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Le Petit Marseillais, 9 janvier 1893

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Le Petit Marseillais
9 janvier 1893


Extrait du journal

Le théâtre a beau créer des types,la vie nous eu montre toujours qui les dépassent. Les coquins de la scène sont des amours de petits anges, quand on les compares à ceux qui vont et viennent dans la rue. Le seul avantage pour ces derniers, c’est qu’ils parlent une langue plus nature, sans trémolo de conservatoire, et qu’ils ne gesticulent pas à tout bout de champs. Les amoureux en chair et en os peuvent n’aimer que la dot, comme cela se voit fréquemment au feu de la rampe; mais ils ne se dandinent point, pendant des heu res, derrière l’obligatoire canapé de M. Dumas fils. Et c’est toujours ça de gagné. Telles étaient les réflexions que je me faisais tout à l’heure, en relisant dans les feuilles la mort de ces deux vieilles de moiselles (pie les journalistes parisiens ont tout de suite appelées Mesdemoiselles Harpagon. Enfoncé, Molière ! Son avare n’est plus qu'un fantaisiste, à côté de ces deux sœurs qui sont mortes de froid sur un tas d’or. On a cette sensation qu’elles auraient demandé pour lui un conseil judiciaire, s’il avait été de la famille. Harpagon, si pingre qu’il fût, donnait encore quelque fois â dîner. Ah! quel prodigue ! se seraient-elles écriées en levant les bras au ciel. Et elles auraient réduit le menu de telles proportions que les invités auraient tiré à la courte paille, comme dans la chanson du Petit yiavire, Pour savoir qui, qui, qui serait mangé ! J’ai lu autrefois, dans le théâtre chinois, une comédie où le rôle principal est tenu par un avare. C’est un type effrayant, qui laisse bien loin derrière lui le per sonnage de notre grand Molière. Non pas (lue la pièce chinoise soit supérieure à l’immortelle comédie française. Bien au contraire, l’action s’y déroule un peu à la va-comme-je-te-pousse, avec des dé tails qui n’en Unissent plus. Mais quel avare, cet Harpagon de l’autre côté de la muraille! Je me rappelle la scène où il rend sa belle âme au dieu de Confucius. — Tu me tailleras un cercueil, dit-il à son (ils ainé, avec une hache que tu pren dras dans la maison. Seulement ne prends pas celle qui est toute neuve. Cela pour rait l’ébrécher. — Père, dans quoi l&Jalllerai-je, votre cercueil ? — Il y a par là, sur la lisière de notre champ, un tronc d’arbre qui semble fait à ma mesure. Vous me coucherez dedans. Tout-à-coup, cependant, il se ravise. Un tronc d’arbre, mais cela peut encore servir ! — Ah! j’y pense ! L’auge à cochons est bien usée, mon enfant. Il vous en fau drait bientôt une autre. Déposez-moi de dans, j’v dormirai tout aussi bien ; et le tronc d’arbre vous refera une auge toute neuve ! Après ça,il n’y a plus,semble-t-il,qu’à tirer lecbelle. Eli bien, non ! La hache qu’on pourrait ébrécher, ta vieille auge à cochon. préférée [au tronc d’arbre, pour le dodo thial dans la mort, tout cela ne vaut pas le suprême refroidissement de nos deux anti ques demoiselles, à côté de leur demimillion. Cette fois encore, la comédie est moins empoignante que la réalité. Mais là, vrai, entre nous, n’est-il point à regretter que les deux sorcières n’aient pas souscrit quelques obligations du Panama ? Voilà...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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