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« Nous volons vers l’ennemi » : Pearl Harbor raconté par un officier japonais

le 06/12/2023 par Gringoire
le 05/12/2023 par Gringoire - modifié le 06/12/2023

Six mois après l’attaque japonaise de la base américaine de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le journal collaborationniste Gringoire publie le témoignage d’un officier nippon qui a participé à la bataille. Un récit heure par heure qui donne le beau rôle aux Japonais et tourne en ridicule l’impréparation américaine.

Le dimanche 7 décembre 1941 – et non le 8 décembre comme le titre l’article de manière erronée –, les Japonais lancent une attaque surprise sur la base navale de Pearl Harbor, sur l’île d’Oahu, dans l’archipel d’Hawaï. L’assaut vise à anéantir l’US Navy. L’objectif : avoir les mains libres dans le Pacifique pour poursuivre une politique expansionniste lancée dès le début des années 1930. Après la Mandchourie en 1931, le Japon s’est attaqué à la Chine en 1937 et continue à élargir sa « sphère de coprospérité asiatique ». En juillet 1941, les Etats-Unis réagissent par des sanctions économiques. C’en est trop : Tokyo arme ses navires, hisse – dit l’article – le drapeau de l’amiral Heihachiro Togo, héros de la guerre russo-japonaise de 1904-05, et traverse le Pacifique.

Les pertes américaines sont importantes : près de 2 500 morts, deux cuirassés anéantis, 16 autres navires endommagés. Mais le bilan de l’attaque sera, au final, moins désastreux que ne le laisse entendre le témoignage : aucun porte-avion américain n’est détruit, et la majorité des bâtiments touchés est remise en état rapidement. Elle influe en revanche sur le cours de la guerre, en provoquant l’entrée en guerre des Etats-Unis.

On sait que le sort de la guerre entre le Japon et les États-Unis s'est joué le 8 décembre 1941. En quelques minutes, la flotte américaine du Pacifique, embossée dans la rade de Pearl-Harbour, a été mise hors de combat par les aviateurs et les marins nippons.

C'est le récit de ce fait d’armes sans précédent que Gringoire donne aujourd'hui, d'après la version française de notre confrère belge Cassandre, d'une relation publiée par la Münchner Illustrierte Presse fondée sur le témoignage direct d'un officier japonais qui a participé à cette action d'éclat.

Cet officier est un capitaine de frégate aviateur. Pendant plusieurs années, il a, comme vingt-quatre mille autres officiers japonais, accepté d'être enfermé avec un camarade dans une cabine étroite, il a dormi sur des couchettes de bois dur, il n'a rien mangé d'autre, chaque jour, qu'une assiette de riz. La solde de cet homme n'était que d'environ deux mille deux cent francs par mois. Or, de cette somme il a, comme tous ses collègues, volontairement abandonné de cinq à six cents francs « pour améliorer son navire ».

« Certes, a-t-il déclaré, nous avons imposé à nos familles de durs sacrifices et nous avons souffert à cette idée, mais grâce à toutes ces privations notre pays a pu, en un an, mettre sur chantier, trois nouveaux navires de guerre ».

***

NAVIRES DANS LA NUIT.

La nuit est sombre et impénétrable. Les navires de guerre s'avancent en haut mer. Leurs grandes masses tanguent et roulent lourdement au gré des vagues. Chaque fois que les proues s'enfoncent par les flots, des paquets, d'eau inondent les ponts, s'écrasent contre les tourelles et rejaillissent en larges cascades sur les épais blindages.

Tout en haut, dans leur poste d'observation solitaire, les vigies ne quittent pas leurs jumelles de nuit et scrutent l'obscurité. Nulle part, elles ne découvrent une colonne de fumée, nulle part la moindre ombre : l'océan entre Bonin et les Hawaï est désert.

Nous sommes pendant la nuit qui sépare le 7 du 8 décembre 1941. Rien de surprenant ne s'est passé, et pourtant, les milliers d'hommes de l'escadre sont incapables de trouver le moindre repos, tant leurs pensées sont tendues vers le but inconnu qu'ils atteindront demain.

Qu'arrivera-t-il cette nuit ? N'importe quel navire, le plus humble cargo neutre qui nous rencontrerait pourrait aussitôt annoncer au monde entier, par radio, qu'il vu une partie de la flotte japonaise en route vers les Hawaï. Le plus insignifiant charbonnier pourrait de la sorte faire échouer, tout près du but, une entreprise minutieusement préparée. Et cette émission radiophonique pourrait ruiner une mission à laquelle des spécialistes ont consacré pendant des années le meilleur d'eux-mêmes et qui décidera sans doute du sort d'une guerre.

Quand nous avons pris la mer, personne ne savait le but de notre course. Nous pouvions très bien partir pour une croisière comme nous en avions tant fait. Pour une manœuvre.

Nous avons navigué pendant deux jours. Sans voir un bateau. Sans être aperçus. Le cap était vers l'est. Nous avons laissé ainsi les îles Bonin loin derrière nous. Notre formation comprenait des navires de bataille, des destroyers, des porte-avions.

ON HISSE UN DRAPEAU. 

Mais un midi, il se produisit quelque chose qui nous coupa la respiration pour plusieurs secondes. Nous, aviateurs, nous étions appuyés au bastingage el nous regardions voguer un de nos cuirassés. Nous connaissions ce gigantesque bâtiment de trente mille tonnes comme nous-mêmes. Nous avions fait l'exercice avec les puissants canons de 35 et de 40 cm. Parmi les treize cents hommes de son équipage, nous comptions beaucoup de compagnons. La plupart d'entre nous avaient assisté au lancement des plus récents navires de bataille à Yokosuka ou à Kure. Leurs doubles et puissantes tourelles vers la proue et la poupe étaient, à nos yeux, des forteresses dirigées vers l'est. Mais ce n'est pas ce spectacle coutumier qui nous serrait la gorge. Non. On venait, sur le dernier navire de la ligne de bataille, de hisser un pavillon que nous connaissions bien. Il ne fut pas besoin de nous dire ce qu'il signifiait. Il nous a toujours hantés. Il flottait depuis de longues années sur l'écran de notre imagination. Quelques-uns d'entre nous l'avaient vu déployé sous le vent, quand ils étaient encore enfants, mais beaucoup d'autres n'étaient pas encore nés ce jour-là. Seuls, les anciens élèves de l'Académie de Marine l'avaient contemplé de leurs propres yeux : car le pavillon qui venait d'être hissé sur le cuirassé était celui de l'amiral Heihachiro Togo.

Ainsi, en cet instant même, il ne se trouvait pas un seul homme dans toute l'escadre qui ignorât ce que ce drapeau signifiait. Le vieux et glorieux drapeau d'il y a trente-six ans ! Celui qui avait flotté le jour de Tsushima au grand mât du Mikasa ! Ce jour-là aussi, il monta dans l'air en indiquant à tous les autres bâtiments de la flotte que le salut de la patrie dépendait de la bataille qui allait s'engager.

Aujourd'hui, il a la même signification et nous comprenons qu'en ce jour sacré et dans cet océan immense, l'avenir du Japon vient de nous être confié.

Aucun des camarades n'a dit un mot. Ils ont tous vu le drapeau qui maintenant claque dans l'air pur, au sommet du grand mât. Près de nous, un amiral apparaît sur le pont qui dit quelques mots pleins de fierté :

« J'ai soixante ans et moi, je ne compte plus. Vous êtes jeunes et vous avez un grand avenir devant vous. Il ne faut pas mourir pour la patrie, il faut vaincre pour elle, afin de rester à son service ! »

L'ATTENTE.

Il est là, le grand jour ! Maintenant chacun le sait. Et nul n'est surpris. Nous avons vécu toute notre vie dans l'attente de cette heure qui vient enfin de sonner. Oui, comme à Tsushima, les heures prochaines décideront du sort de la patrie. Alors, le Japon en lutte contre la Russie avait conquis sa place de grande puissance ; aujourd'hui, il s'agit de conquérir notre espace vital contre un ennemi redoutable.

Tous ces hommes qui regardent flotter le drapeau de Togo ont derrière eux, sans exception, des années de travail pénible et inlassable. Ce n'est pas pour rien que la marine, au Japon, est considérée comme une troupe d'élite. Elle a travaillé dans le plus grand secret, et sans que le peuple ait eu l'occasion de lui rendre hommage. Des revues navales devant le Tenno ? Certes, il y en eut ! Mais loin des rades et des ports, si loin qu'avec les plus puissantes longues-vues, il était impossible d'apercevoir une seule des unités. Et les chantiers ? direz-vous. Les cales de lancement ? Qui donc les a vues ? Les chantiers de Nagasaki ou de Kure sont séparés du restant du Japon par d'impénétrables murailles.

Tous, nous avons connu seulement le travail secret et solitaire. Celui qui a besoin d'applaudissements n'a pas sa place dans la marine japonaise. On y accepte seulement quiconque ne rechigne pas à l'effort. Quant aux aviateurs qui contemplent de tous leurs yeux le pavillon de guerre du vieil amiral mort il y a huit ans, ont-ils seulement, pendant tout leur long apprentissage, fait un seul vol par beau temps ?

L'un de nous dit :

« Nous n'avons jamais volé qu'à travers la tempête et l'orage. Nous avons toujours attendu que le temps fût détestable pour nous habituer au pire. Il y a eu des victimes ! Assurément, nombreux sont ceux qui ne sont jamais revenus. Ils se sont écrasés au sol ou sont tombés dans la mer. Comme ceux qui mourront tout à l'heure, ils ont donné leur vie à la patrie. »

EN ROUTE VERS LES HAWAÏ.

Maintenant, nous nous trouvons sur un porte-avions. Nous savons où nous allons : aucun doute, droit sur les Hawaï. Nous connaissons celles-ci parfaitement. Chaque officier de notre marine en dessinerait la carte les yeux fermés. Dans l'éventualité d'une guerre avec les États-Unis, les Hawaï doivent être le plus important point d'appui, la plus grande base de l'ennemi. C'est le Gibraltar américain. Si l'ennemi veut envoyer sa flotte de guerre vers l'Asie orientale, il doit nécessairement la ravitailler aux Hawaï. Les États-Unis ne possèdent pas un seul navire qui pourrait aller de San Francisco aux Philippines et retour sans prendre du combustible. Ce grand relais se trouve aux Hawaï. Et c'est devant ces îles que l'Amérique a concentré sa flotte du Pacifique. Elle se trouve à Pearl-Harbour.

Nous ne sous-estimons pas l'adversaire contre lequel nous allons prendre notre vol. Sa position principale, l'île de Oahu, est une vaste forteresse. Cent quatre-vingts avions y sont stationnés, d'une façon permanente, et disposent de champs et de pistes de lancement de tout premier ordre. On y a même construit des usines d'aviation pour remplacer le matériel ou faire les réparations indispensables. En outre, à Pearl-Harbour, se trouve le plus grand dock flottant du monde : il a trois cent cinquante mètres de longueur et peut accueillir en même temps un navire de bataille et un cuirassé lourd. La garnison des îles comporte trente mille hommes.

Et puis, il y a le « Diamond Head », ce vieux volcan éteint dont les flancs ont la couleur de la lave et qui est truffé de casemates et de batteries. Sur les flancs du cratère sont alignées les batteries anti-aériennes et s'élèvent des tours d'observation. On dit que près de cent quarante mille hommes pourraient, à la rigueur, trouver refuge dans cet antre souterrain. Et nous savons qu'innombrables sont les batteries anti-aériennes qui veillent de toutes parts autour de Pearl-Harbour.

Tout cela, nous le savons. Mais il y a beaucoup de choses aussi que nous ne savons peut-être pas.

Nous sommes encore éloignés de plusieurs centaines de milles des Hawaï et à chaque instant un steamer peut se présenter sur notre route. Le temps aussi peut troubler tous nos plans. Certes, nous ne craignons ni la tempête, ni l'ouragan, mais s'il se mettait au beau, alors les Américains pourraient sans difficulté nous apercevoir en haute mer à un moment où il nous faudrait encore au moins vingt minutes de vol pour atteindre notre but. L'atmosphère est beaucoup plus claire que dans les eaux européennes. Vingt minutes pour donner l'alarme ! Tout le succès de notre entreprise pourrait être mis en question. Et puis, une autre question nous brûle les lèvres : quels navires, combien de navires se trouvent à Pearl-Harbour ? Nous pouvons arriver à destination pour y apercevoir que toute la flotte du pacifique de l'ennemi est partie au loin.

Nous pouvons trouver un port vide ! Ces pensées sont si lancinantes qu'aucun de nous ne dit mot.

LA GUERRE.

Et puis, il y a autre chose. Il y a qu’aucun d’entre nous ne sait s’il reviendra de cette aventure. Il n’y a pas seulement le risque inhérent à toute attaque aérienne ; il y a aussi qu'il est fort possible, qu'il est même très vraisemblable que nous ne retrouverons pas notre porte-avions après l'attaque. Le temps sera peut-être bouché et notre havre flottant caché dans des nuages si profonds que nous parcourrons en vain l'océan à sa recherche, jusqu'au moment où, faute d'essence, nous serons la proie des flots. L'escadre peut être attaquée et se voir contrainte à la retraite. Les porte-avions sont les unités les plus merveilleuses, mais aussi les plus fragiles d'une flotte de guerre : un seul coup au but peut les mettre hors de combat. Nous continuons d'avancer.

Aucun d'entre nous, en cette heure suprême, ne songe à écrire aux siens. Toutes nos pensées se concentrent uniquement sur notre départ. Le drapeau de Togo flotte devant nous. Le soldat japonais n'envoie pas de lettres et il n'en attend pas non plus. Il a fait entièrement abandon de sa vie. Oh ! Il ne joue pas avec la mort, et il ne veut pas que son sacrifice soit inutile. Mais quand son devoir l'exige, il se sacrifie sans hésiter.

Des vieillards se sont donné la mort au moment où leur fils partait pour la guerre. Non de désespoir ! Mais parce qu'ils voulaient enlever au soldat tout prétexte à regarder derrière lui et à se laisser détourner de ses devoirs militaires. Combien de mères, de pères, de femmes ont dit, en guise d’adieu : « Ne reviens jamais ! » Non pas que leur cœur n'espérât point revoir le guerrier, mais le retour de celui-ci était à leurs yeux un miracle et ils voulaient que le soldat n'hésitât pas à donner sa vie en songeant que son sacrifice ne plongerait pas dans un désespoir inattendu ceux qu'il laissait au pays.

Chacun d'entre nous descend dans sa cabine pour y attendre dans le recueillement le moment de l'envol. De quart d'heure en quart d'heure, un guetteur remonte sur le pont pour s'assurer que la tempête ne s'apaise pas et que les nuages sombres et profonds continuent à sillonner le ciel. Les vagues énormes continuent à déferler sur les carapaces d'acier des navires.

Plus l'ouragan souffle, et plus rayonnants sont les visages des aviateurs. Dans une telle tempête, aucun œil indiscret ne nous découvrira jusqu'au moment où nous serons prêts à accomplir notre devoir. C'est la Providence qui nous envoie ce temps-là. Elle veut que nos navires passent inaperçus, elle veut notre victoire. La confiance croît en nous d'heure en heure, elle nous fait plus fermes et plus calmes.

Et voici que le matin approche. Ma montre marque 4 h. 25. J'ai feuilleté le Ikusa no Niwa. C'est un recueil de poèmes dont on pourrait traduire le titre par : « Le jardin de la guerre ». J'en connais les lignes par cœur, comme tous mes camarades, et notamment le refrain qu'un soldat japonais a écrit il y a près de quarante ans, lors de la guerre russo-japonaise, quelques heures avant de tomber pour la patrie.

LES HÉLICES CHANTENT.

Soudain, l'alarme est donnée sur notre porte-avions et un ordre retentit : « Les appareils doivent être prêts au départ ».

Les ascenseurs montent les lourdes machines sur la piste de lancement. Nous débouchons sur le pont supérieur. Le temps répond à nos espoirs. De lourds et épais nuages flottent à une hauteur de quinze cents à deux mille mètres. L'océan est démonté et les vagues martèlent avec un bruit de tonnerre les flancs des navires. Mais, d'un instant à l'autre, va venir l'ordre d'attaquer la flotte américaine du Pacifique à Pearl-Harbour, et nous n'avons pas de temps à perdre à regarder le ciel et la mer.

Notre porte-avions est rudement secoué, il danse et rebondit. Nous devons nous attacher au pont pour ne pas être projetés par-dessus les bastingages.

Mais nous ne nous soucions pas de tout cela. Une seule chose compte pour nous : l'heure est venue que nous attendons depuis des années. Pour laquelle nous avons travaillé, et encore travaillé. Que nous avons appelée dans nos prières. Maintenant, nous y sommes ! Nous nous glissons sous nos avions et nous vérifions calmement tous les organes de nos braves montures. Nous tâtons les grosses bombes gris-noir. Nous vérifions les commandes, les réservoirs d'essence, les manomètres, comme nous l'avons fait cent fois durant des vols d'exercice. Tout est en ordre. Nous sommes prêts.

Dans le carré, où l'on nous appelle, une carte est déployée. On y a indiqué notre course. Notre navire continue, tous feux poussés : il fait ses trente nœuds, en dépit des montagnes liquides qui se lancent à sa rencontre.

Nous attendons. Nous attendons une heure pleine. Nous attendons encore trois quarts d'une nouvelle heure. Le jour est levé. Il est exactement 6 h. 15 quand nous recevons l'ordre de partir. Les moteurs bondissent, les hélices chantent. Devant moi, la piste de lancement est libre. Elle chancelle vers l'avant, vers l'arrière, vers la gauche, vers, la droite. Qu'importe ! Je m'envole.

Mes hommes d'équipage sont à leur poste et le lourd appareil a pris l'air avec autant d'élégance qu'une mouette.

Nous volons vers l'ennemi.

La guerre a commencé pour nous exactement à l'instant où nous nous sommes évadés du porte-avions. Maintenant, le sort en est jeté : bombardiers et avions-torpilleurs sont à la recherche de l'ennemi. Aucune force au monde ne pourrait les arrêter.

Nous volons en aveugles. Les nuages nous entourant et nous n'apercevons même pas les flots. Tant mieux, puisque ainsi nous surprendrons l'ennemi ! Mais, en vérité, nous nous orientons difficilement. Si le porte-avions s'éloigne, même un peu, de sa ligne, nous ne retrouverons plus notre ligne de départ sur notre carte. Il suffit que le navigateur se trompe d'une fraction dans le trait de crayon qu'il trace sur la carte, et nous serons ainsi perdus dans l'immensité. Mais nos nerfs tendus sont solides.

 

LE BUT.

Les moteurs poursuivent leur chanson monotone. J'étudie la carte. En fait, est-ce encore nécessaire ? Je connais si bien chaque île de l'archipel des Hawaï que je pourrais m'y diriger les yeux bandés. Quand je ferme les yeux, je vois clairement l'image d'Oahu. Je n'ai jamais été aux Hawaï et bien entendu, aucun de nos aviateurs de la marine ne les a survolées. Mais cependant, elles nous sont aussi familières que les paysages de la patrie. Si souvent nous nous sommes penchés sur les images aériennes de ce point capital du Pacifique. Et maintenant, maintenant, nous devons être au-dessus d'Oahu. Peut-être n'avons-nous pas encore atteint tout à fait l'île, mais ce n'est plus qu'une question de minutes, à supposer que le vent ne nous ait pas déportés. Il est 7 h. 55. Je cherche à percer le plafond des nuages pour apercevoir quelque chose.

Rien ! C'est, de toutes parts, une soupe grise et laiteuse. Nous volons à l'aveuglette. Les mains se crispent sur les commandes. Oui, j'en suis sûr, nous devons actuellement survoler notre but, nous devons y être maintenant, maintenant, maintenant !

Je retiens ma respiration et alors se produit un miracle. Tout à coup, le rideau des nuages se déchire et je vois apparaître par le hublot deux falaises grises. Victoire ! En dessous de nous, dans le frissonnement du matin, s'étale Pearl-Harbour. Un camarade me tend la carte de l'île. Comme si j'en avais besoin ! La carte, pour moi, c'est le paysage qui s'étend à deux mille mètres au-dessous de ma carlingue et que je lis comme sur la feuille que j'ai passé des jours et des nuits à scruter. Je la lis, oui, d'un coup d'œil, et d'un coup d'œil je découvre le port de guerre. Là, sont les étroites langues de terre ! Là, les quais ! Là, les môles, et voici que j'aperçois le plus ahurissant spectacle qui ait jamais été offert à un aviateur, si ahurissant que je crois à une vision.

LE MIRACLE DES HAWAÏ.

En dessous de moi est rangée toute la flotte de bataille des Etats-Unis, dans la formation la plus insensée qu'un poète ait jamais pu imaginer. Je suis un vieux marin. J'ai vu, dans le port de Kiel, les navires de bataille allemands à l'ancre. J'ai assisté, à Spithead, à la revue de la Home Fleet sur la rade. J'ai vu les cuirassés français devant Brest. J'ai vu si souvent notre flotte, quand elle défilait devant le Tenno. Mais jamais, jamais, au grand jamais, jamais même au plus profond de la paix, je n'ai vu des navires de bataille s’ancrer à une distance plus courte les uns des autres que 700 à 1 000 mètres. Jamais, jamais ! Une escadre doit toujours être prête à résister à une attaque par surprise et c'est pourquoi tout amiral conscient de son devoir laisse à ses navires la place pour manœuvrer.

Et que voyons-nous ici ? C'est à ne pas y croire ! Est-ce que ces gens-là n'ont jamais entendu parler ni de Port-Arthur, ni de la guerre mondiale ? Est-ce que depuis des semaines, depuis des mois, ils n'ont pas compris que la tension entre le Japon et les Etats-Unis devenait plus dramatique chaque jour ? Ou bien sont-ils à ce point prétentieux qu'ils se sont imaginé que jamais personne n'oserait s'en prendre à eux ?

Là, sous moi, je vois les gros navires de bataille du Pacifique des Etats-Unis bord à bord. Quatre puissantes masses forment une ligne continue de plus d'un kilomètre, poupes et proues se touchant. Il n'y a pas quinze mètres entre elles ! Une plus admirable cible pour nos avions-torpilleurs, nul ne l'avait imaginée. En vérité, il leur sera impossible de la manquer. Je vois clairement qu'il s'agit de deux croiseurs lourds, d'un cuirassé et d'un porte-avions. Un autre porte-avions se trouve à environ deux kilomètres sur la gauche. Il est la seule unité de toute la flotte qui occupe une place normale. A cinq cents mètres de là, toute la flottille des destroyers est ancrée comme des navires de pêche, dans un port de province : bord à bord. J'aperçois clairement les passerelles qui permettent de passer d'une unité à l'autre.

Enfin, le long de la rive septentrionale de la presqu'île, je découvre tout à coup une image plus affolante encore. D'un coup d'œil, je compte : une, deux, trois, quatre, six, neuf, dix masses d'acier. Sont-ce tous des navires de bataille ? Il m'est impossible de m'en rendre compte à première vue. Il me semble que deux de ces bâtiments sont d'un type différent. Plus tard, quand on développera les photos, on s'apercevra que les Américains avaient intercalé des pétroliers dans cette ligne de bâtiments ancrés sur moins de deux kilomètres de longueur. Entre les cuirassés rangés par deux de front, à moins de soixante-dix mètres de distance, un canot éprouverait de la difficulté à passer !

LE VOL DES « AIGLES SAUVAGES ».

A ce moment-là, j'ai compris clairement que jamais plus dans l'histoire du monde, un tel rassemblement de navires ne s'offrirait béatement aux coups d'une attaque aérienne, et qu'en mille ans peut-être, jamais plus des aviateurs n'auraient la même chance que nous.

Je donne des ordres. Aussitôt, les membres de l'escadrille se dispersent et cherchent les différentes hauteurs qui leur permettront de frapper le plus durement le but qui leur a été assigné. L'air bourdonne du ronflement de nos machines. Celles-ci se dépassent et se survolent les unes les autres. Quelques-unes foncent sur le but pour le reconnaître plus parfaitement. Tout cela se fait avec une surprenante liberté d'allures, comme nous nous y étions préparés cent fois lors des manœuvres. Aucun accrochage, aucun désordre. Ils savent ce qu'ils ont à faire, les « Aigles Sauvages ». L'orgueil de la marine.

Je regarde une nouvelle fois la cible. Dans un quadrilatère de huit mille mètres carrés, toute la flotte du Pacifique de l'ennemi se trouve à l'ancre ! Ces huit mille mètres carrés encerclent l'armée navale américaine avec laquelle Roosevelt voulait détruire notre pays. Huit mille mètres carrés, quelle petite tache insignifiante sur ma carte ! Il n'empêche que c'est dans cette petite tache-là que se décidera le sort de la guerre dès les premières heures de la première journée.

Soudain une pensée me traverse. Il manque quelque chose au grandiose assaut de nos aviateurs ? Qu'est-ce ? Je regarde à gauche et à droite et, tout à coup, je m'en rends compte : il manque la défense aérienne ! Il manque les éclatements noirs des shrapnells piquant l'atmosphère autour de nos carlingues, et voici que je comprends la signification de ce silence : l'ennemi dort !

Au moment où nos avions suspendent une menace mortelle sur les navires américains groupés avec une incroyable imprévoyance, toute la flotte du Pacifique des U. S. A. dort ! Dix mille hommes, peut-être davantage, y compris les nombreuses vigies, tout cela dort dans cette aube du dimanche. Les ponts des grands navires sont déserts. Pas un homme sur les quais, et nous pouvons aisément constater que dans les postes de garde, au sommet des mâts, aucune sentinelle ne nous observe. Dans toute la rade, il n'y a pas le moindre canon. La flotte du Pacifique dort et à ces premières heures du dimanche, les matelots cuvent le whisky de tous les samedis soirs.

Pearl-Harbour tout entier dort. Depuis très longtemps, cependant, une Commission Navale composée d'amiraux galonnés a rédigé d'épais cahiers pour résumer les devoirs des officiers et des marins. Et dans ces cahiers, ils ont noté ce que les équipages devaient faire entre six et sept heures du matin.

Seulement, en ce frais matin, le sergent de garde à l'aérodrome militaire est terriblement fatigué. Il n'est libre qu'une fois par semaine, le pauvre sergent, c'est le samedi soir seulement qu'il peut courir les boîtes de Oahu et s'amuser avec les filles. Alors, le dimanche matin, il prend son service à la légère et il n'a aucune envie de fouiller le ciel, que traversent déjà les premiers rayons du soleil. Il a la tête lourde, le sergent de garde, il voudrait bien continuer à dormir.

 

DES POINTS NOIRS DANS LES JUMELLES.

Et puis, jusqu'à présent, on n'a jamais parlé d'avions ennemis aux Hawaï. Je vous le demande : pourquoi ce dimanche matin annoncerait-on tout à coup leur arrivée ? Et cependant, très loin sur la mer, des petits points noirs ont fait leur apparition. C'est tout un essaim de petits points, plus insignifiants que des mouches et qui volent en bourdonnant. Vont-ils sur Pearl-Harbour ? Bien malin serait celui qui pourrait le dire, et d'ailleurs les voici disparus, absorbés par une bande de nuages. Le sergent, cependant, se frotte les yeux. Aucun doute : ces petits points noirs, c’étaient des avions. Il faut annoncer la chose. Mais à qui ? Il ne fait pas bon déranger un officier à sept heures du matin, un dimanche. Ils ont tous fait la fête hier soir, et ils se sont couchés il y a fort peu de temps. En tirer un de son sommeil pour une fausse alerte comporterait un sérieux risque. Or, il y a quatre-vingt-dix chances sur cent pour que ce soit une fausse alerte. Qui donc, après une nuit de tempête, pourrait surgir ainsi au cœur du Pacifique ? Les Japonais sont beaucoup trop loin pour voler jusqu'aux Hawaï. En vérité, oui, il doit y avoir un porte-avions américain dans les environs, bien qu'il n'ait pas été annoncé.

Le sergent allume une cigarette et regarde la fumée qui danse devant la fenêtre. Il va et vient dans la chambre. La pendule seule lui tient compagnie. Il reste ainsi en tête à tête avec elle pendant dix-neuf longues minutes.

Dix-neuf fois soixante secondes ! Ces onze cent quarante secondes vont décider du sort de la flotte. Quand elles se sont écoulées, le sergent se décide à frapper à la porte de l'officier de garde. Il lui fait sa communication. L'officier pique une crise de colère.

« Il n'y aura donc pas moyen de dormir tranquille ? Qu'est-ce qu'il y a ? Des avions ? Voyons, c'est absurde ! »

Le sergent insiste :

« Lieutenant, il y a les avions. C'est tout à fait impossible, sergent, ou bien ce sont des avions de notre flotte. Appelez donc l'aérodrome et demandez-lui pourquoi il ne nous a pas annoncé ces avions-là. Quoi ? Donner l'alarme ? Mais vous êtes fou ! Téléphonez à l'aérodrome par principe, vous dis-je. Pour le reste, nous en reparlerons tout à l'heure. »

Pendant ce temps, le balancier a continué sa course. Il a rythmé la course de la mort : vingt minutes, vingt-trois minutes, vingt-six minutes.

Le sergent regarde l'heure. Il est maintenant 7 heures. A ce moment l'air se remplit d'un bruit sinistre. Les vitres commencent à vibrer. Mais, dominant ce grondement sourd, le cliquetis clair du télescripteur se fait tout à coup entendre. Alarme ! Alarme !

Le sergent s'est jeté sur la porte du poste de garde. Il jette les bras au ciel, il veut crier, mais les mots lui restent dans la gorge...

 

LE CHAOS.

Il était exactement 7 h. 55. Mes escadrilles survolent Pearl-Harbour à différentes hauteurs. Je sais que dans tous les appareils les hommes sont prêts avec les mains aux manettes. J'imagine le visage rayonnant de mes pilotes.

Alors je crie dans le mégaphone :

« Attaque ! Attaque ! Attaque ! »

J'observe la première escadrille qui se rue à l'assaut de la première série de navires de guerre. J'entends distinctement le hurlement strident des bombes de gros calibre qui tombent en chapelets sur les cuirassés.

Enfin ! Un coup sourd traverse l'air. La première série de bombes atteint son but. Je vois des colonnes d'eau qui s'élèvent à une grande hauteur tandis qu'un épais nuage de fumée noire fuse d'un navire de bataille de la classe Oklahoma. Il a été touché entre les deux tourelles. La fumée rougeoie. Le navire brûle. Déjà une nouvelle escadrille de nos bombardiers attaque ses buts. De nouveau le coup de tonnerre des explosions retentit dans la rade. L'ébranlement est si grand que mon appareil en est tout secoué.

Au-dessous de nous règne un indescriptible chaos. Les premières vagues d'avions-torpilleurs sont entrées en action. Elles rasent les flots. Les appareils sautent le môle comme des chevaux de course sauteraient une barrière. Ils volent si vite et si bas qu'on les croirait résolus à se précipiter sur les cuirassés. Mais ils lâchent leur torpille au bon moment et, allégés, prennent aussitôt du champ. Je vois les traits d'écume des torpilles dans l'eau. Elles ne pouvaient pas manquer leur but ! Grâce à l'incroyablement stupide disposition prise par l'escadre ennemie ! Un mur de quatre navires de bataille se touchant est une cible qu'il est impossible de manquer.

Tout à coup des explosions se produisent sur les flancs des cuirassés. Je vois des langues rouges dans un nuage de fumée blanche, et aussitôt après j'aperçois les masses énormes d'acier qui chancellent et tournent comme si elles valsaient autour de leur ancre. J'aperçois clairement le château central d'un navire de la classe Maryland s'effondrer comme un pâté de sable.

De la quille d'un autre navire – il s'agit d'un Pennsylvania – s'échappent d'épais nuages noirs qui, bientôt s'illuminent de flammes fauves. D'autres unités ne sont plus à reconnaître : le nuage de fumée qui s'échappe d'un croiseur blessé à mort les soustrait à ma vue.

Et toujours de nouvelles explosions, de nouveaux nuages de fumée, de nouvelles gerbes de flammes et aussi les colonnes d'eau des bombes qui tombent le long des cibles ! Toujours le silence sur les quais !

L'artillerie américaine n'a pas encore tiré un seul coup.

 

L'ENFER.

Mais voici qu'apparaissent dans la rade des bâtiments clairs qui se dirigent vers les murailles formées par les bateaux américains, dont quelques-uns sont déjà des épaves. Nos sous-marins spéciaux ! Ils ont réussi à franchir la passe et Ils se précipitent vers leur but comme des brochets affamés sur du fretin.

Ce sont des petits navires montés par deux hommes qui sont mis à flot par un bateau gigogne. Normalement, ces petites unités doivent périr en accomplissant leur mission. En effet, le danger les menace de toutes parts, car elles sont très sensibles au feu de l'ennemi et ne peuvent emporter qu'une minime quantité de carburant. Mais innombrables sont les hommes de la marine qui ont sollicité l'honneur de servir dans cette nouvelle arme.

Le cuirassé de la classe Oklahoma s'enfonce peu à peu dans les flots. Des flots épais d'huile noire se répandent sur la mer et la souillent. La tache de mazout s'élargit rapidement et atteint bien vite le navire voisin, qui sombre peu à peu lui aussi. Au milieu de ces flots d'huile se débattent quelques matelots des navires en perdition. On les voit se lancer par-dessus bord. Mais de nouvelles bombes tombent dans ce chaos infernal.

Maintenant, des torpilles traversent la rade dans toutes les directions. Aucun navire ne peut leur échapper ! L'air est continuellement secoué par le tonnerre des explosions, les hululements des bombes et les détonations sèches des torpilles. Des nuages de fumée rouge s'élèvent des cuirassés et des croiseurs ennemis, que des gerbes de flammes trouent de place en place. Oui, c'est l'enfer !

Tirés de leur profond sommeil les matelots américains cherchent à sauver leur vie. Ici et là, quelques canots s'efforcent de s'éloigner des grosses unités de la flotte du Pacifique, qui offrent à nos regards leurs flancs déchirés.

« Rassemblement pour la nouvelle attaque ! »

L'escadrille décrit un grand orbe. D'autres aviateurs s'attaquent maintenant aux bâtiments de l'Amirauté et aux vastes installations de l'aviation navale. D'immenses incendies ravagent les hangars ; les pistes de départ sont transformées en un champ de cratères. On voit s'effondrer les premières halles. Des gerbes d'acier giclent vers le ciel.

Aucun appareil américain n'a pu prendre l'air, en ce matin tragique, pour tenter d'enrayer notre attaque.

Et où se trouve donc l'artillerie antiaérienne ? Elle n'a pas encore tiré un seul coup. Jusqu'à l'heure présente, l'attaque de nos escadrilles a pu se développer à sa guise, sans que l'ennemi ait esquissé la moindre riposte.

TROIS MINUTES DE L'HISTOIRE DU MONDE.

Je regarde ma montre. II y a exactement trois minutes que notre première attaque a commencé. Trois minutes : de 7 h. 55 à 7 h. 58 ! Depuis trois siècles, l'Histoire n'a pas connu beaucoup d'événements aussi décisifs que celui qui vient de se dérouler dans ces trois minutes historiques !

Chacun de nous pense :

« Même si l'ennemi se ressaisit, même si ses batteries antiaériennes sèment la mort dans nos rangs, il est battu sans rémission. Le coup qui vient de lui être porté pendant ces 180 secondes, il ne s'en remettra jamais, quels que soient les efforts qu'il pourra accomplir dans les années qui suivront ».

L'escadrille a repris sa formation de combat. La nouvelle attaque commence. De nouveau les bombes hurlent en s'abattant sur les colosses en feu, dans l'eau souillée d'huile. De nouveaux incendies ! De nouveaux geisers ! La destruction poursuit son cours.

Maintenant cependant, l'artillerie américaine commence à aboyer. Mais il semble que ceux qui la servent aient perdu la tête, tant leur tir est désordonné. Nous sommes les maîtres indiscutés du champ de bataille.

Nos bombardiers et nos avions-torpilleurs peuvent s'approcher des buts qu'ils se sont assignés, comme un hôte s'approche de la table bien servie. Tout est à notre choix : navires de bataille, porte-avions, croiseurs, pétroliers. Nous pouvons clairement reconnaître le Pennsylvania qui se couche sur le flanc et qui déjà est incliné de 60°. Une colonne de fumée fuse de sa carcasse à la hauteur du premier mât.

De nouveau, les avions-torpilleurs partent à l'assaut. Ils volent à 300 mètres à peine des cuirassés et des croiseurs en flammes. Nos jeunes aviateurs ne se soucient pas de la riposte ennemie. A aucun moment, cette riposte ne réussira à les écarter de leur route. Ils veulent un succès total. Comme, lors de la première attaque, ils ont remarqué que les terribles ébranlements provoqués par les explosions les faisaient dévier, ils volent maintenant beaucoup plus près des cibles. Quelques-uns d'entre eux sont atteints par la canonnade ennemie. Leur appareil capote et les équipages trouvent une mort héroïque. Mais que signifient ces pertes en présence de l'accomplissement d'un devoir aussi glorieux !

Et voici que les dernières bombes de la première escadrille ont été lancées. Je fais un dernier tour du champ de bataille. Au-dessous de moi, près du champ d'aviation de Wheeler et des hangars de Hickham Field, environ deux cents de nos avions de combat poursuivent leur attaque et anéantissent impitoyablement les installations de l'aviation navale de l'ennemi.

Mes appareils se rassemblent pour le retour. Au moment où nous quittons Pearl-Harbour, une nouvelle et forte escadrille aborde à son tour la rade sur laquelle se déchaînent maintenant les batteries antiaériennes américaines. Il lui appartiendra d'achever l’œuvre de destruction que nous avons si bien entamée.

Mais, soudain, des nuages noirs éclatent près de nos appareils. Une batterie salue notre départ. Un de nos avions est atteint en plein par un projectile et s'abat en flammes. Héroïques camarades ! Votre sacrifice n'a pas été inutile.

Ma voix est hésitante au moment d'envoyer par la radio un premier compte rendu à notre porte-avions. Que vais-je dire ? Trois mots suffisent : « Surprise. Attaque. Victoire. »

Devant nous s'ouvre l'étendue de l'océan. Nos moteurs chantent à pleine voix. Bientôt, nous apercevrons notre porte-avions comme un point noir dans l'immensité. Notre tâche est accomplie.

 

LES TORPILLEURS.

Le capitaine de frégate parle maintenant des sous-marins montés par deux hommes qui, dans la phase décisive de la bataille de Pearl-Harbour, ont collaboré avec l’aviation.

Ces embarcations avaient été transportées par un navire-mère jusqu'à environ 50 milles de Pearl-Harbour. Cette mesure était rendue nécessaire par le fait que ces petits bâtiments d'à peine 90 tonnes, ne possèdent qu'un rayon d'action fort limité. Pourtant, grâce à leur puissante machinerie, ils peuvent en surface filer 24 nœuds, alors que les grands sous-marins nippons ne dépassent guère 20 nœuds dans les circonstances les plus favorables.

Le temps était clair. Les bâtiments avaient reçu ordre de pénétrer dans la rade de Pearl-Harbour et de lancer leurs deux torpilles sur les navires de bataille qui s'y trouvaient ancrés. Ces sous-marins à deux hommes ne peuvent pas prendre avec eux plus de deux torpilles. Mais le calibre de celles-ci est d'environ 50 cm. si bien que ces torpilles se différencient fort peu de celles dont sont armées les plus grandes unités. Bien que tous les préparatifs aient été menés à bien dans le plus grand secret et sans être aperçus par l'ennemi, la témérité de l'entreprise restait considérable. Les risques étaient énormes. Le premier de ces petits bâtiments s'en rendit compte quand il rencontra, la veille, à 6 h. 30 du soir, un navire d'avant-poste ennemi qu'il torpilla aussitôt. La chose était indispensable, car s'il avait échappé à son sort, ce bâtiment se serait empressé d'annoncer par radio que des sous-marins inconnus se trouvaient au large de Pearl-Harbour et l'ennemi aurait peut-être pris ses dispositions en conséquence.

Bien entendu, l'étroite passe qui fait communiquer le port de guerre avec l'océan avait été dotée d'un réseau de filets protecteurs et d'autres mesures de sécurité. Mais nous eûmes, là aussi, une grande chance. Nous nous aperçûmes en effet que les Américains disposaient ces défenses à la tombée de la nuit, mais les repliaient dès la levée du jour. C'est ainsi qu'à l'aube nos petits sous-marins réussirent à s'introduire dans le port.

Force leur fut d'attendre ensuite pendant plusieurs heures que l'instant propice à l'attaque fût venu. Les équipages réussirent à tromper leur nervosité au moyen de jeux de patience ou en écrivant des lettres. Plusieurs de ces héros n'allaient jamais revoir la lumière du jour, hormis dans la glace leur périscope, au moment de l'attaque. Mais aucune pensée triste ne les traversa. Seule comptait pour eux l'impatience du devoir à accomplir. Le plus bel exemple que l'on puisse donner de cet esprit de sacrifice est la lettre d'adieu du capitaine Iwasa qui, à vingt-six ans, commandait toute la flottille et qui écrivit ces simples mots :

« Ma volonté d'accomplir mon importante mission est inébranlable. La tâche que je dois mener à bien ouvrira la route au peuple nippon. Si je n'arrivais pas à exécuter mes ordres, je devrais être chassé de la marine pour incapacité. »

Les sous-marins ne purent s'avancer prudemment vers le centre de la rade qu'au moment où les avions apparurent dans le ciel. Auparavant ils auraient couru le risque de se faire découvrir par les détecteurs sonores et le succès de toute l'opération aurait été compromis.

Bientôt, de puissantes détonations retentirent. Le déplacement d'eau provoqué par l'explosion des grosses bombes était si grand qu'il mit en péril les petites embarcations. Mais aucune de celles-ci ne se débarrassa prématurément de ses torpilles. Tous les sous-marins s'approchèrent à environ trois cents mètres des navires ennemis avant de libérer leurs terribles engins de mort.

LE MASSACRE.

Devant le premier sous-marin se trouvait un puissant navire de bataille de classe California. On le reconnaissait à ses catapultes, à ses deux cheminées et à son grand mât en treillis semblable à ceux que tous les cuirassés américains portaient naguère. Le petit bâtiment s'apprêtait à lancer ses torpilles sur cette large cible quand une bombe de gros calibre frappa le cuirassé en son milieu. Une des tourelles blindées et le mât en treillis s'abattirent sur le pont et une rafale de morceaux d'acier mit en péril le frêle sous-marin nippon. Moins d'une minute plus tard, du colosse de 32. 000 tonnes monté par un équipage de 1. 400 hommes, on ne voyait plus émerger que des débris lesquels disparurent bientôt eux-mêmes dans les flots bouillonnants. Les sous-marins continuèrent à s'approcher des bâtiments américains. Le cuirassé West-Virginia avait été frappé par les bombes. Presque au même instant, des torpilles japonaises l'atteignirent par le milieu. Le navire se fendit en deux parties, s'ouvrit comme un fruit, tandis que les tourelles blindées culbutaient dans les flots comme si elles avaient été simplement posées sur les ponts. Quelques remous, et le deuxième navire de bataille avait disparu à son tour.

Quelques-uns des sous-marins spéciaux s'approchèrent si près de leur victime qu'ils se vouèrent eux-mêmes à une inévitable destruction. L'un d'entre eux lança ses deux torpilles sur un croiseur lourd à moins de cent mètres de distance. Quand les engins le touchèrent, le navire fut soulevé à plus de deux mètres au-dessus de l'eau et s'enfonça ensuite dans son élément en provoquant des remous d'ouragan. La violence des deux explosions simultanées dépassa l'imagination : vingt à trente marins américains qui se trouvaient sur le pont du navire au moment de la déflagration furent précipités à une si grande distance que l'un l'eux vint se fracasser le crâne contre les tôles du petit bâtiment nippon.

Les équipages des sous-marins spéciaux avaient reçu l'ordre de ne laisser en aucun cas leur bâtiment tomber entre les mains de l'ennemi. Au cas où il leur était impossible de quitter la rade, ils devaient anéantir leur engin. Dans ce but, chaque équipage avait été muni d'une charge spéciale d'explosifs.

***

Tels sont les récits des témoins oculaires de Pearl-Harbour. Dès les premiers communiqués, l'opinion mondiale sut, en dépit de toutes les manœuvres d'étouffement du président Roosevelt, qu'une victoire décisive avait été remportée par le Japon dans la guerre du Pacifique. Mais l'ampleur de cette victoire ne fut connue que le 18 décembre, quand après avoir soumis tous les rapports à une vérification minutieuse, l'Amirauté japonaise fit connaître exactement les pertes infligées aux Yankees.

On, sait ainsi que le matin du 8 décembre 1941, à Pearl-Harbour, cinq navires de bataille, deux croiseurs lourds et un pétrolier furent coulés. D'autre part, trois navires de bataille, deux croiseurs légers et deux destroyers furent si gravement avariés qu'il est impossible d'envisager encore leur remise en état. Enfin, un navire de bataille et quatre bâtiments de la classe « B » subirent de lourdes avaries et devront faire un long séjour dans les chantiers de réparation. Il faut ajouter que les bombes lancées sur les champs d'aviation dans les environs de Pearl Harbour anéantirent 450 avions et 10 grands hangars.

FIN

Le 26 décembre 1941, Gringoire annonçait en manchette : Le Désastre américain des Hawaï, révélant la victoire japonaise que, depuis quinze jours, les communiqués du gouvernement américain et les émissions Radio-Synagogue s’efforçaient de dissimuler.