Extrait du journal

Ignores-tu que tous les hommes ont au fond du cœur lé désir d'être heureux ? et crois-tu que le sentimènt d'un sombre devoir me fasse haget dans les délices ? « Tiéns ! juge de mon martyre. J'aime éperdûment, depuis cinq ans, une femme que son rang dans le monde place aussi loin de moi que le ciel l'est de là terre. Ayant toujours re gardé comme impossible qu'elle eût seulement un regard de compassion pour moi, je me suis rattaché à l'enthousiasme de ma souffrance, de ma pauvreté, do ma nullité forcée parmi les hommes. C'est avec une sorte d'amertume que j'ai résolu de" ne point imiter ceux qui veulent parvenir, et qui s'exposent" à être bafoués en haut et en -bas. Si j'étais de ceux< là, pensais-je, un jour viendrait peut-être où je pourrais porter galamment à mes lèvres la main de celle que j'adore. Mais dès que j'ou vrirais la bouche pour trahir le mystère de ma passion, je serais sans doute repoussé, raillé, foulé aux pieds; j'aime mieux rester 'perdu dans • la poussière de mon métier, et ne jamais éle ver jusqu'à elle des prétentions insensées. J'ai me mieux qu'elle croie à jamais impossible uhe; aspiration de moi vers elle ! Au moins, sous la; livrée de l'ouvrier, elle respectera ma souffran ce ignorée; elle ne l'envenimera point en la', découvrant, en rougissant dé l'avoir inspirée, en croyant nécessaire de s'en préserver. A l'heure qu'il est, elle passe près de moi, comme à côté d'uné chose qui lui est in différente, mais qu'elle ne se croirait pas le droite* d'insulter et de briser. Elle me salue, nie sourit et me parle comme à un être d'une autre nature que la sienne : il n'y paraît point, mais cet instinct est en elle, je le sens et m'en rends compte. Du moins elle ne songe pas à m'humilier, elle ne le voudrait j>as ; et, moins j'ai l'orgueil de lui'plaire, moins...