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Le Charivari, 30 mai 1837

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Le Charivari
30 mai 1837


Extrait du journal

LES DEMOISELLES DE LETTRES. La demoiselle de lettres avait une des vocations les plus complètes qu’on puisse imaginer. A peine âgée de trois semaines,elle versifiait déjà sans le secours du dictionnaire de Richelet; et le jour où elle fut bap tisée, elle émerveilla sa famille attentive, en décla mant une ode magnifique sur le péché véniel et ses terribles conséquences. En général, Paris produit fort peu de demoisel les de lettres ; la province semble avoir le monopole exclusif de celte importation. C’est donc en provin ce, sous l’aile maternelle, qu’elle passe ses premiè res années de douce paix, de bonheur tranquille, durant lesquelles la séréni.é de son âme s’épanouit sur son visage rubicond, et se reflète sur ses ouvra ges. en auréole chaste et lumineuse. Du jour de sa naissance jusqu’au moment où elle atteint son dix-septième printemps, la demoiselle de lettres est essentiellement élégiaque. Quelquefois elle aborde les hauteurs escarpées du poème épique, en douze chants, mais c’est timidement, la rougeur au front, et pour se retirer bien vite dans le calme de l’élégie. C’est-là qu’elle est véritablement à l’ai se, chantant tour à tour la rose à peine éclose, la chute des feuilles et le jeune poitrinaire. Le jeune poitrinaire surtout est son sujet de prédilection; elle l’a mis à toutes sauces, c’est-à-dire à tous rhytmes; elle lui a fait rendre le dernier soupir de mil le manières, couché sur le bord d’un lac, couché dans une forêt, couché sur des feuilles jaunies, etc. Du reste, la demoiselle de lettres ne s’en tient pas à la poésie, elle cultive aussi la prose avec un remar quable succès; elle fait des nouvelles dans le genre Bouilly, et des proverbes dans le genre Bcrquin, les quels sont insérés, le samedi, dans la feuille d’annon ces du département. Oiseux de dire qu’elle a concouru aux jeux flo raux. Au cinquième concours, elle a obtenu un accessit.Sa patrie l’a décorée jdutitre de dixième mu se, et le premier jour de sa quinzième année, elle a été nommée à l’unanimité membre honoraire de la société d’agriculture de son chef-lieu. Dès lors sa gloire n’est plus à contester. On la montre aux étrangers concurremment avec les fabriques de chandelles, d’épingles ou de bonnets de coton qui passent, de temps immémorial, pour les monumens du pays. Malheureusement la philosophie nous apprend et l’histoire nous démontre combien la faible humanité se laisse facilement aveugler par le succès. Donc, un beau malin, la demoiselle de lettres trouve qu’elle n’est pas faite pour moisir en province. « Ici l’on manque d’air, le cercle est trop petit ! s’écrie-t-elle, partons ! C’est un plus vaste théâtre qu’il me faut ! » Et soudain la voilà qui prend la...

À propos

Fondé par Charles Philipon en 1832, Le Charivari fut le premier quotidien satirique illustré au monde. Régulièrement poursuivi pour sa critique de Louis-Philippe, le journal disparaît néanmoins bien plus tard, en 1937.

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Données de classification
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