Extrait du journal

soudain s'allument. L'autre jour, ce qui dominait, ou du moins ce qui charmait le plus l'attention, c'étaient de larges et subtils accords de jaunes et de violets. Cela déjà.vous expliquerait mieuxl'œuvre du maître, dont l'exécution est fou gueuse et pleine de joie, mais dont tous les effets sont calculés. Puis il y a un autre jardin, qu'on ne voit pas en passant celui-là, parce qu'il est en contre-bas d'une petite ligne de chemin de fer également parallèle à la route. C'est le fameux jardin des nymphéas, avec le petit pont vert japonais qui tra verse la pièce d'eau entourée de saules et d'autres arbres capricieux ou rares. Damasquinée ''des larges feuilles ron des des nymphéas, ' incrustée^ des pier res précieuses que sont leurs fleurs, cette eau semble, lorsque le soleil se joue à sa surface, le chef-d'œuvre d'un orfèvre qui aurait combiné les alliages des métaux les plus magiques. Des .légendes avaient couru sur ce jardin. On disait que Monet, un jour, « avait fait inonder son terrain », comme cela, par foucade, comme on dit dans le Midi, et qu'il y avait « fait semer des plantes aquatiques » ; puis, que la. saison suivante il avait brossé la série exposée au printemps dernier. Or il y a plus de dix ans que ce bassin existe et que la série est en train, tantôt laissée tantôt reprise. Et cela encore montre combien il n'étaitpas inutile de connaître le jardin du peintre pour bien comprendre son œuvre. Tantôt il travaille dans ce jardin, gri sant ses yeux et son imagination des re flets qui se jouent,1 insaisissables, sur cette marqueterie de grandes fleurs épa nouies et de métaux en fusion. Tantôt, et le plus souvent, c'est dans un grand ate lier planté au milieu du marais fleuri, comme une tente et comme un observa toire. Cet homme que nous voyons à Paris un peu laconique et froid, devient ici tout autre ; il est bienveillant, paisible, enthousiaste. Dès qu'il a des raisons de venir dans la région des boulevards, son sourire est pas mal narquois et sarcastique ; dans son jardin, parmi ses fleurs il est illuminée de bonté. Pendant des mois entiers, l'artiste oublie que Paris existe ; ses glaïeuls et ses dahlias l'en tretiennent dans un suprême raffine ment, — mais lui font perdre de vue la civilisation. . . Ainsi vous disais-je gue le jardin, c'est l'homme. Voici un peintre qui en notre temps ,aùra- enrichi Je.'répertoire des harmonies, et qui auraété aussi/loin- q-ue l'on peut aller dans la subtilité, l'opu lence et la "vibration de la couleur. Il aura osé des effets', qui semblent irréels tant ils sont vrais, mais qui nous charment invinciblement, comme toutes les vérités dont nous ne nous- étions pas rendu compte. Qui lui a inspiré tout cela? Les fleurs. Quel a été son éducateur? Son jardin. Il lui doit beaucoup, il en est fier, et libéralement, aux passants, il montre son maître. Telle est la leçon que peut donner un coin de terre ensemencé avec art. Tel est le jour que peut jeter sur la personne et la carrière d'un homme une simple visite d'une heure. Est-ce à dire que. tous ceux qui s'intéressent à cette œuvre doivent faire la visite que j'ai faite? Je ne le leur conseillerai pas, et les engagerai plutôt à me croire sur parole.. Car il y a la grille!... et elle ne s'ouvre pas toujours, si elle permet toujours de regarder. Ce n'est pas le trait le moins signiflficatif de notre prqmenade : les grands artistes, les hommes supérieurs, peuvent vivre dans une maison de verre. Le verre laisse voir, — et empêche de passer. . Arsène Alexandre»...