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La Petite République, 30 novembre 1906

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La Petite République
30 novembre 1906


Extrait du journal

Les inventaires continuent et vont bien tôt être terminés. Les agitateurs politiques qui ont voulu mettre la foi des autres au service de leurs passions rétrogrades et de leurs intérêts, échouent piteusement. Des barricades pour rire, des pierres lancées de haut et de loin à l'abri des représail les, des clwises, des poutres entassées der rière les portes, des moyens de défense cruels et sournois : c’est tout ce qu’ont pu trouver nos croisés modernes et dégéné rés. En vain ils s’essaient et s’épuisent, de leur souffle affaibli, ù faire jaillir encore des étincelles et des flammes du foyer qui s’éteint, faute de combustible. La foi ago nise et le temps des martyrs n’est plus. Sans penser à nier la part de poésie et de justice contenue dans chacune des reli gions qui se disputent les bonnes grâces célestes, sans contester le progrès qu’elles purent, toutes, réaliser à leur naissance, nous pouvons aujourd’hui sans crainte les saluer au passage, comme on salue les morts rendus à la terre. Bonsoir, mes sieurs ! Pour aider à supporter une vie de souf france et de misère, la croyance au bon heur, même après la mort, fut sans doute nécessaire.L’homme pour sécher ses larmes levait les yeux au ciel dont il espérait la joie et la paix éternelles. Le paradis, caisse de retraites supra-terrestre, où il croyait sa place marquée au bon endroit, le consola longtemps ; il ne suffit plus au jourd’hui à ses besoins de réalité immé diate, à ses appétits de justice. Contem plant son œuvre, il se dresse avec orgueil. Il veut la terre enrichie de son effort, il ré clame sa part des merveilles créées de son génie ; il affirme avec force son droit de vivre et ne se contente plus de mourir un peu tous les jours pour disparaître avant d’avoir vécu. La raison triomphante a renversé les faux dieux. Nul ne remontera sur leurs piédestaux les idoles où les avaient placées l’ignorance et la crainte des êtres meur tris et humiliés. La conscience humaine élargie a, enfin, brisé les liens qui l’enser raient. La prière est impuissante à calmer nos maux et nos peines. Les lettres de crédit tirées sur les cieux, à longue échéance, sont revenues protes tées ; les dieux mauvais payeurs, myopes et muets, régnent sur des sujets aveugles et sourds. Platement, dans la chicane et la dispute procéduriers torturant les textes, se que rellant pour de l’argent et des biens ma tériels, niant leurs professions de foi et leurs programmes, abandonnant le maître spirituel, pour s’accrocher au patron qui payait régulièrement, sans dignité les re présentants officiels de la maison divine vont quitter leurs fonctions. L'étroitesse des esprits figés dans l'im muabilité des dogmes ne permet pas aux prêtres de mourir en beauté; il était permis d'espérer plus de grandeur. Les professionnels du christianisme ne disparaîtront pas sous les ruines des tem ples écroulés, ils se retirent la tête basse, tendant la main, par habitude, comme des mendiants. Chassés du temple, les marchands de bonheur, en doublé, n’ont pas un cri de colère, ils ne songent qu’à emporter les meubles et les couverts, négligeant seule ment les objets sans valeur. Ils ne regret tent que la maison où l’on était bien, où il faisait chaud en hiver. El la terre tourne, le soleil brille, la pluie tombe ; il y a encore des étoiles au ciel. Avec une régularité désespérante, calculée par le mathématicien, le jour suc cède à la nuit. Pas de soufre descendant des nues, pas de pluie de crapauds, pas de grondements dans les cieux ; on entend seulement le croassement des corbeaux chassés de leurs nids. Nulle catastrophe vengeresse ne sur vient : Dieu ne reconnaît plus les siens. L’impie triomphe... Les prêtres de toutes les religions, les fidèles de toutes confessions demeurent étonnés et stupides de leur impuissance et de la paralysie divine. Après avoir été tout, ils ne peuvent se résigner à n’ètre rien. Sans comprendre le mouvement qui les entraîne et les brise, ils sont emportés et brisés quand même et c’est en vain qu’ils essaient d'établir des barrages pour arrê ter le flot, espérant faire remonter le fleuve à sa source, les sociétés humaines à leur origine de bestialité. Les doigts amaigris et nerveux de l’ascète auraient su manier le bûton ; la main grasse et blanche du prélat ne peut que bénir et recevoir des aumônes. Ah ! ces inventaires, de quelles atrocités ne devaient-ils pas être le prétexte i C’était la guerre religieuse, du sang partout ; et tenant à deux mains leurs mâchoires, les meneurs étaient prêts à massacrer les phi listins. Exaspérés, les fidèles devaient dé fendre leurs biens et rendre, en mauvais...

À propos

La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.

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