Chronique

Les Unes illustrées de La Lumière, journal de gauche des années trente

le 02/04/2024 par Anne Mathieu
le 28/03/2024 par Anne Mathieu - modifié le 02/04/2024

Grand hebdomadaire « d’action républicaine » de l’entre-deux-guerres, La Lumière fut à l’avant-garde de l’illustration politique et satirique de son temps. Le mordant et l’acide ironie de ses dessins en première page nous interpellent encore, presque cent ans après.

C’est avec ce dessin pleine page que la rédaction de La Lumière annonce son changement de format. Il est signé de Jean Carlu (1900-1997), affichiste, peintre, graphiste et architecte.

Depuis sa création le 14 mai 1927, l’« hebdomadaire d’éducation civique et d’action républicaine » dirigé par Georges Boris (1888-1938) a connu d’autres modifications de mise en page. Mais le dessin y a toujours occupé une place de choix – même s’il fut moins convié au début de la décennie 1930. Commentant à sa façon l’actualité, il y est sans conteste un attribut constitutif de l’hebdomadaire, et en tout cas de sa Une. Il offre une autre tonalité à sa mise en page somme toute austère et sans graphisme particulier. Enfin, il est certainement attendu, au regard de la place qui lui est dédiée et des illustrateurs célèbres qui y exercent leur talent.

On y relève par exemple la signature de Lucien Laforge (1889-1952), dont Michel Dixmier nous informe – dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social, dit « Le Maitron » – qu’il fut, dans l’entre-deux-guerres, l’« un des rares dessinateurs à avoir su exprimer dans la presse des réalités plus fortes que les événements du jour ».

On y relève notamment, aussi, celle de Polferjac (1900-1979, de son vrai nom Paul Ferjac), célèbre illustrateur politique de l’entre-deux-guerres, qui travaille « dans de nombreux journaux, principalement ceux de la gauche non communiste », précise le même Michel Dixmier. Les titres auxquels Polferjac collabore sont en effet nombreux, du Peuple à L’Œuvre, en passant par Le Libertaire, Marianne ou Vendredi, etc.

Les dessins épousent bien entendu la ligne éditoriale de l’hebdomadaire La Lumière, et Polferjac va contribuer à revendiquer son anti-hitlérisme :

Tout comme son confrère Henri-Paul Gassier (1883-1951), co-fondateur du Canard enchaîné (dont il s’est séparé ensuite), et lui aussi collaborateur à de nombreux périodiques, dont notamment Le Journal, Paris-Soir, Le Petit Parisien ou Le Populaire, etc. Regardons par exemple son dessin en Une du numéro du 17 juin 1933 :

Henri-Paul Gassier est le collaborateur le plus récurrent de La Lumière, et il est même un temps celui attitré de sa Une, ainsi que l’on peut en avoir une idée dans le document ci-dessus.

Le 7 janvier 1933, il a « présent[é] ses vœux aux lecteurs de La Lumière et leur [a] annonc[é] sa collaboration régulière », encadré jouxtant un dessin pleine page signé de sa main que l’on retrouve de façon identique pendant un peu plus d’un an. Lors du changement de format annoncé dans l’édition du 12 mai 1934, les dessins retrouveront la place qu’ils occupaient antérieurement, mais sans abandonner l’illustrateur vedette de l’hebdomadaire.

Un illustrateur qui brocarde, par exemple, le chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères Pierre Laval en octobre 1935 pour son allégeance envers Mussolini, offrant ainsi quelques sourires en ces temps graves du conflit italo-éthiopien :

La Lumière est en outre un hebdomadaire qui prône le pacifisme, dimension que les dessins de Polferjac vont particulièrement épouser, ainsi que l’on peut le constater en considérant la Une suivante :

L’engagement pacifiste est l’occasion début 1932 de s’offrir, une fois n’est pas coutume, un photomontage. Cette pratique avant-gardiste est usitée de temps à autres par des hebdomadaires de la gauche française à cette période. « Pour le désarmement », s’intitule celui choisi – commandé ? – par La Lumière et signé d’André Vigneau (1892-1968) pour la photo et de Jean Carlu pour le dessin.

Les photos sont d’ailleurs extrêmement rares, et sont principalement présentes dans le cas des portraits. Elles sont conviées – même si de manière sporadique – significativement au moment de la Guerre d’Espagne (29 août 1936, 15 mai 1937, 22 mai 1937).

Si les Unes de La Lumière tiennent une place dans l’histoire des périodiques de l’entre-deux-guerres, c’est grâce à leurs illustrateurs qui leur donnèrent une tonalité politique qui ne s’embarrassait pas de précaution et qui pratiquait avec une subtile aisance le sarcasme. Nombre des dessins qui les ornèrent ont d’ailleurs passé avec succès les décennies, grâce au trait exceptionnel de leurs auteurs et à la force de l’expression politique qu’ils y injectaient. Le suivant, signé Gassier, en est un des exemples, parmi de nombreux autres :