Extrait du journal

Elle est faite actuellement de tristesse et de nuit... _ Il semble que ce soit «son heure», l’heure des ailes repliées, et du retour morose au nid déserté des espoirs. Pendant des siècles elle a plané, trop orgueilleuse peut-être de son envol altier sur les cimes. Aujourd’hui, elle est descendue comme un oiseau fatigué qui fuit devant l’orage, et abrite sa poésie au coin terreux d’un sillon. Et autour d’elle, maintenant, on plai sante, on ricane... on nie l’azur où ses ailes mouillées ne peuvent plus atteindre... Mais elle rêve toujours du soleil; elle songe quand même au rayon qui l’échaufferait de son baiser ardent... elle se souvient d'hier et, par-dessus le présent baineux, elle cherche anxieusement ce que sera demain... Sera-t-il le renouveau..? Sera-t-il le définitif hiver..? Sera-t-il cet inconnu mystérieux quis'est levé parfois, de toutes pièces, aux grands tournants de l’Histoire?.. De quoi es-tu fait, ô Avenir..? et que sortira-t-iL de ce creuset où, dans une orgie de liberté, l’humanité brasse aujourd'hui toutes les idées, toutes les opinions et toutes les folies..? —o— L’âme moderne est triste dans son intel ligence assombrie de doutes, meurtrie du scepticisme de ceux qui ont beaucoup vécu. De tous les côtés, elle assiste à la défaite de ce qui lui fut cher... à la montée dédai gneuse des couches nouvelles. — Penser que tu as pu croire en Dieu !.. Ah!.. Ah H. Ah!!. — Penser que tu as pu déifier le Christ!.. Ah!.. Ah!!. Ah H. — Penser que, pauvre don Quichotte de l’Idée, tu as marché i l’Etoile pendant des siècles, ne voulant pas croire que le bon heur était à tes pieds, qu’il te souriait... qu’il te tendait les bras, et que c’était une bêtise de ne pas se baisser pour le ramasser, fût-il dans la boue!. Penser que tu as jeté dans les airs la prière des clochers... édifié des couvents... peint des vitraux... sculpté amoureusement des tabernacles pour faire un nid à l’Idée!... Et qu’apfès lui avoir tout sacrifié, jusqu’aux battements les plus légitimes de ton cœur, il s’est trouvé que l’Idée était un mythe, et que tu t’étais nourrie de toi-même, adorant ton rêve dans une inconsciente idolâtrie !.. L’âme moderne est triste en son cœur, car la vie la froisse dans ses susceptibilités les plus saintes, et elle semble se heurter à une ironie perpétuelle des événements. Elle a tant souffert à ce point de vue depuis un siècle... elle fut tant humiliée, qu’elle ressemble à ces malheureux qui éprouvent la honte de leur propre misère, qui ont comme le respect humain d’espérer encore f. Où est l’Espagne.. ? Où est la Pologne.. ? l’Autriche.. ? l’Irlande.. ? la France.. ? Il semble même que l’âme latine porte malheur à ses amis, comme ces joueurs qui ont la déveine noire, obstinée, conta gieuse. Où es-tu, pauvre vieux Krüger, avec ta foi robuste en ta Bible.. ? Ou es-tu, Makharoff, emportant sur ton front le baiser du prêtre Jean, et, dans tes bras, l’icône sainte.. ? Dans les deux continents, on constate cette tristesse qui s’étend comme un suaire sur des souvenirs, et l’on s’en fait une arme de plus... L’âme latine n’est plus en avant, ni même sur les côtés... elle marche en arrière, pleureuse du cortège qui traîne les ruines de ses espoirs ; et, comme les pré toriens riaient du Christ vaincu, un roseau & la main, on rit de l’âme latine où s’était complu et comme incarnée l’idée chré tienne : « C’est également un roseau, dit-on, que sa puissance, et elle doit avoir vu son dernier matin !» Et alors dans la presse, dans les confé...