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Le Siècle, 20 mars 1891

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Le Siècle
20 mars 1891


Extrait du journal

LE STIGMATE Il fallait bien s'y attendre: tant que le prince Napoléon a gardé un souffle de vie, tant qu'on a pu craindre qu'il ne ressuscitât et ne protestât lui-même, quelque jour, contre les petites infa mies qui s'agitaient à son lit de mort, on s'est bien gardé d'aller trop loin, on est resté prudent, et on n'a menti en somme qu'à demi mot. Il était impos sible, malgré tout l'aplomb du monde, de déclarer qu'une réconciliation s'é tait produite entre le prince Napoléon et le prince Victor; d'oser prétendre que le père avait pardonné à son fils. Ce qui se passait là-bas était si clair, si saisis sant, qu'on n'avait pas besoin, pour suivre pas à pas cette émpuvante tra gédie, de bien grands efforts d'imagina tion ; toute l'Europe était, pour ainsi dire, dans la chambre de ce moribond, et à travers le vague ou la discrétion des dépêches, on le voyait, tel qu'il est resté jusqu'à la dernière minute,ferme, inébranlable, farouche et méprisant pour ce fils en révolte, autrefois si ar rogant, si humble aujourd'hui, parce qu'il sentait bien que cette malédiction paternelle était terrible pour lui, bien plus terrible pour ses ambitions de pré tendant que pour ses sentiments de fils ! Car c'est bien en prétendant que le prince Victor s'est glissé dans la cham bre du mourant, c'est son instinct plu tôt que son cœur qui l'y amenait. Son cœur! aura-t-on vraiment le courage d'en parler? Osera-t-on défendre, sur tout après le drame qui vient de s'ac complir, ce jeune homme dénaturé, à l'âme en quelque sorte ratatinée, au cœur si vieux, qui, à l'âge des généreux élans, des tendresses familiales, aban donna si allègrement un père déjà âgé, déjà malheureux, et jamais, même quand l'exil les eût frappés tous deux, même dans cette épreuve qui eût dû les réunir, ne trouva une de ces inspi rations, un de ces cris qui font tout oublier, qui emportent les querelles et les haines efforcent le pardon, lorsque vraiment on a soif de pardon ! Non : le fils, chez,le prince Victor, n'a jamais existé; c'est, froidement, d'un cœur desséché, qu'il a quitté son père, et ce qui l'a ramené à son lit de mort, ce n'est pas la piété filiale, mais le souci de son intérêt personnel, la préoccupation de l'avenir, bien plus que tous les souvenirs du passé. Ce jeune homme sait bien qu'en France, tous les fils nelui ressemblent pas ; il sait qu'on y a, au plus haut point, le sentiment de la famille, le res pect de l'autorité paternelle. Il s'est dit que s'il ne parvenait pas, fût-ce à la faveur d'une surprise, fût-ce au moment où l'agonie serait commencée, à se rapprocher de son père, à lui prendre la main, à faire, tout au moins, le si mulacre d'une réconciliation, il garde...

À propos

Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.

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