Carte Blanche

Pierre et Olivier Villepreux : « À l’origine, les journalistes étaient eux-mêmes des sportifs »

Carte blanche à Pierre et Olivier Villepreux sur RetroNews - source photographie : copyright Pierre et Olivier Villepreux

Le premier a été joueur de rugby, sélectionneur du XV de France, puis enseignant et théoricien du rugby français. Le second est journaliste et auteur, ancien collaborateur de L’Équipe. À quelques mois de la Coupe du monde de Rugby, RetroNews rencontre les Villepreux père et fils, et leur donne carte blanche pour nous offrir un regard croisé sur l’histoire du sport à travers les archives de presse.

LES CARTES BLANCHES RETRONEWS

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Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

RetroNews : Pour cette carte blanche, nous vous avons invités à plonger dans les archives de la presse française. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette proposition ?

Olivier Villepreux : Cette proposition entrait en résonance avec la culture du sport qui est la mienne – une culture plutôt littéraire et historique : ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui a conduit à la définition du sport tel qu’on le connaît aujourd’hui, davantage que son expression contemporaine.

La culture du sport est plurielle, et j’ai retrouvé dans les archives de la presse les différents courants qui se sont développés en France et à l’étranger : d’un côté une conception populaire – qui fait du sport un élément constitutif de la société et vise notamment l’épanouissement de la jeunesse –, de l’autre une conception élitiste, héritée du XIXe siècle, réservant le sport à ceux qui ont le temps et le loisir de se lancer dans des compétitions. Ce deuxième courant est très présent dans la presse au tournant des XIXe et XXe siècle : ce qui domine dans les pages sport, ce sont bien les disciplines « nobles », notamment l’automobile, l’alpinisme, l’équitation...

Pierre Villepreux : De mon côté, j’ai été séduit à l’idée de me replonger, grâce à la presse, dans le sport de mes jeunes années. Il n’est, au fond, pas si éloigné que cela du sport actuel, mais la relation entre journalistes et sportifs, elle, a beaucoup changé. On sent entre eux, au milieu du XXe siècle, une relation de très grande proximité, semblable à celle que j’ai connue dans les années 1960-1970 quand j’étais moi-même joueur de rugby : les journalistes sportifs n’étaient qu’une poignée et on finissait par bien se connaître.

Cette relation particulière, fondée sur la confiance, et également sur la grande discrétion des journalistes, se ressent dans le discours qui est tenu, bien loin de la communication actuelle, dans l’immédiateté des réseaux sociaux. À cette époque-là, c’était d’ailleurs le journaliste qui venait vous voir, non les sportifs qui conviaient les journalistes à une conférence de presse…

O. V. : Il faut dire qu’à l’origine, les journalistes étaient eux-mêmes des sportifs, qui intervenaient dans la presse pour faire la promotion du sport, comme Frantz Reichel, pour ce qui est du rugby.

P. V. : Ou Robert Barran, capitaine du stade toulousain, qui était communiste et qui écrivait dans L’Humanité, mais aussi dans Midi Olympique.

Avez-vous été bercés l’un et l’autre dans votre jeunesse par l’histoire du sport de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle ?

P. V. : J’ai découvert le rugby grâce à mon instituteur qui, le samedi après-midi – puisqu’il y avait école à cette époque-là –, nous faisait écouter les matchs internationaux retransmis à la radio. Le commentateur s’appelait Loys Van Lee, je m’en souviens encore ! Notre maître jouait lui-même au sein du club de rugby de Pompadour où j’ai grandi et il nous a transmis sa passion, tout en en profitant pour nous faire une leçon d’histoire sur la naissance du jeu, en Angleterre, dans la ville de Rugby, et sur les valeurs qu’il portait : la solidarité, le respect des règles, le soutien entre joueurs essentiel dans les sports collectifs mais encore plus au rugby…

O. V. : L’histoire du sport, j’ai commencé surtout à m’y intéresser en vivant, adolescent, en Italie, où j’ai découvert que la culture sportive était bien plus importante qu’en France. Je n’avais pas idée auparavant que les conversations autour du sport pouvaient être aussi riches et animées ! Quand les Italiens évoquaient leur histoire, ils parlaient aussi de sport. Ils connaissaient très bien l’histoire de la Coupe du monde, celle du sport automobile aussi… J’ai commencé à prendre conscience à ce moment-là à quel point le sport était un fait culturel, qui ne peut pas être coupé de l’économie, de la politique ou même de l’histoire des idées.

Les archives de presse en apportent la preuve presque à chaque page : on voit bien, dans la presse généraliste surtout, que le sport est un sujet de débat. Je pense par exemple à la mise en place de la structure du sport français, dans les années 1960, sous de Gaulle, après les Jeux de Rome [où la délégation française n’a remporté que cinq médailles et aucun titre olympique, ndlr], avec notamment la création de l’ENSEP, et tout le débat autour l’« éducation physique », fondée sur des activités physiques mais pas forcément du sport.

Quels articles vous ont particulièrement marqués ?

P. V. : J’ai eu grand plaisir à lire des articles sur le Tour de France dans les années 1950, avec des interviews de champions comme Coppi ou Bartali – on était bien avant Poulidor ! Il y avait aussi un local du Limousin, Dufraisse qui, lui, faisait du cyclo-cross.

Côté rugby, je suis remonté aux premières équipes de France, notamment celle de Jean Prat, qui avaient commencé à bousculer les British, et n’étaient plus là pour simplement participer au Tournoi des Cinq-Nations, mais pour gagner.

O. V. : Personnellement, j’ai été frappé par le goût des journalistes pour la nouveauté technique, notamment dans le cyclisme ou le sport automobile, un peu avant la Première Guerre mondiale, à une époque où le sport n’est pas encore organisé. On sent la fascination pour la machine et pour les sportifs qui font figure de véritables héros – d’autant plus que certains y laissent leur vie, dans des accidents terribles. Cette dimension héroïque se retrouve dans d’autres sports, par exemple l’alpinisme : dans ces années-là, gravir les sommets, c’est presque aller sur la Lune ! Les articles tiennent souvent de la fantasmagorie, proche des romans de Jules Verne. Les journalistes montrent un engagement affectif, presque physique pour leur sujet, et ils se mettent d’ailleurs souvent en scène. On voit que dans la première moitié du XXe siècle, le sport permettait vraiment la littérature…

P. V. : Cette glorification était encore très forte dans les années 1960. Nous autres sportifs, nous avions souvent l’impression d’avoir vécu une toute autre réalité que celle qui apparaissait dans les journaux ou les livres !

Vous êtes-vous intéressés aux photographies qui accompagnent les articles ?

P. V. : Il est frappant de constater à quel point le sens de l’image a changé. Les photos étaient évidemment beaucoup moins nombreuses ; celles qui paraissent dans la presse semblent avoir été méticuleusement choisies pour illustrer au mieux un homme ou une équipe, quand aujourd’hui, toutes sortes de photos, plus ou moins significatives, sont publiées.

O. V. : J’ai toujours considéré la photo de presse comme une information dans l’information. J’ai longtemps travaillé à Libération et on sait bien tout ce que la photo a apporté à ce journal…

C’est intéressant de voir l’évolution, depuis les articles de la fin du XIXe siècle ou du début XXe, illustrés parfois de rares dessins, puis l’intégration des premières photos, très posées et illustratives, du fait bien sûr des contraintes techniques. On est loin de la tendance actuelle de la photo de presse qui vise à sublimer le geste sportif plutôt qu’à illustrer… Au fond, la photo sportive, de plus en plus esthétique, a suivi le chemin strictement inverse du texte lui-même.

Reste-t-il pour vous, de ces années-là, des figures mythiques ?

P. V. : En dehors du rugby, je citerais la boxe et les combats de Marcel Cerdan, que j’écoutais à la radio avec mes parents : ils étaient suivis dans tous les foyers et ils n’auraient été manqués sous aucun prétexte ! Mais on ne connaissait que l’exploit, pas la personne elle-même, dont on ne savait à peu près rien.

O. V. : C’est vrai que les sportifs sont difficiles à cerner, même en se plongeant dans la presse de l’époque… J’ai cherché dans les archives un personnage qui a toujours été pour moi assez magique, hors du temps, un peu irréel : Louison Bobet. Après la lecture des journaux, qui ne couvrent que ses courses, je ne suis guère plus avancé : Louison Bobet reste un peu un mystère, et c’est très bien ainsi !

La perspective des JO 2024 vous a-t-elle donné envie d’aller chercher des échos dans la presse de l’histoire des Jeux Olympiques ?

P. V. : Évidemment ! Je suis allé voir les Jeux du début du XXe siècle, à partir de 1900, date à laquelle le rugby devient discipline olympique et jusqu’à 1924, où la violence sur le terrain, lors du match opposant les Etats-Unis et la France, est telle que le rugby sera banni pendant des décennies.

O. V. : De mon côté, j’ai eu envie de me plonger dans tous premiers jeux, ceux d’Athènes, en 1896. J’ai découvert un article formidable qui tient d’ailleurs plus du journal de voyage que du journalisme sportif : l’auteur raconte son arrivée en Grèce et convoque d’abord toute la mythologie grecque, puis l’histoire de la cité d’Athènes et de l’Acropole, avant d’en venir au sujet annoncé : le sport !

En dehors de leur forme parfois folklorique, les articles sur cette première édition permettent d’appréhender l’idéal olympique de Pierre de Coubertin, et son souhait de développement de l’amitié entre les peuples : il n’y a pas à proprement parler de délégations nationales, les disciplines olympiques – une dizaine à peine – sont issues de la culture grecque (disque, javelot, course), les athlètes concourent parfois dans deux disciplines différentes et l’esprit n’est guère à la rivalité entre les pays. La 2e édition des Jeux, organisés à Paris, en 1900, sur fond d’Exposition universelle, sera déjà tout autre.