Extrait du journal

Il n’y a rien de tel que l’exercice du pouvoir pour former un homme politi que, quand cet homme est assez intelli gent pour ne pas se buter à des idées préconçues et pour savoir s’accommoder aux nécessités du temps, comprendre la leçon des faits et ne pas persévérer sys tématiquement dans une idéologie qui n’est que de la théorie alors qu’il s’agit de faire du réalisme et d’entrer dans la voie de la pratique. Ceci pourrait sembler une vérité de La Palisse si nous n’avions sous les yeux le fâcheux exemple de M. Clémenceau qui, ayant passé toute sa vie dans l'opposition, est resté, étant devenu mi nistre d’abord, président du Conseil, un homme d’opposition, incapable de cons tater, plus incapable encore d’avouer que la politique qu’il faisait quand il dirigeait l’opposition radicale ne vaut rien ou ne vaut pas grand chose main tenant qu’il dirige le Gouvernement. Le leader radical, qui tient si brillam ment l’emploi de tombeur de ministères, n’est qu’un très médiocre homme d’Etat ou plutôt n’est pas du tout homme d’Etat, et c'est pourquoi sa politique, ainsi qu’il a dû en faire l’aveu, est in cohérente. En fait, le seul véritable homme de gouvernement que compte le ministère Clemenceau est M. Briand, son ministre de l’Instruction publique. M. Briand est, comme on dit, revenu de loin, de très loin. II. sait que, suivant une parole fameuse, «l’homme qui ne varie jamais est stupide », ce qu’on a mieux encore exprimé en un vers saisis sant et définitif : L’homme absurde est celui qui ne change jamais M. Briand est intelligent, très intelli gent même. Donc il a changé, il a beau coup changé même et il n’a pas hésité à reconnaître qu’il avait changé, en quoi nous voyons une preuve à la fois qu’il est intelligent, qu’il est courageux et qu’il est sincère dans ses évolutions, c’est-à-dire qu’il est opportuniste, puis qu’il défend les idées que la situation qu’il occupe lui commande de soutenir. En politique, l’opportunisme c’est la sa gesse ; les doctrinaires intransigeants sont des hommes dignes de respect mais, au point de vue de la pratique, néfastes. M. Briand, qui a été socialiste révo lutionnaire, puis simplement socialiste, qui est tout au plus radical-socialiste ou radical, qui peut-être ne l’est même pas, que j’espère bien voir un jour mo déré, et libéral et même conservateur et qui, en réalité, est opportuniste et n’est qu’opportuniste, M. Briand, qui a évolué avec tant de souplesse et tant d’à-propos et un sentiment si vif et si juste des réalités, M. Briand vient, dans le dis cours qu’il a prononcé à la séance de clôture du congrès de la Ligue de l’En seignement, de s'exprimer en véritable homme du gouvernement, soit lorsqu’il a refusé aux instituteurs le droit de se syndiquer, soit lorsqu’il a blâmé ceux d’entre eux qui avaient adhéré aux fo lies criminelles de l’hervéisme, soit lors qu’il a déclaré que l’instituteur sortait de son rôle quand il se mêlait aux luttes politiques. Sur ce dernier point, notamment, M. Briand a dit des choses excellentes, les choses même qu’aurait pu dire un mi nistre un modère, voire libéral ou même conservateur, et la loyauté veut que nous le constations, à son honneur, d’autant que, en les disant, il a fait preuve de courage puisqu’il n’a pas hé sité à blâmer, fout au moins implicite ment, les divers partis ou, plutôt, les divers groupes du parti républicain, qui ont transformé les instituteurs en...