Écho de presse

Le « vrai » Maigret : le commissaire Guillaume, cador du 36 quai des Orfèvres

le 16/05/2021 par Pierre Ancery
le 14/10/2020 par Pierre Ancery - modifié le 16/05/2021
Marcel Guillaume en pleine déposition lors d'un procès, Agence Mondial, 1932 - source : WikiCommons
Marcel Guillaume en pleine déposition lors d'un procès, Agence Mondial, 1932 - source : WikiCommons

Landru, Bonnot, Violette Nozière... Marcel Guillaume, figure de la Brigade Spéciale de la Police Judiciaire de 1928 à 1937, coffra quelques-uns des criminels les plus célèbres du premier XXe siècle. Modèle du célèbre enquêteur de Simenon, il raconta lui-même ses aventures dans Paris-Soir.

La presse l'avait surnommé « l'as de la PJ ». Marcel Guillaume (1872-1964), plus connu sous le titre de « commissaire Guillaume », fut l'un des grands enquêteurs du 36, quai des Orfèvres, siège de la Police judiciaire parisienne. Devenu dans l'entre-deux guerres l'un des policiers les plus célèbres du pays, sa personnalité bonhomme fit le délice des journaux de l'époque.

Né à Épernay, dans la Marne, il commença sa carrière comme apprenti épicier, avant de tenter une carrière dans l'armée puis dans l'administration. La police lui ouvre ses portes en 1900, lorsqu'il entre au commissariat du quartier de La Chapelle à Paris. Il devient commissaire en 1913, puis commissaire-divisionnaire en 1928 au Quai des Orfèvres, où il dirige la Brigade spéciale 1, ancêtre de la brigade criminelle.

À son actif, certaines des affaires parisiennes les plus fameuses de l'époque. De 1911 à 1912, il participe à la traque de la bande à Bonnot, groupe anarchiste qui multiplie les braquages et les meurtres. On retrouve ensuite Guillaume sur l'affaire Landru, meurtrier de onze femmes pendant la Première Guerre mondiale. Il arrêtera Paul Gorgulov, l'assassin du Président Doumer, guillotiné en 1932, le bijoutier Mestorino, coupable de meurtre, et Violette Nozière, qui empoisonna ses parents. Il participa aussi à l'enquête sur l'affaire du conseiller Prince, crime lié à l'affaire Stavisky, qui défraya la chronique en 1934.

C'est surtout la méthode employée par Guillaume pour faire avouer les suspects qui fascina les journalistes de l'époque. Parmi ces derniers, un certain Georges Simenon, écrivain et rédacteur prolifique, qui le suit en janvier 1934 pour Paris-Soir, dans le cadre d'une enquête sur « les coulisses de la police ».

Simenon assiste en direct à un des fameux « interrogatoires à la chansonnette » de Guillaume, mélanges de courtoisie, de déstabilisation subtile et de psychologie. Il raconte comment ce dernier a obtenu les aveux de Mestorino, le meurtrier de son créancier, un certain Truphème :

« – Asseyez-vous, cher monsieur ! Excusez-moi de vous avoir fait attendre.

Le bureau est banal, comme celui du chef. Il y a une glace grisâtre sur la cheminée. Le commissaire Guillaume est assis dans un fauteuil et d'autres messieurs sont assis ou debout autour de lui. On a beaucoup fumé. La fumée des pipes et des cigarettes stagne à hauteur de l'abat-jour.

– Je vous ai dérangé pour élucider deux ou trois points de détail.

Crac ! Il y a eu un drôle de bruit.

C'est la chaise de Mestorino qui oscille et qui semble vouloir se briser. Déjà il rougit, perd contenance.

– Ne faites pas attention. Cette chaise est un peu mal en point., s'excuse le commissaire.

Mais on ne lui en donne pas d'autre, car c'est “la chaise fétiche”. Son pied cassé a été réparé avec de la ficelle. Au moindre mouvement, elle fait entendre des craquements qui, peu à peu, mettent le criminel hors de lui.

Car c'est un assassin qui est assis là et à qui ces messieurs offrent une cigarette [...].

Premier round !

La première question est simple, naturelle, innocente.

– Voilà, Mestorino ! Truphème s'est présenté chez vous à dix heures avec une traite de 30 000 francs. Vous l'avez payée. Celui qui l'a tué a volé cet argent et, pour le retrouver, nous avons besoin de détails. Les 30 000 francs étaient-ils en billets neufs ?

– Je ne me souviens pas.

– C'est ennuyeux. Faites un effort. Trente mille francs, c'est une somme. Vous avez dû les prendre à la banque le matin ?

– Je ne me souviens pas.

– Allons donc ! Vous les avez de toute façon encaissés vous-même quelque part.

– Je ne sais pas [...].

– Il vaut mieux aller jusqu'au bout, mon vieux. Nous sommes tous fatigués. Truphème, tu l'attendais. Tu avais besoin, coûte que coûte, de l'argent. L'outil était prêt pour le frapper.

Knock out !

Cent fois on répète la même phrase et Mestorino, tout pâle, à la dix-huitième heure, s'affaisse enfin, se cache les yeux.

– Signe, va, et que se soit fini !

Il a signé. Travaux forcés à perpétuité. Quai des Orfèvres, c'est ce qu'on appelle un interrogatoire à la Chansonnette. Savez-vous qui Mestorino a appelé dans sa prison, aux heures difficiles ? Savez-vous qui lui a remonté le moral ?

L'inspecteur qui lui a arraché l'aveu. »

Georges Simenon ne perdra pas à une miette du spectacle. Et avouera plus tard s'être servi de Guillaume comme modèle pour le commissaire le plus célèbre de la littérature francophone : Maigret, apparu pour la première fois sous la plume de l'écrivain belge en 1931. L’Œuvre l'explique au mois de janvier 1937 :

« M. Simenon, dans Confessions, nous en fait une bien bonne... Le commissaire Maigret ne serait autre que... le commissaire Guillaume.

Ce qui fait que M. Simenon est en quelque sorte le père spirituel du célèbre divisionnaire... On n'est pas sûr que cette délicate révélation fasse tellement plaisir au commissaire. »

À noter que Simenon s'inspira également d'un autre commissaire, Georges-Victor Massu.

Lorsque Guillaume prend sa retraite, à 64 ans, la presse unanime salue le talent de l'enquêteur. Quand Excelsior l'interviewe, Guillaume ne se fait pas prier pour raconter ses aventures passées :

« – Quand avez-vous eu l'impression de risquer le plus votre vie ?

– Au moment de l'affaire Bonnot, dans l'arrestation d'un complice, Deboé, condamné aux assises à dix ans de travaux forcés. L'inspecteur Naessens et moi, nous l'apercevons place Clichy. Naessens, le premier, se jette sur lui. Les deux hommes roulent à terre. Je dégage mon collègue et je me retourne sur Deboé, revolver en main : “Haut les mains, ou je tire !”

Je le maîtrise, le fouille. Nous trouvons dans ses poches trois revolvers et sept chargeurs, preuve qu'il voulait défendre chèrement sa peau...

– Et dans les autres affaires ?

– J'ai eu quelques dents démolies, mais ce n'est rien. J'ai rendu les coups, c'est “payé” !... »

C'est dans les colonnes de Paris-Soir que Guillaume, de février à avril 1937, donnera lui-même matière à alimenter sa légende. Il y publie en feuilleton ses Mémoires, recueil savoureux de ses meilleures enquêtes, écrites dans un style parfois sensationnaliste, mais toujours humain, dans lequel transparaît un amour sincère du métier.

Plusieurs épisodes sont consacrés à l'affaire de la bande à Bonnot. Le 2 mars, il relate par exemple un gros coup de filet effectué parmi des anarchistes parisiens suspectés de complicité avec Jules Bonnot.

Le 11 mars, Guillaume raconte l'affaire Gaucher, « assassin par amour » :

« Il est six heures ce soir, 19 novembre 1930. Georges Gaucher, le beau Georges des boîtes de Montmartre, se réveille comme d'habitude, la bouche amère des whiskies qu'il a bus pendant toute la nuit, de la drogue qu'il a prisée jusqu'à l'aube. Une tentation nouvelle l'enveloppe.

Porte-t-il le poids de la guerre, ce gosse qui ne l'a pas faite ? Hélas ! Comme beaucoup de dévoyés que j'ai connus, il était né quand ce siècle n'était pas encore adolescent, c'est-à-dire qu'il n'avait pas encore dix ans en 1914. »

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Le 13, il critique vertement les psychiatres qui ont déclaré « irresponsable » le meurtrier multirécidiviste Guillaume Bauer :

« Un criminel qui ne dut jamais, non plus, éprouver des remords, mais pour d'autres raisons, ce fut certainement Guillaume Bauer. Pendant des années, il avait été un des meilleurs clients de la police en même temps qu'un habitué assidu des bistros qui s'échelonnent sur les boulevards extérieurs vers la Plaine Saint-Denis, de la Porte de la Chapelle à la barrière de Clignancourt.

Malheureusement pour lui, et surtout pour les autres, il avait le vin triste et l'ivresse brutale. L'alcool allumait dans son cerveau la rouge flamme de la colère et, ses forces décuplées, il ne trouvait d'apaisement que dans de sanglantes batailles, à la suite desquelles, calme et détendu, il tombait dans une morne hébétude d'alcoolique chronique.

Dix blessés et trois morts, tel était, en 1931, pour Guillaume Bauer, le bilan des douze dernières années de sa vie. À plusieurs reprises, nous avions essayé de rendre le monstre inoffensif en le mettant en cage, mais chaque fois ces médecins qu'on appelle psychiatres, avaient surgi avec leurs appareils et leur expérience et, jugeant Bauer absolument irresponsable, ils avaient conclu à son internement. »

Sur Violette Nozière, la célèbre meurtrière de 18 ans, il écrit le 31 mars :

« Violette Nozières [sic] !

Je revois devant moi son visage maigre et blême, ses cheveux bouclés sous le béret noir, ses gestes fiévreux pour rajuster son manteau au col de renard sombre ; et [...] je persiste à croire que son procès dépassait singulièrement sa misérable personnalité et qu'il était aussi celui de toute une génération à qui il a manqué le goût des vertus les plus simples et les plus élémentaires, chez qui l'égoïsme a oblitéré le sens de l'honneur, et qui s'est délivrée, comme d'un inutile fardeau, du poids de sa conscience. »

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Dans le dernier épisode, paru le 18 avril, il rend hommage aux policiers qu'il a connus pendant sa carrière. Puis le vieil enquêteur se fait philosophe :

« Ce n'est pas sans mélancolie que j'écris ces lignes ; on n'abandonne pas sans regrets un métier après trente-sept ans de service ; du moins, le souvenir que je garde, au fond du cœur, de ces années au cours desquelles j'ai été mis en présence de tant de drames, de tant de passions, de tant de hontes, n'a pas tué en moi l'espoir que, malgré tant d'erreurs et de déchéances, la partie n'est pas perdue pour l'humanité si elle veut comprendre que la civilisation, qui pèse sur l'individu de toutes parts, pour solliciter ses plus mauvais instincts, pourra devenir salutaire et bienfaisante à la condition de rendre à l'âme sa vraie place. »

Après sa retraite, Guillaume n'arrêtera pas tout à fait ses activités puisqu'en 1945, il intégrera le groupe d'enquêteurs chargés d'éclaircir la mort d'Adolf Hitler à Berlin. Il mourra paisiblement en 1963, à l'âge de 90 ans.

Pour en savoir plus :

Marcel Guillaume, Mes grandes enquêtes criminelles. Mémoires du commissaire Marcel Guillaume – De la bande à Bonnot à l'affaire Stavisky, Éditions des Équateurs, 2005

Jean-Marc Berlière et René Levy, Histoire des polices en France, de l'Ancien régime à nos jours, Nouveau Monde Editions, 2013