Écho de presse

9-10 novembre 1938 : la Nuit de Cristal, ou le début de la Shoah

le 02/12/2023 par Julien Morel
le 27/08/2020 par Julien Morel - modifié le 02/12/2023
Devantures de magasins brisées pendant la Nuit de Cristal en Une du Populaire, 11 novembre 1938 - source : BnF-RetroNews
Le 9 novembre 1938 au soir, un infâme pogrom à l’échelle nationale est organisé par la population allemande antisémite. Cette nuit annonce les horreurs à venir.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 débute, en Allemagne nazie, une série de pogroms anti-Juifs d’une violence extrême.

Ces crimes sont commandités par l’avant-garde nazie, les SA et les Jeunesses hitlériennes, et exécutés par une large partie de la population allemande, toutes classes sociales confondues. Vite, des scènes de violence sans borne se multiplient dans toute l’Allemagne dite « réunifiée » : en Allemagne donc, mais aussi en Autriche et dans la région de Tchécoslovaquie tout juste annexée, les Sudètes.

Au cours de la nuit, plus de 7 000 magasins appartenant à des citoyens juifs sont saccagés, des centaines d’innocents sont arrêtés. 267 synagogues sont brûlées avec l’aval de la police d’État. Le lendemain matin, tandis que les débris de verre jonchent les rues, la presse internationale rapporte les incidents.

Le numéro de Ce Soir du 11 novembre reprend les communiqués de presse officiels délivrés par le Reich :

« Les vitres des magasins juifs, dans presque toutes les villes du Reich, ont été brisées. Dans quelques cas des incendies se sont déclarés dans des magasins juifs, les marchandises de ces magasins ont été détruites. »

Laconiques, les journalistes restituent sans émotion les événements terribles survenus de l’autre côté du Rhin.

« Sur le Kurfuerstendamm, la grande artère de Berlin, ainsi que dans d'autres quartiers de la capitale, les magasins juifs ont été démolis. Dans quelques cas, les propriétaires ont été arrêtés par la police afin d'assurer leur sécurité. »

Sous les yeux du monde vient de se produire l’une des premières scènes décisives de l’Holocauste, la « Nuit de Cristal ».

Le régime nazi présente le pogrom comme une forme de réponse « populaire et spontanée » à l’assassinat du haut dignitaire national-socialiste Ernst vom Rath. Celui-ci vient d'être attaqué mortellement trois jours plus tôt par le ressortissant polonais juif Herschel Grynszpan. Ce dernier, âgé de 17 ans, est l’une des victimes directes du plan d’expulsion des Juifs d’Allemagne organisé par le Troisième Reich. Sa famille, installée en Allemagne depuis 1911, vient en effet d’être déplacée dans un camp de réfugiés à la frontière germano-polonaise, sous le seul prétexte qu’ils étaient Juifs.

Contraint de vivre seul dans l’illégalité – et dans une misère extrême – à Paris, Grynszpan, en représailles, cherchait à se venger de la précarité à laquelle il était condamné.

Dans le même numéro de Ce Soir, une manchette, à la suite de l’article au sujet de la rafle, est consacrée au sort réservé à Grynszpan. L’article est plus long et largement plus détaillé que les échos concernant le pogrom. Le rédacteur paraît insister sur des éléments visant à disqualifier d’office celui qu’il nomme le « jeune meurtrier ».

« Le jeune meurtrier sera encore vraisemblablement entendu cet après-midi par M. Tesnières, juge d’instruction. […] L’interrogatoire de l'oncle et de la tante de l'assassin, qui seront encore entendus d'ici peu, portera selon toute vraisemblance sur la question des 3 000 francs que reçut le jeune Grynspan. C'est là un point important que les policiers s'attachent à élucider. »

Ce sont les publications de gauche qui condamnent le plus fermement les actes barbares auxquels s’est livrée une partie de la population allemande. Le Populaire fait sa Une le lendemain sur les « terribles pogroms ». Les sous-titres du quotidien offrent une vision plus réelle et historiquement exacte des incidents.

« Dans toutes les villes du Reich, les synagogues sont incendiées

– Les magasins appartenant aux Juifs sont saccagés et pillés

– Nulle part la police n’est intervenue

– Le ministère de la Propagande déclare “assumer toute la responsabilité des événements” et annonce des “mesures législatives” contre les Juifs

– Tous les Juifs de Munich ont reçu l'ordre de quitter la ville dans les 48 heures

– Nombreux suicides d’Israélites à Vienne »

Dans son édition du lendemain, Le Populaire ira plus loin encore. Il qualifiera, à raison, cet événement historique décisif de « honte pour l’humanité ».

Dans un article intitulé « Le Troisième Reich exploite la mort de von Rath », L’Humanité met en évidence le lien entre l’assassinat de l’homme d’État et la mise en place probable d’un plan d’actions antisémites – par ailleurs depuis longtemps attendu par une partie de la population.

« […] le sinistre Volkischer Beobatcher, qui appelle tous les jours à la mort contre les juifs et contre tous ceux qui ne partagent pas les idées nationales-socialistes, ose accuser, dans la personne de deux démocrates allemands, les milieux antihitlériens d'être les “responsables moraux” du crime de Grynspan. »

Le rédacteur rapporte également de nombreux éléments concernant les exactions commises à Berlin, capitale du Reich, où presque tous les lieux de culte israélites viennent d’être incendiés :

« Neuf synagogues, sur douze que compte Berlin, avaient été incendiées. Tous les magasins appartenant à des Juifs avaient été saccagés et pillés, et de nombreux Israélites emprisonnés. Des équipes de jeunes gens étaient rendues ce matin, vers 4 et 5 heures, dans les différents temples israélites de la ville. »

Le Figaro, pris entre deux feux, rapporte les divers sons de cloche des représentants européens via leurs reporters envoyés sur place. Le journal de droite s’inscrit néanmoins contre les exactions du Reich et note que la nuit du 10 novembre fut « non moins affreuse pour la population de Munich que pour celles des grands centres allemands » :

« Dès ce matin, des personnalités juives des plus en vue ont été arrêtées et gardées en otage par la police. Parmi elles, on trouve le docteur Max Kloos, le fameux chirurgien orthopédiste Karl Bach, le professeur Haas, et Martin Aushauser, un des directeurs de la banque du même nom. Le consul général de Suède à Munich et sa femme, apprenant ce matin l'arrestation de M. Aushauser, son associé, se sont suicidés. Des centaines d'hommes et de femmes se sont précipités dans les consulats étrangers pour y obtenir des Visas leur permettant de quitter le Reich […] »

Le 10 novembre 1938 à 17 heures, le ministre de la Propagande Joseph Goebbels, avec l’aval d’Hitler, donne l’ordre à la population allemande d’arrêter le pogrom. On fait état de 91 morts d’un bout à l’autre du Reich. Goebbels assure que les indemnisations remises par les assureurs aux propriétaires de magasins endommagés seront toutes « confisquées par l’État ».

Le 1er janvier 1939, Hermann Göring décrète la cessation de toutes les activités commerciales entreprises par des citoyens juifs sur le territoire allemand.