Extrait du journal

Tu m'épouvantes! De quelle es-tu donc frappée? Voyons, conte-moi les choses. LA MARQUISE LISE Ecoute, hélas t et frémis, ma chérie ! Tu n'es peut-être pas sans t'être aperçue que, depuis l'installation, dans ce château, de M- d'Argelès avec son ami Ferdinand, j'ai perdu quelque chose de ma tranquillité d'esprit. Ce que c'est que de nous, pour tant ! On .a beau former les résolutions les plus honnêtes, se jurer chaque matin de rester fidèle à son mari; un moment ar rive où, malgré les bons principes qu'on a reçus, malgré la froideur dont on a pris l'habitude, on se sent émue d'une dange reuse tendresse. Ce moment vint pour moi le j our où j e rencontrai... LA BARONNE LUGE M. d'Argelès? LA MARQUISE LISE i Non, Ferdinand. LA BARONNE LUCB M. d'Argelès est bien. LA MARQUISE LISE Ferdinand est mieux. Du reste, pour quoi il me plut, je l'ignore. Je ne l'aime pas parce qu'il est charmant; il est char mant parce que je l'aime. Il ne devina que trop vitè le trouble où me mettait sa présence et je vis bien qu'il était dis posé à en abuser le plu^tôt possible I E procéda avec un empressement acharné. Sa parole, son geste, son regard, toute son attitude était une longue et ardente prière. Chaque fois qu'il s'approchait, —%t je sa vais qu'il était là avant de l'avoir vu, — je tremblais, énveloppée d'une menace de caresses effrayante et délicieuse! Vaine ment je voulais le fuir, vainement je re fusais de l'écouter, une force me retenait, m'obligeait à l'entendre; une fois qu'il m'offrit une rose, je sentis mon cœur, dans un frémissement, glisser jusqu'au bout de mes doigts et se donner en échange. Enfin les choses en vinrent à cepoint qu'il osa me demander de le recevoir aujourd'hui''dans la petite serre qui est comme un boudoir fleuri, tu sais, à côté de ma chambre ; et je m'échappai sans lui dire non. LA BARONNE LUGE Ah ! ma pauvre Lise ! LA MARQUISE LISE T'imagines-tu mes transes pendant qu'approchait l'heure où il devait venir ? Ce qu'il y avait de plus redoutable, c'est que cette entrevue, parmi les fleurs capitciQÇp, dans le tiède silence, loin de tous les Aôtes du château, ne manquerait pas d'être, j'en avais le pressentiment, déci sive; il serait audacieux, je serais faible; oui, j'étais obligée de m'a vouer que je ré sisterais mal; et mon mari a voulu qu'on plaçât dans la petite serre — ah ! combien il a eu tort ! — une chaise longue en bam bous japonais qui m'inspirait les plus vives inquiétudes. LA BARONNE LUGE Que ne la faisais-tu enlever? LA MARQUISE LISE La pensée ne m'en vint pas, dans moD trouble ! Il faut avoir passé par là pour sa voir ce qu'on éprouve en ces occasions. J'étais, étrangem^pt partagée entre le dé sir et la crainte. J'allais le voir; quelle joie ! mais il me prendrait dans ses bras peut-être ; quelle épouvante! Je pensais à un moment inévitable qui seraiteffrayant, Bi doux qu'il fût. L'espoir des premiers . baisers se complique d'une terreur infinie; il y a, dans l'abandon, des détails dont une "personne délicate ne saurait tolérer la pensée. Ah 1 ma chérie, il dégraferait mon corset! Quel air aurais-je pendant cette affreuse minute ? De sorte qu'enfin la crainte pris le dessus, et tout à coup je me résolus... LA BARONNE LUGE A ne pas le recevoir, à verrouiller la porte ? LA MARQUISE LISE Non, je m'avisai d'un moyen moins ex trême. LA BARONNE LUGE Capable de te sauver? LA MARQUISE LISE Hélas ! sauvée, je ne voulais pas l'être t Mais du moins je m'épargnerais — tu ne saurais croire combien j'ai de pudeur ! — oui, je m'épargnerais la rougeur d'assister à ma propre chute. LA BARONNE LUCE Hein? comment? que dis-tu là?Peut-on être aimée, absente ? LA MARQUISE LISE On le peut, endormie. Et n'est-ce pas chose toute naturelle que de foire la...