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Le procès Dimitrov : le mensonge nazi contre les communistes

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

En 1933, le Bulgare Georgi Dimitrov est accusé d’avoir incendié le Reichstag à Berlin. Pendant son procès, il tient tête à Göring et Goebbels. Sa détermination met au jour une accusation montée de toutes pièces par le régime national-socialiste pour lancer la chasse aux communistes.

Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, le Reichstag, siège du parlement allemand, est en feu. Sur place, la police arrête un jeune Hollandais, Marinus van der Lubbe, communiste internationaliste. Pour Hitler et Göring, il s’agit d’un moyen de se débarrasser des communistes.

« Moins d'une demi-heure après la découverte de l'incendie, Adolf Hitler, en face du spectacle sinistre, cependant qu'on interroge Lubbe, sait déjà (comme en a témoigné un journaliste américain, partisan des nazis) et le dit à Von Papen, que cet incendie est l'œuvre des communistes, ”un signal de Dieu : rien ne nous empêchera plus d'écraser cette peste meurtrière avec une poigne de fer…” »

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Dès le lendemain, Paul von Hindenburg, président du Reich, signe le décret « pour la protection du peuple et de l’état » qui suspend les libertés individuelles et ouvre la chasse aux communistes. Des milliers de militants – dont Ernst Thälmann le président du parti communiste allemand (PCA) – sont arrêtés et emprisonnés avant d’être déportés dans des camps de concentration (Thälman sera assassiné en août 1944 à Buchenwald).

Après le jeune Van der Lubbe, quatre autres communistes sont accusés de l’incendie : Ernst Torgler (président du groupe communiste au Reichstag), et trois Bulgares résidant en Allemagne, dont Georgi Dimitrov, arrêté le 9 mars 1933.

Le procès s’ouvre le 21 septembre à Leipzig. Paul Vienney, l’avocat de L’Humanité, s’inquiète de la légalité de l’instruction : « Quelle tâche ingrate que de suivre, en juriste, les épisodes d'une parade judiciaire d'où le droit est constamment absent ! »

Georgi Dimitrov affirme tout d’abord son innocence et s’indigne de n’avoir pu choisir son avocat.

« Je suis parfaitement innocent du crime dont je suis accusé.

Si j'avais pu librement choisir mon défenseur, j'aurais pu alors prouver irréfutablement que je n'ai participé en aucune façon à l'incendie du Reichstag, au complot dont on m'accuse. Mais je n'ai pas de défense. Il été opposé un refus aux huit ou dix noms d'avocats que j'ai proposés.

Le président essaie de se défendre en disant que la désignation de l'avocat d'office a été conforme aux lois allemandes.

Dimitrov – Peut-être. Mais je dois dire que tout accusé peut parler à son défenseur. J'aurais voulu soumettre mon dossier à mon avocat. Je n'en ai pas eu la possibilité.

L'avocat d'office Teichert pâlit. Il se lève, interdit, puis se rassied sans avoir pu prononcer une parole. »

Il accuse également la police d’avoir falsifié ses procès-verbaux d’interrogatoire, chose que les officiers appelés à la barre ne réfuteront pas. De plus, il a un alibi incontestable : il n’était pas à Berlin la nuit de l’incendie et différentes personnes peuvent en témoigner.

Le Populaire, organe de presse de la SFIO, retrace son parcours les jours qui ont précédé l’incendie.

Georgi Mikhailov Dimitrov avec Joseph Staline, 1936 - source : WikiCommons
Georgi Mikhailov Dimitrov avec Joseph Staline, 1936 - source : WikiCommons

« Le 26 février, dans la matinée, il prit le train de Berlin pour se rendre à Munich, où se tint, le 26 et le 27 février, une nouvelle conférence yougoslave.

Les 26 et 27 février, Tsviitch ne quitta peu Dimitrov d’un pas.

Le témoin donne les noms des hôtels et des différents cafés où il a été avec Dimitrov, pendant ces deux jours. Son ami était revenu voir son dentiste. Au “Café am Dom” le témoin présenta Dimitrov à une Américaine, Pauline Harvey, qui s'est déclarée prête à soutenir l'alibi de l'accusé bulgare devant la Cour Suprême de Leipzig.

Les entretiens de Munich prirent fin le 27 février, entre 6 et 7 heures du soir, et c'est à 8 heures, environ une heure avant le commencement de l'incendie du Reichstag, que Dimitrov prit le train qui devait l'amener de Munich à Berlin. »

À côté de lui, Marinus Van der Lubbe, premier homme arrêté sur les lieux, endosse l’entière responsabilité de l’incendie et dédouane ses co-accusés.

Cela n’empêche pas deux poids lourds du régime nazi de se succéder à la barre pour porter leurs accusations contre les jeunes communistes. C’est tout d’abord Hermann Goering, dont L’Humanité relève les contradictions.

Marinus van der Lubbe peu de temps après son arrestation, 1933 - source : WikiCommons
Marinus van der Lubbe peu de temps après son arrestation, 1933 - source : WikiCommons

« En une heure, Goering affirme tour à tour :

1° que l'incendie l'avait surpris. (Mais alors il ne pouvait être le résultat d'un plan d'ensemble du PCA, contre lequel tous les ordres avaient été lancés par le gouvernement) ;

2° que l'incendie était le résultat d'un plan logique du PCA (Mais alors comment expliquer la surprise des nazis en présence de cet événement logique ?) ;

3° que la vigilance nazie avait dérouté le PCA (Mais alors comment celui-ci aurait-il pu mettre à exécution son fameux plan ?) »

Dimitrov ne se laisse pas impressionner par le ministre d’Hitler et retourne les accusations contre lui. À tel point que ce dernier perd son sang-froid en pleine audience.

« Le témoin, embarrassé par ces questions, se dérobe et se tourne vers l'accusé qu'il apostrophe avec véhémence. A la fin, sa fureur éclate : “Je ne suis pas venu ici pour me faire accuser. Vous êtes un vaurien qui devrait être pendu depuis longtemps.”

Aussitôt le président retire la parole à Dimitrov, qui continue à parler. “Avez-vous peur de mes questions ?” dit-il.

“Vous êtes un de ceux qui avez mis le feu au Reichstag”, crie encore M. Goering. Mais le président fait expulser Dimitrov par deux agents. »

Quelques jours après, c’est Joseph Goebbels, ministre du Reich à « l’Éducation du peuple », qui se présente en tant que témoin de l’accusation. Georgi Dimitrov lui tient également tête et lui demande pourquoi, si les Nazis étaient persuadés de l’attentat en préparation, toutes les mesures n’ont pas été prises afin de protéger le Reichstag.

« Goebbels se démonte. Il veut se couvrir en plaisantant.

– Dimitrov s’exagère le péril communiste, s'il croit qu'il fallait que tous les ministres interviennent. Il n'y avait pas besoin de la Reichswehr, les SA et SS des troupes de Hitler et la police suffisaient bien à mater les communistes.

Dimitrov – Mais alors pourquoi nous parle-t-on toujours de l'immensité du péril rouge ?

Visiblement Goebbels s'énerve.

Goebbels – L'accusé Dimitrov veut faire ici de la propagande. Moi aussi je m'y connais en fait de propagande [sic]. »

La joute verbale se poursuit lorsque le Bulgare rappelle la politique de terreur des nazis et les attentats anti-communistes perpétrés par ceux-ci.

« Dimitrov se lève et demande à Goebbels : “Est-ce qu'en 1930 et même avant, le parti national-socialiste n'a pas donné à ses membres l'ordre de s'armer ?”

Goebbels, qui fait preuve maintenant d'une nervosité plus grande, répond : “Il fallait bien résister. Nous ne pouvions nous laisser abattre par les communistes.”

Dimitrov – Vous vous défendiez ? Mais les communistes faisaient et font de même, Monsieur Goebbels. »

Le procès dure plusieurs semaines, pendant lesquelles à aucun moment Georgi Dimitrov ne cède un pouce de terrain. Le 23 décembre, le tribunal acquitte Dimitrov, Torgler, Tanev et Popov (les deux autres communistes bulgares) et condamne Marinus Van der Lubbe à la peine de mort (il sera décapité le 10 janvier 1934).

Le talent d’orateur et la pugnacité de Georgi Dimitrov lui valent une reconnaissance internationale. Dans son livre Eichmann à Jérusalem (1963), la philosophe Hannah Arendt écrit à propos du procès de l’incendie du Reichstag : « Il ne reste qu'un homme en Allemagne, disait-on alors, et cet homme est un Bulgare ».

Georgi Dimitrov deviendra secrétaire général du Comité exécutif du Komintern d’août 1935 à juin 1943. Il mourra en 1949, près de Moscou.