Extrait du journal

puissance du poète dont le génie — ah ! certes, il faut qu’il existe î — est un grand créateur de types et dicte sa vo lonté à la postérité. L’histoire même est son esclave et il lui impose sa version. La légende créée par l’imagination des peuples ou des individus devient la vé rité. La science a beau faire, elle ne sau rait lutter avantageusement contre la poésie. Celle-ci elle-même devient im puissante quand elle veut détruire son œuvre propre. Ainsi, le Roi s'amuse ne rendra pas François Ier impopulaire. Je défierais un autre Hugo — s’il y en a jamais un autre — de mettre à la scène, avec succès, une Marie Stuart cruelle et repoussante. La reine d’Ecosse sera toujours une victime, quoiqu’elle ait pris trop de fois le rôle du bourreau. Splendide magie de l’esprit, heureux despotisme de l’idéal! Donc, en juillet 1831», dans la Revue de Paris, Victor Hugo présenta à la France et à l’Europe un Claude Gueux qui est le seul connu et qui sera le seul que l’on connaîtra dans l’avenir. Il y en a un autre pourtant, celui que la collection des journaux judiciaires nous révèle et qui a existé réellement. Je vais vous conter son histoire d’après les documents authentiques qui ont été réunis par un jeune procureur de la Ré publique, M. Julien Brégeault, qui, lors de son séjour à Troyes comme substitut, avait entrepris la publication des causes célébrés du département de l’Aube. C’est en effet à Troyes que Claude Gueux a été condamné à mort le 16 mars 1S.'!2, et exécuté le 1er juin de la mémo année. Voyons d’abord le Claude Gueux de la réalité ; nous verrons ensuite le Claude Gueux de Victor Hugo... que d’ailleurs je trouve aussi vrai que le premier. Claude Gueux est né dans la commune de Chassaignes (Côte-d’Or), en 180A. En 1823, âgé par conséquent seulement de dix-neuf ans, il fut condamné à cinq ans de prison pour vol. Il subit cette peine dans la maison centrale de Clairvaux, où il commit « des violences gra ves sur la personne d’un gardien chef, Delaselle », celui-là même qu’il devait plus tard assassiner....