Extrait du journal

ASSEMBLEE consultative se réunit aujourd'hui. C'est une date dans l'histoire de la démocratie française. Depuis cinq ans, le pays avait quelque peu perdu le goût — sinon le souvenir — de nos institutions parlementaires. Et il ne manquait pas d’esprits forts pour déclarer que ce long silence imposé à la nation par une poi gnée de traîtres, était encore le remède le plus approprié cr cette fâcheuse propension à la discussion publique qui carac térise notre tempérament national. Eh I bien, les esprits forts avaient tort. Les esprits forts ont d'ailleurs toujours tort — c'est bien connu, depuis Pascal. Il est ridicule et vain de prétendre réduire le rôle tfim vieux peuple comme le nôtre, qui a un sens si aigu de ses responsabilités, à celui de spectateur, muet et passif. Nous avons un goût inné de la lutte pour les goûts et les couleurs. Cela s'accompagne d'un mépris instinctif de tout ce qui est usurpé — si bien qu'un gouvernement (fût-il comme celui du général de Gaulle, le plus populaire que la France ait connu depuis longtemps) qui ne tiendrait aucun compte des courants d'opinion et rejetterait tout contrôle, sombrerait bientôt dans la plus tragique des aventures. C'est pourquoi, bien qu’elle ne soit que provisoire, et quelle ne soit pas issue du suffrage universel (les circons tances ne le permettent pas), nous pensons que l’Assemblée qui se réunit aujourd'hui au Luxembourg est une institution nécessaire et que son rôle peut être utile. Une mauvaise Chambre vaut mieux qu'une antichambre. Mauvaise Chambre, celle-ci ne l'est d'ailleurs pas. Voyez sa composition : en majorité, les délégués des mou vements de Résistance, des partis politiques, des organisa tions syndicales qui composent le Conseil National de 1er, Résistance. En outre, des parlementaires choisis parmi les résistants les plus authentiques de la Chambre et du Sénat, et des personnalités dont le patriotisme s'est héroïquementj aliirmé dans la lutte contre l'ennemi. Ce n'est pas si mal. Sans aller jusqu'à dire quelle est en tous points l'image exacte de la France politique d'aujourd'hui, on doit convenir que l’Assemblée consultative est largement représentative des aspirations les plus nuancées de la nation. Son rôle peut être considérable. A plusieurs conditions toutefois. D’abord, il est indispensable que la nouvelle institution! évite de tomber dans les erreurs qui discréditèrent la vie par lementaire d’avant guerre aux yeux de tant d’honnêtes gens. Le byzantinisme, la surenchère, la démagogie, l’esprit parti san ne sont plus de mise. Le pays n'en veut plus. Ensuite, il convient que les membres de l'Assemblée se pénètrent de l'importance nationale et internationale de leur mission. La frivolité de certains débats des Chambres an ciennes était peut-être innocente. Elle serait aujourd'hui coupable. L'épreuve que nous traversons ne doit être pour personne, selon le mot de Baudelaire, « un orage où rien de neuf n'eet contenu, ni enseignement, ni douleur ». Enfin, il convient que l'Assemblée donne l'exemple du travail. Le pays attend d'elle des actes et non du vent. Qu'elle ignore donc les textes surannés, les méthodes anachroniques qui régissaient les travaux parlementaires d'antan. Elle doit au contraire innover hardiment et rapidement en ce domaine afin de donner à son effort la continuité et la stabilité qui s'imposent. Le pays a les yeux fixés sur l'Assemblée consultative. 11 en attend de grandes et nobles choses. Puisse-t-elle ne pas le décevoir ! Pierre CORVAL....