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Le Gaulois, 8 mai 1921

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Le Gaulois
8 mai 1921


Extrait du journal

! Mon cher ami, vous saviez me toucher, beau coup en me demandant d'exprimer l'affliction ressentie par les poètes, à la nouvelle poignante de la mort de joachim Gasquet. Ce radieux vivant, aujourd'hui endormi, ce moins mort des morts nous dicte une formule d'acceptation qui vient lutter contre la tristesse sans courage, et contre le désarroi de l'intelli gence, provoqué par une si belle vie brisée. C'est complaire à ce noble lyrique que de pro mulguer sa foi. Il admettait le destin, il l'hono rait et le glorifiait en ses forces créatrices comme en ses puissances de destruction apparente. Il marchait à sa rencontre avec une ivresse dionysiaque, un perpétuel enchantement de l'es prit,-. une ardeur confiante et favorisée. Sans jamais rien craindre, bien que si humain, il pré sentait à la fatalité son clair visage acquiésçant, tout en soleil, semblable vraiment à une lyre d'or, vibrant dans le silence même par l'animation d'un regard dont l'extraordinaire palpitation déclamait, eût-on dit, des vers illustres et des strophes bien scandées. Un vrai poète se reconnaît d'abord à l'enthou siasme. Nul plus que Gasquet ne fut amoureux de la poésie, ébloui par les aînés divins, et modes, tement étonné de posséder lui-même le don mira culeux. Car il est bien vrai que la poésie et ses chefs d'œuvre étonnent surtout les poètes; ils savent que qui les traverse s'imprègne d'eux, se repose sous leur nom et parfois le rend immortel, leur -vient des âges et des éléments, et leur orgueil, qui ne peut jamais être de la vanité, ressemble à l'éblou-issement solitaire du prêtre oriental sur son tapis de prière: on le voit dans l'extase, non de lui-même, certes, mais de tout l'invisible; qu'il adore et qu'il bénit. Lyrique, Joachim Gasquet devait avoir pour maître le plus grand des lyriques: Victor Hugo. Sans l'imiter, il chanta pour lui répondre, pour élever sa voix vers lui ; ainsi parlent les fils au père. Plus tard, il s'inspira davantage de son propre cœur, et ce Méditerranéen, dont la belle figure poudroyante faisait songer à un paysage de Provence où le vent soleilleux soulève une poussière de marbre, installa dans ses poèmes le pur cyprès, la courbe harmonieuse des golfes, l'épaule et le genou voilés des nymphes de Théo crite. Majs la passion avait chez lui une joie et une plainte qui livraient son secret celui de l'excès, laborieusement discipliné, et dont lui savent gré les poètes qui croient que la forêt chantante, pour être heureusement, taillée, doit avoir été touffue. Pendant la guerre, soldat magnifique et son geur constant, il composa les Hymnes, orches tration verbale d'où s'élancent mille sonorités remuantes, alternant avec des vers puissants et lourds qui ne bougeront plus, et demeurent fixés par )a perfection tranquille. Mais l'œuvre de Gasquet est trop considérable pour être étudiée -un jour de méditation et de deuil. C'est à l'homme que nous songeons, c'est à cette âme si peu enfuie que nous parlons, c'est vers l'ami incomparable de la poésie, c'est-à -dire notre ami, qtje nous Rendons une main étonnée, c'est à cet absent monté plus haut que nous adressons ces mots familiers et étranges: » Vous qui saviez la vérité, puisque jamais le sort ne vous a trouvé rebelle, sans doute affir mez-vous que la mort est plus de joie et le trom peur silence un chant immortel... » Comtesse de Noailles...

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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