Écho de presse

Évariste Galois, le génie des mathématiques mort en duel à 20 ans

le 16/05/2024 par Pierre Ancery
le 07/05/2024 par Pierre Ancery - modifié le 16/05/2024

Véritable prodige des mathématiques, Évariste Galois connut la fièvre révolutionnaire de 1830 et la prison, croisa Nerval et Dumas, et mourut en duel au pistolet à l’âge de vingt ans. L’importance de ses travaux, parmi les plus décisifs du XIXe siècle, ne fut comprise qu’après sa mort.   

30 mai 1832, à Paris. Touché lors d’un duel au pistolet, un jeune homme de vingt ans est transporté d’urgence à l’hôpital Cochin, où il meurt de ses blessures. Son nom :  Évariste Galois. Personne ne le sait encore, mais les travaux qu’il laisse derrière lui vont révolutionner l’histoire des mathématiques. Son destin tragique, lui, le fera comparer à Rimbaud ou à Lautréamont.

Né en 1811, à Bourg-la-Reine, le jeune Évariste montre très tôt des dispositions exceptionnelles dans la matière qui lui vaudra de passer à la postérité. D’abord élève au lycée Louis-le-Grand, à Paris, Galois échoue deux fois, en 1828 et 1829, au concours d’entrée de l’École polytechnique. En 1829, il publie un premier article démontrant un théorème sur les fractions continues périodiques, puis entre à l’École normale.

Lorsqu’il rédige le résultat de ses recherches  et le présente en février 1830 à l’Académie des sciences, en vue de concourir pour le grand prix des mathématiques, son travail (Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux) est perdu. Un nouvel échec qui provoque chez le jeune homme une grande amertume.

Toujours en 1830, il se plonge alors dans la lutte politique. Alors que le mois de juillet voit la chute de Charles X, Galois affiche ses convictions républicaines et se fait renvoyer par l’École normale. En juin 1831, son nom va apparaître dans les journaux après un événement survenu le mois précédent lors d’un banquet républicain au restaurant Aux vendanges de Bourgogne, que raconte Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 juin :  

« L'acte d'accusation renferme les faits suivants : Le 9 mai dernier, une réunion de 200 personnes s'assembla au restaurant des Vendanges de Bourgogne, faubourg du Temple [...].

C'est au milieu de cette réunion qu’Évariste Gallois [sic] se leva , et dit à haute voix, de son propre aveu : à Louis-Philippe ! en tenant un poignard à la main [...]. »

Présent au banquet, le futur auteur des Trois mousquetaires Alexandre Dumas racontera l’anecdote dans ses Mémoires, publiées par La Presse en 1853 :

« Un jeune homme, tenant de la même main son verre levé et un couteau-poignard ouvert, s'efforçait de se faire entendre. C'était Evariste Gallois, lequel fut, depuis, tué en duel par Pascheux d'Herbinville [...]. Evariste Gallois avait vingt-trois ou vingt-quatre ans à peine à cette époque ; c'était un de nos plus ardents républicains.

Le bruit était tel, que la cause de ce bruit était devenue incompréhensible. Ce que j'entrevoyais dans tout cela, c'est qu'il y avait menace ; que le nom de Louis-Philippe avait été prononcé, — et ce couteau ouvert disait clairement à quelle intention. »

Galois est jugé pour incitation au régicide. Le Journal des débats du 16 juin retranscrit l’échange entre Galois et le juge, au terme duquel le jeune homme est finalement acquitté. Mais le 14 juillet 1831, lors de la commémoration (non autorisée) de la prise de la Bastille, Galois est à nouveau arrêté. Le Moniteur universel, organe du gouvernement, relate les faits :

« Vers midi , une troupe de jeunes gens débouchant par la rue de Thionville, prit aussi la direction de la place du Châtelet. Un homme revêtu à tort , on n’en doute pas, de l’uniforme de la garde nationale, et deux autres, habillés en artilleurs, paraissaient les diriger ; mais ces meneurs ont été arrêtés sur le Pont-Neuf, et les étudiants ont été dispersés. Leur découragement était visible.

L’un de ces artilleurs était le sieur Gallois , acquitté récemment par le jury, sur le fait d’un toast porté, le poignard à la main, dans le banquet des Vendanges de Bourgogne ; il était armé d’un mousqueton chargé, et muni de cartouches. »

Galois est alors enfermé à Sainte-Pélagie, où il croise Gérard de Nerval et François-Vincent Raspail. Il est libéré au printemps 1832. C’est alors que survient événement  qui scelle son destin : le duel qui l’oppose à l’un de ses amis et provoque sa mort, annoncée le lendemain par Le Temps.

« M. Evariste Gallois a été apporté ce matin , à neuf heures et demi, à l’hospice Cochin, gravement blessé dans un duel au pistolet, et y est mort quelque temps après son arrivée. »

Sur l’identité de son adversaire (un de ses amis ?), comme sur la cause du duel (une rivalité amoureuse ?), le mystère reste aujourd’hui encore à peu près entier. Pourtant, très vite, certains journaux livrent des détails, comme Le Sémaphore de Marseille, mais les inexactitudes du texte laissent planer le doute sur la véracité des informations délivrées par le quotidien :

« On dit qu’une affaire de femmes a été la cause du combat. Le pistolet étant l’arme choisie par les deux adversaires, ils ont trouvé trop dur pour leur ancienne amitié d’avoir à viser l’un sur l’autre, et ils se sont remis à l’aveugle décision du sort. A bout portant chacun d’eux a été armé d’un pistolet et a fait feu.

Une seule de ces armes était chargée. Galois a été percé d’outre en outre par la balle de son adversaire [...]. Il était âgé de 22 ans. L. D., son adversaire, est un peu plus jeune encore. »

La courte vie d’Évariste Galois serait toutefois aujourd’hui complètement oubliée s’il n’avait laissé, avant de mourir, une contribution décisive au développement des mathématiques modernes, faisant de lui le mathématicien français le plus important du XIXe siècle. Révolutionnaire, sa théorie des groupes va en effet ouvrir la voie à une « nouvelle » algèbre.

En 1843, Liouville annonce à l’Académie des sciences avoir retrouvé dans les papiers de Galois une solution au problème de la résolubilité des équations par radicaux. A partir des années 1850, les théories de Galois sont largement diffusées et influencent de nombreux travaux de mathématiciens.

Parallèlement, sa fin cruelle va ancrer le personnage dans les consciences comme un génie « maudit ». A la fin du siècle, son nom comme sa destinée tragique ne sont plus inconnus du grand public. En 1898, L’Aurore présente ainsi une vision très romantique de Galois, érigé en véritable martyr d’institutions aveugles à son génie :

« Evariste Gallois, né en 1812, est mort à vingt ans, martyr de l'Université. Dès l'âge de dix-sept ans, il présenta à l'Institut un mémoire qui devait révolutionner toutes les conceptions mathématiques des siècles précédents. Ce mémoire ne fut même pas lu [...].

Après sa mort, ce fut grâce à des savants étrangers, Gauss et Jacobi, à qui ses œuvres furent communiquées, selon ses dernières volontés, qu'on reconnut enfin en lui le génie dont les idées sont maintenant la base des progrès de l'Analyse mathématique et servirent à plus d’un à escalader l'Institut. N'est-ce pas le cas de répéter à nos académiciens l’évangélique parole : "Vous bâtissez des tombeaux aux prophètes et ce sont vos pères qui les ont tués."

Inutile d'ajouter, n'est-ce pas, que Gallois, martyr de la science et des idées républicaines, attendra longtemps sa statue. »

En 1908, Le Figaro, dans un long portrait paru dans le supplément littéraire du journal, publie des extraits de l’ultime lettre que Galois rédigea, la nuit avant sa mort - lettre qui contenait un résumé de ses recherches en mathématiques et présentée par le quotidien comme une œuvre « admirable, jeune et triste ». Galois écrit :

« De toutes les connaissances, on sait que l'analyse pure est la plus immatérielle, la plus éminemment logique, la seule qui n'emprunte rien aux manifestations des sens. Beaucoup en concluent qu'elle est, dans son ensemble, la plus méthodique et la mieux coordonnée. Mais c'est erreur [...].

Tout cela étonnera fort les gens du monde, qui en général ont pris le mot Mathématique pour synonyme de régulier. Toutefois, ici comme ailleurs, la science est l'œuvre de l'esprit humain, qui est plutôt destiné à étudier qu'à connaître, à chercher qu'à trouver la vérité. »

En 1937, cette vision quasi rimbaldienne d’un Galois « maudit » était encore reprise par le journal radical La Lumière, qui le qualifiait de « savant génial et combattant républicain ». Idem en 1948 dans les colonnes du socialiste Gavroche, qui titrait :

« Évariste Galois, vainqueur des mathématiques, victime du romantisme ».

Sa théorie des groupes (aujourd’hui appelée Théorie de Galois) représente désormais une branche fondamentale des mathématiques.

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Pour en savoir plus :

Caroline Ehrhardt, Évariste Galois : La fabrication d’une icône mathématique, Éditions de l’EHESS, 2011

Norbert Verdier, Évariste Galois : le mathématicien maudit, Belin, 2011

François-Henri Désérable, Évariste (roman), Gallimard, 2015