Extrait du journal

L’engorgement clu magasin d’Autcuil, où la ville de Paris dépose depuis cinquante ans les statues dont elle n:a que faire, a souvent inspiré la chronique ; il n’est guère de bro cards qu’on ait épargnés à cette friperie de marbre et d’airain, guère d’humoriste en quête qui n'ait exploré ce purgatoire afin d’en dé tailler les vaines attitudes et les grâces laissées pour compte. Or, à ce qu’on annonce, les rieurs vont changer de côté : la Ville aurait trouvé l’em ploi de cette réserve monumentale ; le jardin qui s'esquisse au Champ-de-Mars est à la fois vaste et chauve; ou en confond à pre mière vue les bosquets et les plates-bandes, et d’ici quelques années, toute l’ombre sur laquelle il peut compter lui viendra de la tour Eiffet. Alors, comprenez-vous ? C’est là qu’on mettrait les statues d’Auteuil. Cette végétation a une foule d’avantages : d’abord, elle se dépote et rempote avec une parfaite docilité, quelle que soit la saison, bien que le bronze se recommande particulière ment quand il gèle à pierre fendre ; elle est très vivace et reprend à coup sûr, même si, par le plus grand des hasards, en oublie de l'arroser de quelques discours ; elle donne des boutures dont la multiplication est assurée : où qu’on pique une statue, il est inévitable qu’elle fasse des petits : bronzes et marbres ne sont pas de bois, et vienne à passer quel que jeune artiste du plus grand avenir, le gaillard ne manque pas à prendre de la graine. Quant à l'ombre, elle est maigre, sans doute ; mais la feuille de vigne en bronze, si elle se fait de plus en plus rare, a du moins aux yeux des gardiens cette supériorité de verdir en vieillissant et de rester à son poste, tandis que le platane jaunit et jonche le sol qu'il faut sans cesse balayer. Et puis, si les branches font défaut aux statues du Champde-Mars, elles se rachèteront par le nombre des troncs et des fûts : songez qu’elles seront exactement deux cent soixante-sept. Il y a là certainement de quoi transformer le Champ-de-Mars en un fameux taillis mi néral. Et si par extraordinaire il restait de la place, que demandera le dépôt d’Auteuil, une fois vidé, sinon de se remplir à nouveau des futurs achats de la Ville ? Et pourquoi pas, en somme ? Quand la transformation de tous les jardins de Paris en forêts de marbre sera définitivement adoptée, quoi de plus naturel que d'élever les magasins d'Auteuil à la di gnité de pépinière? Lire en quatrième page : CHIENNE DE RACE, conte inédit, par Gaston Derys...