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Le Figaro, 10 avril 1896

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Le Figaro
10 avril 1896


Extrait du journal

dents de Toulon et de La Ciotat. Aussi, peut-on en toute bonne foi se demander s'il estpossible qu'en si peu de temps un homme Change à ce point et si, véritable ment, le Président, manquant à un passé qui l'honore, a fait peau neuve et s'est métamorphosé. Rien n'a plus contribué à le faire croire, indépendamment du langage in téressé des radicaux, si" compromettant pour lui, que l'attitude qu'il a cru devoir prendre après le vote récent par lequel le Sénat a refusé sa confiance au minis tère. Mais, ici encore, il est permis de se demander si le public a connu tout ce qui s'est passé et si les incidents portés à sa connaissance n'ont pas été dénaturés. On sait qu'à l'issue de la séance séna toriale où les ministres avaient été l'ob jet d'un blâme éclatant, ils se réuni rent au quai d'Orsay pour délibérer. Des sénateurs et des députés se joignirent à eux et on examina ce qu'il y avait à faire. Les uns opinèrent pour la retraite du cabinet, les autres pour: son maintien. Finalement, ceux-ci l'emportèrent. Les; plus audacieux l'emportent toujours! A l'unanimité, les ministres décidè rent de rester. M. Bourgeois quitta la réunion aussitôt pour se rendre à l'Elysée, non, comme on l'a dit, dans le dessein de consulter le Président de la République, mais uniquement afin de lui faire connaître la. décision qui venait d'être prise. L'entrevue dura trois quarts d'heure. M. Bourgeois évita de solliciter l'opinion de M. Félix Faure qui se contenta de répondre: — Vous ne vous êtes pas dissimulé, sans doute, la gravité de votre résolu tion? M. Bourgeois exposa alors les raisons sous l'empire desquelles le ministère s'était déterminé à conserver le pouvoir: la majorité qu'il avait dans la Chambre des députés, la pratique constante des pays parlementaires, de l'Angleterre notamment où la Chambre des lords n'a pas qualité pour renverser le cabinet, la certitude 'où il était de conserver, grâce au vote antérieur des députés, assez d'autorité pour mener à bonne fin les négociations nécessitées ■ par les événe ments extérieurs. A ces raisons, M. Félix Faure aurait pu en opposer de non moins bonnes, tirées non peut-être du texte rigoureux de la Constitution,, mais des convenances, et surtout de l'impossibilité dans laquelle allait se trouver le cabinet de gouverner. On ne gouverne pas avec une seule As semblée et contre l'autre. Ces raisons, H ne les donna pas à M. Bourgeois. Il le laissa partir-sans-essayer de.lui prouver que les ministres étaient t$nus de se dé mettre. Il se préoccupa seulement de ne pas laisser s'accréditer- qu'il .avait été, consulté et qu'il s'était; rangé. à l'opinion' de M. Bourgeois. La. note qui,parut à cet" effet, le lendemain, cette note qui fut à tort attribuée à M. Bourgeois et considé rée comme une impertinence volontaire de sa part envers le chef de l'Etat, avait été rédigée à l'Elysée, et c'est à la de mande expresse du Président que lé mi nistre. de l'intérieur la communiqua à l'Agence Havas. Ces incidents ont été racontés à diverses personnes et nous ne croyons pas trahir un secret en les divulgant. Reste maintenant la question de sa voir si le Président de la République, à supposer que la Constitution lui don nât le droit d'exiger la démission du ca binet, eut tort ou raison de ne pas l'exi ger. Pour y répondre, il faudrait con naître et pouvoir apprécier les motifs dont s'inspira sa conduite, et ces motifs nous les ignorons. Il n'y a de notoire qu'un fait. Mais il a son importance. Plusieurs membres du parti modéré, et non des moins qualifiés, avaient été d'avis que M. Félix Faure devait en cette cir constance se garder de faire « un coup présidentiel ». — Il ne trouverait personne parmi nous pour prendre-le pouvoir en de telles conditions, avait formellement dé claré l'un d'eux. Si ces propos sont arrivés au Président de la République, on reconnaîtra qu'ils étaient de nature à le faire réfléchir. On, ne saurait le blâmer de n'avoir pas voulu rester isolé -après avoir accom pli un acte aussi grave, presque un coup d'Etat. D'autre part, s'il est vrai que la gravité de la situation extérieure, avouée devant les Chambres par M. Bourgeois et dont le Président avait les preuves dans les mains, lui conseillait de promptes et énergiques décisions, il est également vrai que l'interruption des négociations diplomatiques par suite des vacances de Pâques atténuait un peu cette gravité. Il n'y avait pas péril en la demeure. M. de Courcel, notre ambassadeur à Londres, qui, soit dit en passant, n'a pas donné sa démission, se trouvait à Paris. M. de Montebello, notre ambassadeur enRussiè, se préparait à prendre un congé et à venir en France ; il y est arrivé depuis. Lord Salisbury était dans le Midi. Le baron de Mohrenheim devait s'y rendre. Il était donc certain que, durant quelques jours, les pourparlers allaient être sus pendus de tous côtés. C'était un répit qui permettait au Président de ne rien précipiter. Peut-être aussi eut-il peur de créer un précédent dangereux. Contestable ou non, la théorie qui attribue au Sénat le droit de renverser les cabinets est une arme à double tranchant. Quand on s'en serait servi contre un ministère radical, ne serait-on pas tenté de s'en servir con tre un ministère modéré,et l'usage qu'on en aurait fait en une circonstance en le déclarant légitime pourrait-il cesser de l'être dans une autre ? C'était là une grave considération. Si le Président de la République l'a envisagée, elle suffirait a justifier son attitude. Faut-il conclure, cependant, de ce qui précède que, tant que le ministère Bourgeois sera, assez habile oour se...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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