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Une édition « toute particulière » : l’inauguration des JO de Berlin

le 24/04/2024 par Match
le 18/04/2024 par Match - modifié le 24/04/2024

Le 1er août 1936 s'ouvrent les Jeux olympiques de Berlin. Le contexte est, comme on le sait, tendu : c'est l'Allemagne nouvellement nazie qui accueille l'événement. Match décrit non sans complaisance la grandeur de surface de l'inauguration, exhibition tous azimuts de la « supériorité » allemande.

Organisés pour la première fois à Athènes en 1896 sous l’impulsion de l’emblématique Pierre de Coubertin – et suivis de ceux de Paris en 1900 –, les Jeux Olympiques modernes sont une manifestation mondiale majeure qui dépasse de loin le seul cadre du sport. Pour l’État organisateur, il s’agit ainsi d’un immense enjeu de représentation sur la scène internationale.

Ayant lieu tous les quatre ans, les J.O. augmentent progressivement en taille et en popularité : on dénombre par exemple 241 sportifs de 14 pays différents en 1896, contre 3089 athlètes pour un total de 44 pays à Paris en 1924. Cette même année ont également lieu les premiers Jeux Olympiques d’hiver à Chamonix, depuis lors distingués des Jeux d’été.

En 1936, la XIe édition est très particulière puisque les J.O. sont organisés par l’Allemagne d’Adolf Hitler – le Comité international olympique ayant pris sa décision en 1931, soit deux ans avant l’avènement du Führer. Cette édition marque les contemporains : son ampleur (3967 athlètes représentant 49 nations différentes), sa monumentale cérémonie d’ouverture, dont la flamme a été pour la première fois allumée à Olympie puis apportée à pied sur plus de 3000 kilomètres, et surtout la victoire de l’Allemagne nazie qui parvient à être le pays le plus médaillé, font que les Jeux Olympiques de 1936 restent à la postérité comme une démonstration de force de ce nouvel État totalitaire – et comme un signe des désastres à venir.

Les jeux olympiques – Berlin, 1936

La cérémonie d'ouverture des Jeux de la Onzième Olympiade, sur le Stade des Sports du Reich, à Berlin, a revêtu une solennité toute particulière.

Les Allemands s'entendent à la mise en scène. Ils n'avaient rien négligé et rien n'a cloché. Le cadre est grandiose, de ce stade immense et bien agencé, avec ses deux escaliers immenses qui dévalent sur l'arène des deux sommets de l'ovale. Il était plein d'une foule enthousiaste, il en semblait encore plus grand. Et il avait cette beauté des choses toutes neuves. Voilà pour le décor.

L'action ne lui cédait en rien. C’était d'abord, dans la matinée, l'arrivée à Berlin du flambeau olympique portant la flamme allumée sur un autel de Grèce et que des athlètes de plusieurs pays s'étaient passé de main en main et qui terminait en apothéose sa course symbolique quand un athlète blond, dévalant l'escalier de droite, passa sur la piste, devant les drapeaux inclinés, et grimpant d'une allure souple les marches de l’escalier d'en face, anima dans la grande coupe de bronze la flamme olympique qui doit brûler pendant toute la durée des Jeux.

C'était le berger Louys, premier vainqueur du premier Marathon des Jeux olympiques modernes, venant remettre au chancelier Hitler un rameau d'olivier venu, en même temps que la flamme sacrée d'Olympie. C'étaient ces chœurs grâces chantés par des centaines d'hommes et les femmes aux voix prenantes, ces marches et ces hymnes à la solennité quasi religieuse et tout ce déploiement de symboles, du survol du stade par un zeppelin au lâcher de milliers de pigeons, des coups de canon scandant les minutes solennelles au tintement de la cloche qui conviait aux Jeux la Jeunesse du monde.

Mais ce fut surtout ce spectacle de plusieurs milliers d’athlètes réunis sur la pelouse verte, dans une variété chatoyante d’uniformes, le spectacle précisément de cette jeunesse ardente, au garde à vous pour la dernière parade, avant que ne soit donné libre cours aux impatiences, aux ambitions, à la lutte courtoise et chevaleresque que, par son serment, nous promettait l’athlète allemand Ismaïl, champion des poids et haltères.

La plus belle présentation fut sans conteste celle des athlètes allemands uniformément vêtus de blanc et dont les mouvements étaient si bien coordonnés et fondus qu’on doutait de la réalité du spectacle qu’ils nous offraient. Mais les Français, à la tenue plus sévère et à la belle allure, furent, après les indigènes, les grands triomphateurs de la journée. Hélas ! ce ne sont là que des triomphes sans grande portée, ou tout au moins sans grand fondement.

Le temps maussade ne tint pas, heureusement, les mauvaises promesses qu’il nous faisait. Il y eut quelques gouttes d’eau. Ce n’était pas terrible. Et l’enthousiasme, à défaut de soleil, suffisait amplement à faire évaporer ces petits inconvénients.

La cérémonie d’ouverture, plus longue qu’il n’était prévu, se termina juste assez tôt pour que les athlètes pussent rentrer dans leur village avant le crépuscule et se préparer aux efforts du lendemain, la tête bourdonnante encore de musique, d’acclamations et de vivats.

Sur le stade, déserté durant quelques heures, une autre fête allait commencer.

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S’il n’y avait eu au milieu de l’arène les géométriques dessins qui délimitent les aires des concours, on pourrait croire qu’on n’a pas quitté le stade la veille, car la foule est tout aussi semblable, et tout aussi nombreuse. Et pourtant, ce ne fut presque qu’une journée d’éliminatoires, mais le public a été payé de ses peines, ne fût-ce que par la magnifique course de l’Américain Owens, battant avec une extraordinaire facilité le record du monde des cent mètres. Le vent soufflait, il l’avait dans le dos, mais telle était son aisance qu’il apparaissait aux profanes rester au-dessous de la limite de ses moyens. Cela avait mis la foule en délire. Elle eut, peu après, à se mettre autre chose sous la dent avec le record olympique battu par la championne allemande Tilly Flescher, qui fit hisser pour la première fois un drapeau national au mât olympique, et c’était le pavillon allemand.

Le saut en hauteur occupa presque tout l'après-midi, car le lot était de choix, et les concurrents gourmands. Ils étaient encore cinq à passer la barre à deux mètres, puis trois Américains et un Finlandais passaient encore à deux mètres trois centimètres et enfin Johnson réalisa, avec deux mètres huit, le meilleur saut, après avoir tenté, à l’égal d’Owens, de battre aussi le record du monde, mais sans succès.

Le dix mille mètres se termina par une victoire d’équipe, les trois Finlandais terminant en tête, après avoir usé en fin de compte le courageux petit Japonais Murakoso. Ainsi se classèrent premier, deuxième et troisième Salminen, Askola et lso-Hollo, qui devaient faire monter le drapeau de leur pays devant une foule déchaînée.

Si tous les espoirs que les Français nourrissaient dans le cent mètres étaient abolis dès la matinée, cette épreuve permit, dans les demi-finales, de battre le record du monde. Les prémisses sont prometteuses.

Dans le huit cents mètres, Soulier, en terminant quatrième de sa série, fit un temps qui n’était pas inférieur à celui du vainqueur de la deuxième, par exemple.

Le lancement du poids, où Voltke porta à seize mètres le record olympique, terminait le programme de cette première journée, où l’on respirait l’atmosphère des grandes épreuves devant un public passionné, mais à qui la passion n’ôta ni le jugement, ni l’esprit sportifs.

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Les jeux sont à peine commencés, et l’on enregistre déjà des résultats probants dans l’athlétisme, sport olympique par excellence. La journée se termina par une allocution de von Tschammer und Osten, annonçant que le Flambeau olympique, amené à Berlin par les athlètes, serait porté à Kiel par les jeunes Allemands, et soulignant que cette flamme symbolique brûle éternellement dans le cœur des jeunes sportifs du monde, unis dans la camaraderie du sport.

Un beau rêve à la fin d’une belle journée.

–JEAN DE LASCOUMETTES.