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Interview

« Ingénierie sociale » : les stérilisations masculines volontaires de l'entre-deux-guerres

La vasectomie a une histoire longue de plus d'un siècle : la chercheuse Élodie Serna s'est intéressée au phénomène des stérilisations volontaires des hommes pendant l'entre-deux-guerres. Un récit qui montre que le corps masculin a été au coeur d'enjeux politiques et sociaux toujours d'actualité.

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ÉS

Avec

Élodie Serna
Marina Bellot

Propos recueillis par

Marina Bellot

Publié le

29 août 2022

et modifié le 22 mai 2025

Image de couverture

Photo de couverture de l'ouvrage d'Elodie Serna, Faire et défaire la virilité, photo circa 1933 - source : Presses universitaires de Rennes

La vasectomie a une histoire longue de plus d'un siècle : la chercheuse Élodie Serna s'est intéressée au phénomène des stérilisations volontaires des hommes pendant l'entre-deux-guerres. Un récit qui montre que le corps masculin a été au coeur d'enjeux politiques et sociaux toujours d'actualité.

RetroNews : Qu’est-ce qui vous a donné envie de mener ce travail sur les stérilisations volontaires masculines pendant l'entre-deux-guerres ?

Élodie Serna : À l'origine, je cherchais des informations d’ordre général sur l'histoire de la contraception et je suis tombée sur quelque chose qui m'a semblé très énigmatique : un procès au milieu des années 1930 en France, dans lequel les accusés avaient participé à des sessions de stérilisations clandestines. J’ai trouvé très étonnant qu’il y ait déjà, à cette époque, un savoir populaire sur ces questions, vu le peu de vasectomies qui se pratiquent aujourd’hui en France.

Cela m'a interpellée : je me suis dit que s’il était possible de la pratiquer de manière clandestine, c’est qu’il y avait toute une connaissance sur ce pan-là de la contraception qui avait disparu et qu’il fallait restituer.

À partir de quand la vasectomie est-elle considérée comme un outil d’"amélioration de la race" ? Dans cette optique, quelle place est donnée au consentement des opérés ?

La vasectomie est une opération qui est connue depuis la fin du XIXe siècle, dès 1893. Les premières pratiques eugénistes qui en sont faites ont lieu aux États-Unis à la toute fin du XIXe siècle, dans un contexte où la notion de dégénérescence s'est beaucoup diffusée, avec l’idée de remédier aux déficiences mentales, aux tares, qui seraient de plus en plus nombreuses dans la population. On est passés de l’idée de gènes prétendument nuisibles à celle de personnes nuisibles à la qualité globale de la population. Dans ce cadre, plusieurs méthodes sont promues, notamment l’internement des personnes dites déficientes, et aussi la stérilisation, apparue comme une méthode radicale et très efficace. Des médecins ont estimé que la vasectomie, comme l'hystérectomie et l’ovariectomie, pouvait être une méthode à prôner pour régler ce prétendu problème de dégénérescence.

La première loi qui autorise la vasectomie eugéniste date de 1907, dans l'État de l'Indiana. On voit ensuite se développer d’autres lois du même type aux États-Unis, puis dans les années 1920 en Europe, notamment en Suisse, dans les pays scandinaves et en Allemagne nazie.

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Quelles sont les ambitions de l'opération de Steinach, dont la pratique se popularise en Europe dans les années 1920 ?

Le début du XXe siècle correspond aux débuts de l’endocrinologie. Dès la fin du XIXe, les endocrinologues biologistes se sont beaucoup attaché à décrire le rôle et la valeur des substances produites par le testicule, considérant que les sécrétions séminales masculines participaient pour beaucoup à la vitalité et au dynamisme de l’organisme. Dans cette lignée-là, un chirurgien français, Serge Voronoff, prônait la greffe de testicules, tandis que d’autres médecins, dans la lignée d’Eugène Steinach, un biologiste autrichien, pensaient qu’on pouvait activer toute cette production séminale bénéfique pour le corps grâce à la vasectomie.

L’opération de Steinach est une technique de vasectomie classique, mais qui a des ambitions totalement nouvelles : rajeunir et fortifier le corps. Dans les années 1920, quand Steinach fait ses premières publications sur le sujet, cela crée une polémique chez les scientifiques ; mais rapidement, un certain enthousiasme se développe parmi des médecins et des universitaires qui se font “steinachiser” à Vienne, puis au niveau international. Des médecins de renom commencent à pratiquer ces opérations de Steinach, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, jusqu’aux États-Unis et au Japon… Le terme est connu et même populaire, on le trouve dans les journaux, des romans, des pièces de théâtre…

Qui sont les premiers hommes à bénéficier de cette opération ?

Dans un premier temps, parmi ceux qui servent de cobayes, il y a des hommes très ordinaires atteints de certaines maladies ou affections, notamment des hommes neurasthéniques ou impuissants. Par la suite les médecins vont proposer cette opération à une clientèle aisée, dans des cliniques réputées. Certains médecins en font une spécialité très rentable.

Pourquoi l’opération de Steinach ne s'est-elle pas popularisée en France ?

À la même époque, le chirurgien Serge Voronoff s’est spécialisé dans les greffes de fragments testiculaires, avec le même objectif : améliorer la vitalité du corps grâce aux sécrétions masculines. Voronoff a mis en place des élevages de singes dans des cliniques spécialisées, pour utiliser leurs testicules. Il y a une petite concurrence entre les deux opérations, et celle de Steinach ne s’impose pas en France.

 

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« L’ambition était de responsabiliser la population sur la "qualité" des enfants à naître. »

Comment les eugénistes ont-ils tenté d'utiliser ce "droit à la stérilisation" comme une arme de classe, notamment en Grande Bretagne ?

Dans les années 1920 et 1930, l’eugénisme progresse en Europe et la stérilisation obligatoire fait débat. En Grande-Bretagne, entre 1928 et 1938, des tentatives sont faites par la Société britannique d'eugénique en vue de légiférer en la matière. Il y a des discussions entre les eugénistes eux-mêmes sur les stratégies à adopter pour faire changer les mentalités et faire adopter de nouvelles normes de reproduction : l’ambition est de responsabiliser la population sur la qualité des enfants à naître. Le premier objectif proclamé des eugénistes est de s'attaquer à la question de la déficience mentale, mais dans certains écrits ils énoncent clairement qu’ils visent une "population cible" qui n’est pas limitée aux personnes dites déficientes mais inclut, je cite, "les faibles d'esprit, les pauvres chroniques et les assistés permanents".

Il y a un glissement des théories censées éliminer de prétendues déficiences ou des tares vers des théories qui prônent une sorte d'ingénierie sociale, en visant un groupe particulier : le sous-prolétariat. On considère les gens qui en font partie comme un stock de mauvaise qualité, et on veut intervenir sur la reproduction de cette classe sociale.

Le discours de la Société d’eugénique porte particulièrement sur la vasectomie car c’est une opération simple, moins risquée et moins coûteuse que celle équivalente pour les femmes, ce qui est bien sûr un avantage pour envisager des stérilisations en nombre. Autre avantage : l’opération de Steinach est populaire, et l’argument va être de dire : "cette opération est déjà disponible pour les riches, pourquoi ne pas la rendre accessible aux pauvres ?". En réalité, derrière le prétendu droit à la stérilisation, il y a l'idée que ce ne sont pas les personnes elles-mêmes qui vont décider de leur opération, mais les autorités médicales.

De plus, une attention particulière est portée à la vasectomie parce que l’on accorde plus d'importance au corps des hommes qu’à celui des femmes, et que celui des femmes est déjà largement accessible. Pour les hommes, il faut un cadre législatif qui permette d’intervenir sur leurs parties génitales.

« Le stérilisateur, Norbert Bartosek, s’est présenté lors de son arrestation comme un représentant en savons - et il s’avère qu’il a été assisté dans ses opérations par un teinturier et un plombier... »

Que révèle l'affaire des stérilisations volontaires qui éclate en France en 1935 ?

En France, dès les années 1910, des néo-malthusiens promeuvent la vasectomie comme la solution à tout un tas de questions sociales. Mais ce n’est qu’après la popularisation de l’opération de Steinach qu’un certain nombre d’opérations clandestines ont lieu dans plusieurs villes en France. À Bordeaux, le 1er avril 1935, une affaire de stérilisations clandestines éclate dans la presse locale et nationale. Les opérations ont eu lieu dans l’appartement d’un couple d'employés des postes, et le stérilisateur, Norbert Bartosek, s’est présenté lors de son arrestation comme un représentant en savons - et il s’avère qu’il a été assisté dans ses opérations par un teinturier et un plombier... Cela crée le scandale : l'opération n’est plus entre les mains des médecins. La question de la libre disposition de soi est posée : qui doit déterminer l’accès à la stérilisation et dans quelles conditions ?

La répression en France, comme dans d’autres pays, est la réponse principale à ces opérations. En Autriche, plusieurs procès importants ont eu lieu. En étudiant les dossiers de l’un de ces procès, je me suis aperçue qu’il s'agissait essentiellement d'hommes de milieux ouvriers, qui avaient déjà eu des enfants et n’en voulaient plus. Plusieurs d'entre eux font état du fait qu’ils vivent dans une trop grande misère et que leur femme ont a subi trop d’avortements clandestins et d’accouchements difficiles. Évidemment, il faut se rappeler qu’à cette époque, là-bas comme en France, il n'y avait pas de contraception légalement disponible, et que les premières victimes étaient donc les femmes issues de milieux populaires...

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Docteure en histoire et chercheuse indépendante, Élodie Serna a publié deux ouvrages sur l'histoire de la vasectomie en 2021 : Opération vasectomie. Histoire intime et politique d'une contraception au masculin, aux éditions Libertalia, et Faire et défaire la virilité. Les stérilisations masculines volontaires en Europe (1919-1939), aux Presses universitaires de Rennes.

Mots-clés

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Marina Bellot

Ecrit par

Marina Bellot

Marina Bellot est journaliste indépendante, diplômée de l'Ecole de journalisme de Sciences Po. Elle a co-fondé en 2009 Megalopolis, un magazine d'enquêtes et de reportages sur la métropole parisienne, qu'elle a dirigé pendant trois ans. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des adolescents et a co-écrit une biographie de Jean-François Bizot, L'Inclassable, parue chez Fayard en 2017.

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