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Journal des débats politiques et littéraires, 13 novembre 1835

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Journal des débats politiques et littéraires
13 novembre 1835


Extrait du journal

Nous aurions pu penser qu'abattue par tant de malheurs, écrasée par tant de désastres, la Pologne a enfin abdiqué son indépen dance et que la nationalité polonaise n'a plus de sens que dansl'his toire. Détrompons-nous !la Pologne n'a point oublié qu'elle est une nation indépendante et libre ; la Pologne n'a point abjuré le culte de sa nationalité ! elle a encore foi en elle-même. Ce ne sont pas seulement ses exilés qui croient àsa résurrection. A Varsovie même, sous le joug moscovite, en face de leurs canons, devant leurs supplices, la Pologne! mot divin et sacré, conserve un culte; elle a ses adorateurs d'autant plus fervens qu'ils sont plus près d'être martyrs. Elle s'opiniàtrc à attendre son messie de délivrance et de victoire. C'est en vain que pour épouvanter ces dévots à la patrie et à l'honneur, on leur dit qu'il y a une citadelle et des foudres toutes allumées qui vont détruire leur cité s'ils ne sacri fient pas sur l'autel de la Russie : ils s'obstinent dans leur piété na tionale : les Polonais ne veulent pas être Russes ; c'est l'Empereur de Russie qui le dit et qui l'atteste. Nous aurions pu penser que la police russe , vigilante et soup çonneuse comme elle l'est, interdisait àla Pologne toute commu nication avec l'étranger; nous aurions pu penser que ies exilés ne pouvaient plus correspondre avec leurs parcns et leurs amis ; qu'ils ne pouvaient plus leur envoyer les écrits qui peuvent relever leurs espérances et consoler leur misère. C'était un sujet de tristesse que ce séquestre de la vérité étendu sur toute la Pologne ; c'était une chose pénible de penser que sur celte terre si sonore jadis aux mots de liberté et de gloire, il n'y avait plus d'échos et que tout était immobile et sourd. Qnq deviendrons, disions-nous , les géné rations à venir, élevées dans l'ignorance de leurs aïeux, de ce qu'ils ont souffert et de ce qu'ils ont voulu ? L'Empereur Nicolas prend soin de rassurer l'Europe à cet égard en lui communiquant quel ques extraits de ses rapports de police. 11 en résulte que la Pologne correspond encore avec l'étranger ; que la meilleure police du monde, la police russe, ne peut pas empêcher ce commerce clandes tin , et que les frontières de la Pologne , faites comme elles sont ', conspirent patriotiquementavec les cœurs des Polonais pour rester accessibles, en dépit de la police russe, aux cris d'espérance et de consolation qui arrivent du dehors. Tel est donc l'état de la Pologne, d'après l'Empereur Nicolas ; elle n'est ni soumise, ni repentante; elle n'a point abjuré ses idées d'indépendance, et malgré là police russe, elle correspond avec l'étéanger. Nous ne voyons dans tout cela rien qui puisse effrayer l'Europe ou décourager ies exilés polonais, et comme les injures et les menaces qui sont mêlées à cet aveu n'ont rien de séduisant ni de conciliatoire, nous n'y voyons rien non pins qui puisse faire des partisans à la Russie sur le sol de la Pologne. Encore une fois, qu'a donc voulu l'Empereur Nicolas? Quelles qu'aient pu être, au surplus, les intentions de ce prince, nous croyons que la pplogpe doit lui rendre grâce du témoignage solennel qu'il vient de lui rendré. Nous ne doutons même pas que les députés de Varsovie, s'ils avaient pu lui répondre en tome fran chise , ne l'eussent remercié de lés avoir dispensés de leur harangue, Nous aurions menti, en effet, auraient-ils pu lui dire, nous aurions menti en vous nommant notre souverain. Vous ne l'êtes que par la force, et la force peut défaire ce qu'elle a fait. Nous aurions menti en nous disant vos sujets : nous ne le sommes pas ; car nous ne sommes et ne voulons pas être. Russes. Nous sommes Polonais ; nous sommes une nation indépendante, reconnue encore, à l'heure qu'il est, par l'Europe, aux termes des traités qu'elle a signés. Nous avons été trois fois égorgés, trois fois démembrés, mais nous n'avons jamais acquiescé à notre ruine, et nous avons gardé la conscience de notre droit. Cette conscience de notre droit, Sire, vous l'avez aussi, sous la forme du remords, et voilà pourquoi, depuis trente ans, tantôt par la paix et ses ruses, tantôt par la guerre et ses violences, vous cherchez à écraser notre nation. Aujourd'hui vous nous dites que c'est un bouheur d'appartenir à la Russie, et qu'elle seule reste ferme et intacte. Nous ne connais sons le bonheiw d'être Russes que par le massacre de nos frères, par l'incendie de nos campagnes et par les menaces de destruction qui viennent de sortir encore tout-à-l'heure de votre bouche. Quant à la solidité de la Russie, nous savons qu'étant en petit nombre , mal équipés et mal armés, nous avons ébranlé pendant un an votre empire, et que les palpitations de notre défaite troublent encore votre puissance, et font qu'en nous parlant vous perdez le sang froid et la modération qui est l'attribut des monarques. Nous son gerons à vos paroles, comme vous nous ordonnez de le faire; mais ce sera surtout pour remercier le Ciel de vous les avoir mises dans la bouche, en substituant nos sentimens à nos discours et la vérité au mensonge. Cette vérité, Sire, si consolante pour nos frères exi lés, si honorable pour nous, si grave pour l'Europe, vous étiez le senl qui de Varsovie pouviez la dire, sans être aussitôt puni par les bourreaux de la Russie....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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