Publié en France en 1937 dans le journal pour la jeunesse Robinson (sous le titre Le Conquérant de la planète Mars), puis en version illustrée par Hachette, le roman de Burroughs présente un colonialisme bien différent de celui du Mystère des XV. L’invasion de Mars n’est ici pas le fruit d’une entreprise étatique, mais celle d’un héros solitaire, d’un self-made-man soumettant seul ce nouvel Ouest mythologique. Toutefois, cela n’empêche pas le roman de figurer dans les publicités du Tell : journal des intérêts coloniaux le 10 septembre 1938.
Durant l’Entre-deux guerres, le genre martien continue de rencontrer un grand succès en France, malgré la réfutation progressive, à partir de 1909, de la théorie des canaux. Le Mystère des XV est publié en deux volumes en 1922 aux éditions Ferenczi tandis que La Hire écrit en parallèle pour la jeunesse des récits d’aventures se déroulant sur la planète rouge (par exemple Les Hommes de Mars, paru en 1926). Dans un autre roman intitulé Les Chasseurs de Mystères et paru en 1933, alors que la France est, suite à l’exposition coloniale de 1931, complètement subjuguée par ses rêves d’empire, il affirme que « Léo Sainclair (sic) le Nyctalope [...] était en train de coloniser la planète Mars ».
Mais c’est aux États-Unis, avec le succès des aventures de John Carter (huit romans et deux recueils de nouvelles) que les fictions martiennes vont continuer le plus à faire parler d’elles, notamment après-guerre. Ray Bradbury publiera ainsi en 1950 ses Chroniques martiennes où il reprendra certains éléments développés par Burroughs pour mieux les détourner. Car dans son roman, la planète rouge abrite une société pacifique que l’arrivée des Terriens fait peu à peu disparaître.
Au même moment, sous les coups de la Décolonisation et de livres comme Tristes Tropiques (1955) de Claude Lévi-Strauss, l’Occident prendra progressivement conscience des dégâts provoqués par son propre impérialisme. Désormais, Mars n’aura plus le même visage.
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Pour en savoir plus :
Hugues Chabot, « Images de la science en action dans quelques récits martiens (1865-1925) », in : Claire Barel-Moisan et Jean-François Chassay (dir.), Le roman des possibles : l’anticipation dans l’espace médiatique francophone (1860-1940), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2019, p. 69-84
Robert Markley, Dying Planet : Mars in Science and the Imagination, Durham, Duke University Press, 2005
Patrick Pecatte, « L’évolution des martiens », in: dejavu.hypotheses.org, 11 décembre 2015
Marie Puren, Jean de La Hire. Biographie intellectuelle et politique (1878-1956), Thèse de doctorat, Ecole nationale des chartes, 2016
Sandrine Schiano, « Rumeurs de Mars et rêveries astronomiques : des canaux de Schiaparelli aux mondes habités de Flammarion », in: Romantisme, n° 166, 2014, pp. 43-52
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William Blanc est historien, spécialiste du Moyen Âge et de ses réutilisations politiques. Il est notamment l'auteur de Le Roi Arthur, un mythe contemporain (2016), et de Super-héros, une histoire politique (2018), ouvrages publiés aux éditions Libertalia.