visage de la France, Quand le train nous emporte à travers les plaines de la Picardie ou de la Cham pagne, c’est là une des tristesses qui remplit les yeux et serre le cœur : plus un clocher qui jalonne l’horizon. Plus une de ces bonnes vieilles églises de vil lage, trapues, aux torts élargis s’étendant comme les ailes de la mère poule pour couvrir ses petits. Peu à peu, les maisons re nais sent. Les abris provisoires font place à des toits plus durables. La vie matérielle reprend. L’horreur infernale des champs boule versés s’efface sous le rude labeur de nos vaillants paysans. Mais tout ce renouveau se déroule dans une infinie et mélancolique unifor mité. Point de centre visible auquel se rattache cette reconstitution dispersée. On refait l’école : c’est hien. Mais si l’école est un foyer pour les enfants, elle n’est pas une maison pour tout le monde....

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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