Extrait du journal

Aujourd'hui, 27 février, c'est pour nous tous, contribuables, le dernier jour du condamné. Demain, mercredi 28, dernier délai, nous devons nous immoler sur l'autel du Fisc. Frères, il faut payer J'ai terminé mes préparatifs. D'abord, j'ai passé chez mon coiffeur, à qui j'ai recommandé de me couper les cheveux très courts dans le cou, découvrant bien la nuque. Ensuite, rentré chez mol, j'ai pendu, en pleurant, mon bas de laine, vide et percé, à une corde pourrie. Et je me suis versé à mol-même (puisque personne ne me l'offrait), le verre de rhum, après avoir allumé la cigarette traditionnelle. Cependant, bon citoyen, je n'ai pas refusé les secours de la religion d'Etat. La tête couverte de cendres, déchirant mon plus vieux veston, en signe de deuil, j'ai prié ainsi 0 Dieu-Etat, toi que Nietzsche a appelé le plus froid des monstres froids, Dieu-Etat, que tant de naïfs ont pris longtemps pour le DieuProvidence, et qui n'est qu'un Moloch dévorateur, Dieu-Etat dont les grands-prêtres du Palais-Bourbon et les chanoines du Luxembourg et l'innombrable domesticité du Temple, bedeaux, sacristains. suisses de toute robe et de toute couleur, nous vendent si cher les grâces illusoires, jusques à quand nous accableras-tu de tes rigueurs ? c Longtemps tu parus à nos yeux, gras et la mine fleurie. Un sourire de béatitude flottait sur ton triple menton, et ton ventre ne faisait pas de pli. Mais, depuis quelque temps, tu dépéris, ta panse flotte aux plis de ton manteau royal, et tes yeux furieux roulent sous tes sourcils froncés. Et pourtant nous t'avons nourri du meilleur de notre substance tu nous vois devant toi aussi maigres et hâves que toi....