Extrait du journal

Ce n’était pas un château. C’était une bonne et confortable maison, très française d’aspect, si tuée au milieu d’un parc de plu sieurs hectares. Elle n’avait pas été, dès l’origine, telle qu’on la voit aujourd’hui, et si bellement encadrée. L’arrière-grand-père, pas riche, avait acheté d’abord le terrain, et à dix sous le mètre !.. Heureuse époque ! Il l’avait acheté, en homme d’ex périence, pour la sécurité profonde que donne la terre. Et puis, il avait le désir tenace de donner une assiette à sa race... La terre appelle toujours... C’est le contrepoids..., le refuge..., l’asile suprême, après celui des bras de Dieu. « Sur cette terre, il avait, au bout de la binette, planté du plant fores tier, à 3 francs le cent !.. C’était dans ses prix... Des ormes, des hêtres, des tilleuls, des chênes, des érables, des platanes..., tous, amis de l’homme* Puis, il avait mis des5 pom miers, tous les pommiers L Parce que, la pomme, cela se conserve d’une année sur l’autre. Et on ne sait jamais ce qui peut arriver. Quand on. a des pommes, et des pommes de terre, on est sauvé pour une année. Et, après, il bâtit la maison, trapue, carrée, aux murs épais, avec de larges portes-fenêtres. Une maison pour les sièoles des siècles !.. La maison !.. Ensuite, content de son œuvre, il mourut, ayant fait tout ce qu’il pouvait pour assurer l’avenir. Le grand-père lui succéda Lui, c’était un blond..., un artiste. Il s’assigna l’intéressant travail de répandre de la beauté sur le gros œuvre édiûé par les mains rudes du père. Dans le parc, il fit des chemins creux, bordés de rooailles et de fougères. Il créa des oppositions avec des arbres de couleur... Des blancheurs de « négundo » éclatèrent sur le fond sombre des hêtres pourpres. Des cèdres bleus atlanttca gîauca pendula versèrent l’azur robuste de leurs frondaisons dans l’azur aérien du ciel Il tapissa les murs de clématites, de vignes vierges et d’espaliers. Il collectionna les roses sur des pergolas, et fit éclore des nym phéas dans l’étang. Puis, content de son œuvre, lui aussi, il mourut, un soir de juillet, sur sa terrasse, au milieu de la beauté qu’il avait, pour ses descen dants, amoureusement suscitée. « Son fils lui succéda dans la même terre, et dans le même amour. La famille était devenue nom breuse. Il ajouta deux ailes à la mai son-., deux ailes qui la firent plus grande..., plus élégante. Chaque année, davantage, la maison remplissait le rôle pour lequel elle avait été bâtie. Elle était un centre vers lequel convergeaient les pensées et les cœurs. Pendant huit mois de sur menage parisien, on vivait dans l’espoir de se retrouver là..., les jeunes ménages à côté des an ciens... Les tout petits, récemment débarqués sur la planète, arri vaient tout pâlots, et repartaient comme des pommes d’api. Les vieux trouvaient une dou ceur infinie à se reposer dans le cadre aimé de leur enfance, et tout enveloppés dans le souvenir de tant de souvenirs !.. « Parfois, en riant, parce qu’il croyait bien que c’était là une idée impossible, une supposition in vraisemblable, le père disait à ses enfants : — Si jamais l’un d’entre vous vend la maison, je reviendrai, la nuit, lui tirer les pieds !.. Les enfants haussaient les épaules : Vendre la maison ?... Allons donc !.. Et, à son tour, après avoir, lui aussi, « œuvré » dans le sens de toute sa race, le père vient de mourir. * Or, cette semaine, j’ai reçu la visite de l’aîné de ses enfants. Brusquement, il m’a demandé, à moi, vieil ami de la famille : — Connaissez - vous quelqu’un qui achèterait la maison ? — La maison !.. Votre maison.. ? — Oui..., notre maison... — Mais !.. — Oh !.. je sais tout ce que vous allez me dire... II se laissa tomber sur une chaise et se mit à pleurer... Je le regardais, ne sachant que répondre à une aussi boulever sante question. * Tout en s’essuyant les yeux, il m’expliqua ;...