Extrait du journal

« L'absence du garçon, c'est nous surtout qu'elle ruine. Il nous aidait à cultiver notre bien. Personne ne veut plus travailler la terre, dans notre malheureux pays. Ce que nous avons payé vingt francs la perche vaut vingt sous. Les récoltes nous nourrissent à peine, dans les bonnes années. Aux vendanges dernières, nous n'avons pas fait quatre pièces de vin. Si Auguste était îà, pour sûr tout irait mieux. Nous sommes obligés de nous imposer des privations pour lui envoyer un petit mandat, de temps en temps. Il n'est jamais venu en permission, depuis deux ans qu'il est au régiment, parce que le voyage coû te trop cher ; nous ne le verrons pas avant la fin de son service, dans un an. Chacun a ses peines. Auguste est bon, il ne demanderait pas mieux que de s'occuper de son enfant. C'est le gouvernement qui l'en empêche, en le retenant trois ans sous les drapeaux. H n'écrit pas, parce qu'il aurait des choses trop tristes a dire. C'est un garçon délicat. Il ne nous a jamais tiré do carotte. Il ne voudrait pas augmenter l'embarras où nous sommes. C'est un garçon sérieux, qui sait bien que ce qui est à nous sera pour lui. Il faut l'imiter, Louise, et nous ménager, ne rien attendre de nous pour le moment. Vous n'êtes pas, d'ailleurs, si abandonnée que cela. Vous recevez de l'assistance publique six francs par mois pour le petit, et le bureau de bienfaisance vous accorde aussi quelques secours en nature. C'est toujours de quoi ne pas mourir de faim. Allez, Louise, et ne vous découragez pas. Aidez-vous, le ciel vous aidera. »...