Extrait du journal

Notre croque-mort professionnel, sans mériter le reproche de sensiblerie, a plus de cœur que cela, et malgré son nom il n’est ni un croquemitaine ni un vampire. Lui reprochera-t-on d’avoir acquis le degré de philosophie indispensable pour bien faire son métier? Il est vrai que le cercueil capitonné de soie ou doublé de plomb ne lui impose pas plus que la bière formée de voliges de sapin, et qu’il ne se laisse pas non plus prendre aux sima grées de la fausse douleur, aux larmes des héritiers, aux hyperboles de l'élo quence funèbre. Il a trop d’habitude pour ignorer ce qu’en vaut l’aune. Son cœur n’est pas de pierre cependant. En dehors du métier, qui le laisse froid, il a ses joies et ses peines personnelles. N’est-il pas caractéristique, ce mot do l’un d’entre eux, qui éprouvait, après la mort de sa femme, quelque fausse honte à laisser couler ses larmes : « On a beau être de la partie, disait-il, on ne peut se défendre d’avoir du chagrin. » Mais, pleurer sur toutes les tombes, c’est trop. On dit qu’un certain nombre de croque-morts sont engagés dans la figuration des théâtres. A la tragédie le matin, à la comédie le soir : n’est-ce pas là l’image de la vie? LOUIS RAUCOURT....