Écho de presse

Le jeune Sacha Guitry à Gil Blas

le 25/05/2018 par Marina Bellot
le 20/01/2017 par Marina Bellot - modifié le 25/05/2018
Portrait de Sacha Guitry ; Agence Rol - Source : BnF Gallica

De 1904 à 1908, Sacha Guitry a exercé sa plume, affiné sa verve et donné un aperçu de son talent de dessinateur en collaborant au journal Gil Blas.

Dramaturge, acteur, metteur en scène, réalisateur et scénariste français, le prolifique Sacha Guitry a écrit pas moins de 124 pièces de théâtre et trente-six films dont beaucoup connurent un grand succès populaire.

En 1904, alors qu'il n'a que 19 ans, son nom apparaît dans les colonnes du journal Gil Blas.

Le jeune homme y exercera pendant quatre ans ses talents de conteur et affinera son esprit caustique. Ses premières chroniques s'intitulent Pointes sèches et sont illustrées par ses propres dessins, montrant au passage que le jeune Guitry a, en ce domaine aussi, un talent certain.

Portrait de Jules Renard par Sacha Guitry - Source BnF

"M. Jules Renard.
Dans la rue, il marche à petits pas, les yeux sévèrement fixés sur le bout de ses pieds, comme pour les empêcher de se marcher l'un sur l'autre. Il parle peu. Il préfère écouter... surtout le silence, pour pouvoir rentrer au-dedans de lui-même, et rire.
Il doit avoir bouché l'une de ses oreilles, pour être sûr que de ce qu'il entend, rien ne sorte, avant d'avoir bien mûri dans sa tête.
Maintenant il tient son veston croisé pour faire croire qu'il porte son écharpe de maire.
Mais nous savons qu'il la garde précieusement, pour se la mettre à la boutonnière, un jour.
Cette tête a l'air d'avoir été faite très, très vite.
Il avait dit — «
 Pourvu qu'il y ait un grand front, ça ira ! » Alors on lui a fait un grand front, puis on lui a piqué des poils au hasard sur la figure, mais comme il était pressé, ils n'ont eu qu'une couche de peinture, le rouge. « Vous avez oublié les yeux, donnez-moi une vrille ! »
Et il est parti.
Et il s'en va, son
poil de carotte dans le creux de la main."

Portrait de Mme Sylviac par Sacha Guitry - Source BnF

"Madame M.-T. Sylviac
[...] Ceci n'est pas un portrait, qu'on se le dise : c'est une caricature.
Une caricature exacte, voilà tout.
Mme Sylviac est la bonté même. Elle ne peut pas souffrir qu'on débine les gens devant elle.
Prononcez un nom, vous verrez immédiatement Mme Sylviac s'en emparer, le traîner dans la plus spirituelle des boues, rendant désormais impossible toutes les calomnies. Et si d'aventure, Mme Sylviac entre dans un salon où l'on est occupé à déchirer un absent, elle donne du seuil de la porte (semblable à ces chasseurs magnanimes qui achèvent d'un coup de crosse de fusil l'oiseau mutilé), le coup de grâce définitif... et c'est tout de suite le tour à un autre.
Mme Sylviac cherche le placement d'une assez grande quantité de sucre cassé finement sur divers dos."

On y lit ses traits d'esprit et ses bons mots mais aussi des textes plus poétiques (comme La Mort du petit arbre).

Avec férocité ou tendresse, Guitry met inlassablement au jour les petites et grandes lâchetés des hommes. Et, bien sûr, ne manque pas d'explorer, entre tous, le sujet de l'amour et des femmes :

"Avez-vous remarqué comme il est doux d'attendre une femme, surtout quand on a avec cette femme des rapports plus qu'amicaux ?
On a rendez-vous à quatre heures, et comme on est très amoureux et qu'Elle est très jolie, on arrive à quatre heures moins le quart.
Oh
 ! combien charmant ce quart d'heure, qu'on passe. Oh ! combien jolie cette femme qu'on attend !
À quatre heures juste, la femme qu'on attend est arrivée... à l'apogée de sa beauté.
Mais, à quatre heures un quart, la femme qu'on attend est déjà moins jolie.
À quatre heures et demie, la femme qu'on attend est décidément toujours la même, en retard et assommante, et soi, on est bien bête
 !
À cinq heures moins un quart, on espère l'arrivée d'un ami avec lequel on va pouvoir causer et se distraire un peu.
À cinq heures, l'inquiétude vous prend... et la colère aussi
 :
— Elle va voir çà
 !... C'est trop fort !... Elle se fiche de moi !
Mais, à cinq heures dix, quand la femme qu'on attend arrive, souriante, et questionne
 :
— Il y a longtemps que tu es là
 ?
On lui répond le plus simplement du monde
 :
— J'arrive à l'instant
 !"